Voici l'homme - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Voici l’homme

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Il y a cinq ou six milliards d’années, des poussières et des gaz qui erraient dans l’espace ont commencé à s’agglomérer, à se rapprocher, puis à s’agréger plus ou moins. Le temps, beaucoup de temps passa.

Extrait du chapitre 5 « Apparition de l’homme » de La Clarté au cœur du labyrinthe, pp. 149 à 151

VOICI L’HOMME *

Ces poussières et ces gaz sont maintenant tout ce que nous voyons, sinon tout ce que nous sommes. Il n’est pas un gramme de notre corps, pas un atome de notre souffle qui n’ait été présent jadis dans ces poussières et ces gaz, errant à travers les ténèbres où se font et se défont les étoilesxe « étoile », leurs planètes, et tout ce qu’elles portent. La matière de cette main qui écrit, de ce cerveauxe « cerveau » qui la guide, de ces yeux qui la contrôlent, de ce papier, de cette table, la matière aussi du corps de tous ceux que j’aime, celle de tous les hommes vivants et morts, celle qu’a modelée l’histoire, celle des montagnes, des océans et des déserts, toute cette matière était là, déjà présente, poussière et gaz répandus, il y a cinq ou six milliards d’années. Des étoilesxe « étoile » plus vieilles que le soleil, et que nos yeux voient encore, l’éclairaient vaguement et l’entraînaient de loin dans leur gravitation et dans les diverses forces qui animent l’espace galactique.

Au rendez-vous du calcul

Que s’est-il passé avant que nous soyons là, faisant retour sur cette immensité de temps écoulé et d’espace parcouru ? Même touchant en nous la présence infinie qui anime toutes choses, je ne pense pas que nous puissions nous croire dispensés de cette interrogation, ni d’aucune autre. Conscient de la précarité de toute opinion sur des réalités qui nous écrasent, je me risquerai à dire au contraire que la croyance de n’avoir plus à nous interroger sur nos origines sous prétexte que nous les connaissons par une autre voie est le signe le plus sûr que l’on s’abuse et peut-être que l’on se perd. Dans l’ordre de l’intelligence comme dans celui de l’amour, se croire arrivé, c’est n’être jamais parti. Et je doute que ce soit pour inviter notre penséexe « pensée » à s’assoupir qu’elle a été affrontée à un univers physique incommensurable (1) a).

À un moment, donc, il n’y avait que poussière et gaz. Cinq milliards d’années plus tard, il y a l’être paradoxal qui s’interroge, et qui, prenant consciencexe « conscience » qu’il existe, découvre, en explorant le passé, l’histoire de sa propre apparition.

La science ne nous dira jamais rien sur la finalité de ce long enfantement, sur sa signification. La science ne sait (quand elle le sait) que dire le comment de ce qui se fait.

Les géologues et les paléontologistes savent de mieux en mieux comment les êtres qui peuplent la terre sont apparus. Si par exemple on classe les espèces de plantes par le nombre de cellules différentes qui les composent, on constate que l’ordre des nombres croissants est aussi celui de la chronologie de leur apparition (2) : les plantes sont apparues exactement dans l’ordre de complexité croissante. La même loi s’observe dans le monde animal. Le spécialiste sait, à l’examen d’un être vivant, dire de quand il date, à la seule condition de connaître déjà la date d’apparition des deux êtres qui lui ressemblent le plus en plus grande et moins grande complexité. La complexité intermédiaire correspond à une date intermédiaire.

Comme chaque date de l’histoire terrestre correspond elle-même à une couche déterminée de la superposition du terrain, le paléontologiste peut prédire dans quel terrain on trouvera tel ou tel « chaînon manquant ». C’est ce que le P. de Saint-Seine a appelé « les fossiles au rendez-vous du calcul » (3). Les êtres fossiles découverts de cette façon sont de plus en plus nombreux à mesure que l’histoire de la vie terrestre se précise.

André de Cayeux a pu formuler certaines lois quantitatives de cette « complexification » chronologique des êtres vivants (b). Un fait infiniment troublant, quand on considère les graphiques exprimant ces lois (4), est qu’il suffit de prolonger la première moitié de la courbe pour prévoir qu’un être aussi complexe que l’homme aurait pu être prédit, avec la date approximative de son apparition, par un observateur extérieur visitant la terre il y a des millions et des millions d’années. L’homme est, anatomiquement par son cerveauxe « cerveau » sans égal, le plus complexe des êtres vivants terrestres.

Mais contrairement à ce que dit Monod c) (qui ne fait aucune allusion aux résultats quantitatifs de la géologie), les chiffres et les dates montrent que l’apparition de l’homme est intervenue dans l’histoire de notre planète « au rendez-vous du calcul ». Tout semble s’être passé en vue de l’homme. Ou si l’on préfère, un être aussi complexe que l’homme d) était inscrit dans le développement des faits observables au fond de la nuit des temps géologiques, alors qu’aucune penséexe « pensée » capable de les comprendre ou simplement de les enregistrer n’était encore là pour le faire : en examinant les vestiges du passé terrestre, l’homme est contraint d’y découvrir ses propres prodromes.

Il y est contraint même hors de tout calcul, par la simple analyse anatomique des êtres qui l’ont précédé, comme on peut le voir en lisant le premier volume de l’ouvrage de Leroi-Gourhanxe « Leroi-Gourhan, André », le Geste et la Parole (5). Le mouvement de la vie en direction de l’homme est décelable dès l’apparition des plus anciens vertébrés, à la fin des temps siluriens, il y a un peu plus de 400 millions d’années. Et ces vertébrés primitifs eux-mêmes apparaissent comme le prolongement des êtres apparus avant eux.

Le mot d’« évolution » vient naturellement à l’esprit : « esprit » quand on prend connaissance de ces faits. Mais l’évolution est une façon de les expliquer dont on n’a nul besoin pour constater que l’apparition de l’homme survient comme l’accomplissement d’une loi.

Vers notre dépassement

Même si tous les êtres ont été créés séparément, même si l’univers entier a été créé hier tel que nous le voyons aujourd’hui fossiles compris (f), les fossiles humains s’inscrivent dans un certain ordre parmi les autres fossiles. Et cet ordre est celui d’un accomplissement. Quelle que soit l’hypothèse à laquelle on s’arrête pour expliquer l’ordre en question, l’homme se situe au terme du classement imposé par les faits. L’évolution peut être le « conte de fées » dont parle Jean Rostand, cela n’y change rien.

Est-il scientifiquement prudent d’extrapoler dans le futur un ordre qui ne s’est jamais démenti jusqu’à nous depuis les origines de la vie, dont les traces les plus anciennes remontent presque à celles de la planète elle-même ? Une telle extrapolation assignerait à l’humanité la vocation de son propre dépassement. Cette idée nous est familière e). On m’accordera qu’il est piquant de la voir surgir au terme d’une démarche délibérément docile à la méthodologie scientifique la plus stricte.


Aimé MICHEL

(1) Cf. France Catholique n° 1256.
(2) A. de Cayeux : La Science de la terre, Bordas, 1969, p. 372.
(3) Études, novembre 1949, p. 193.
(4) Voir par exemple, dans la Science de la terre, les figures 382 et 383.
(5) André Leroi-Gourhanxe, le Geste et la Parole (Albin Michel, 1964).

Notes de Jean-Pierre Rospars

* Chronique n° 17 parue dans France Catholique – N° 1258 – 22 janvier 1971

(a) Renvoi à la chronique L’univers est-il infini ? reproduite ici-même le 4 mai. Aimé Michel y décrit la « forêt cosmique » des galaxies d’un univers en expansion, où « plus loin notre regard se porte dans l’espace et plus est ancien le spectacle qui se révèle à lui. »

(b) Sur ces lois quantitatives, voir au chapitre précédent la note 119, p. 122. Ces lois sont ignorées ou minimisées par la majorité des évolutionnistes qui y voient une illusion ou, au mieux, un épiphénomène. Les théories dominantes insistent au contraire sur le caractère aléatoire, ou plus exactement contingent, des processus évolutifs. Pour le plus éloquent d’entre eux, Stephen J. Gould, si le film de l’évolution pouvait être rembobiné et relancé à nouveau, il suivrait un tout autre cours. Bien des faits s’accordent mal à cette vue, si bien que l’absolue contingence n’est pas démontrée. Ce sont certains de ces faits qu’Aimé Michel évoquent ici : ils n’ont rien perdu de leur pertinence.

(c) Voir Jacques Monod ou les contradictions du matérialisme, p. 116.
(d) La précision est importante.

(e) C’est un des thèmes les plus constants de la pensée michelienne : l’homme est inachevé, un être de transition, destiné à être dépassé.

(f) C’est là, comme on sait, la thèse curieuse de certains créationnistes américains. Il va de soi qu’Aimé Michel n’accordait aucun crédit à une thèse qui préfère imaginer un Dieu farceur, créateur d’apparences trompeuses, plutôt que d’admettre l’immensité des temps et les humbles origines de l’homme.

Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).

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