VOUS Y CROYEZ, VOUS, AUX EXTRATERRESTRES ? * - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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VOUS Y CROYEZ, VOUS, AUX EXTRATERRESTRES ? *

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BOUCHER DE PERTHES, le fondateur, avec Lartet, de la préhistoire, raconte dans ses mémoires que pendant les trente premières années de cette science, il ne pouvait entrer quelque part sans entendre aussitôt l’une des personnes présentes demander à une autre à voix basse, sur un ton sarcastique : « Vous y croyez, vous, à l’homme antédiluvien ? », et l’autre de rire, d’un air entendu. « Croire » à l’homme « antédiluvien », écrit Boucher de Perthes, c’était alors le propre du simple d’esprit. C’était croire au Père Noël. Boucher, qui fouillait une sablière dans la Somme et en retirait des haches de pierre, des pointes de flèches et autres objets préhistoriques, classait tout cela de son mieux, et, de temps en temps, en envoyait à l’Académie des sciences une caisse que son secrétaire perpétuel, Élie de Beaumont, faisait jeter à la poubelle sans l’ouvrir, à la seule lecture du nom de l’expéditeur, charlatan notoire et maniaque avéré1. Il en va maintenant un peu différemment de l’« Extraterrestre ». Prononcer ce mot, c’est aussitôt évoquer, les soucoupes volantes, les ovnis. Pourtant ce n’est pas pareil du tout. La plupart des astronomes « croient aux extraterrestres », c’est-à-dire à l’existence d’êtres intelligents ailleurs que sur la Terre. À vrai dire, je n’ai jamais rencontré un seul astronome, en France ou ailleurs, qui n’y « croie » pas. Que veut dire ici « croire » ? Simplement tenir pour extrêmement probable ; penser que, s’il n’existe nulle part ailleurs que sur Terre des êtres intelligents, il faut que la science se soit complètement trompée dans le tableau général qu’elle nous fait de l’univers2. « Croire aux ovnis », c’est bien autre chose : c’est admettre, non seulement que de tels êtres existent, mais qu’on les voit, quoique furtivement, tous les jours. Sur les « extraterrestres », presque tous et sans doute tous les astronomes sont d’accord, je l’ai dit. Sur les ovnis, ils sont partagés3. Laissons donc là les ovnis et voyons ce que les savants nous disent des « extraterrestres ». Leur inexistence serait inexplicable, et c’est pourquoi ils y croient. Ce que les observatoires enregistrent dans le ciel montre que la plupart des étoiles ont des planètes. On ne peut pas, sans supposer qu’elles ont autour d’elles un cortège planétaire semblable à celui du Soleil, rendre compte de la chute subite de leur moment cinétique aux premiers instants de leur existence. Pendant leurs premiers millions d’années, les étoiles tournent rapidement sur elles-mêmes, ce que montre le brouillage des raies de leur spectre. Puis, en très peu de temps, leur période de rotation passe de quelques heures ou dizaines d’heures à plusieurs dizaines de jours (25 jours dans le cas du Soleil). Ce freinage correspond à la perte d’une certaine quantité de mouvement qu’il est très facile de calculer (c’est un calcul à la portée d’un élève de terminale). Cette quantité de mouvement est justement celle que représente la combinaison des mouvements de notre système planétaire et de sa masse répartie en planètes et satellites4. D’autre part, la spectrographie montre aussi que l’espace est un bouillon de culture d’acides aminés, constituants élémentaires de la vie. L’astronomie nous conduit ainsi jusqu’à la biologie moléculaire. À partir de là, tout est observable sur la Terre. Il n’y a donc pas de solution de continuité entre ce que l’on voit dans le ciel et la vie terrestre dans sa fantastique et féconde diversité. Depuis que, au cours des dernières années, les astronomes ont pris conscience de ces faits, les conséquences en ont mûri rapidement dans leur esprit. Si nous ne sommes pas seuls, certaines de nos activités ne risquent-elles pas de nous mettre en danger ? « Attention ! écrivait le 4 novembre dernier Sir Martin Ryle, prix Nobel de physique et Astronome royal d’Angleterre, attention ! Si vous vous livrez à certaines expériences décelables depuis les autres étoiles, ne risquez-vous pas de signaler la présence d’une Terre habitable à des êtres plus avancés que nous dans la technologie du voyage spatial, mais aussi prédateurs et dénués d’altruisme que les hommes ? Ne risquez-vous d’appeler ici pour notre destruction une espèce à l’affût de nouveaux espaces ? »5 On ne lit pas cet avertissement lancé à l’Union astronomique internationale sans un certain scepticisme : « Vous y croyez, vous, aux Extraterrestres ? » La science-fiction nous en a tellement parlé que, dans notre esprit, ils ont pris place entre le Père Noël et la Belle au Bois dormant. Mais rappelons-nous Boucher de Perthes. Et d’ailleurs l’affaire se présente tout autrement. Boucher de Perthes essayait en vain de se faire entendre : le public et les savants étaient d’accord pour se moquer de lui. Au lieu que dans le cas de Ryle, les astronomes savent bien que ses craintes sont scientifiquement fondées. Simplement, ceux qui auraient envie d’entreprendre les expériences visées pensent qu’il faut en courir le risque. Selon eux, attirer l’attention des « autres » sur nous pourrait, en cas de réponse, mettre la Terre en rapport avec l’ensemble des intelligences cosmiques ayant déjà pris contact entre elles. Grandiose perspective. Mais rien de tel ne pourra être tenté tant que l’énergie restera un bien coûteux. C’est-à-dire longtemps encore6. En revanche, chercher si d’autres que nous ne communiquent pas déjà entre eux par des moyens connus de nous ne présente aucun danger, et la NASA vient précisément d’annoncer – le jour même de l’appel de Martin Ryle – que c’est ce qu’elle va faire. Son projet, appelé Projet SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence, Recherche de l’Intelligence Extraterrestre), suppose que les « autres » utilisent aussi les ondes radio. Dans ce cas, pensent les promoteurs de SETI, il est « logique » de supposer que les fréquences sur lesquelles se font ces échanges sont comprises dans une bande dont les extrêmes sont 1 420 mégahertz, fréquence de l’hydrogène libre, et 1 662 MHz, fréquence du radical hydroxyle, HO, lui aussi très répandu dans l’espace, fréquence égale à 1 662 MHz. Cette bande est en effet la seule « fenêtre » qui ne soit pas encombrée par des émissions radio naturelles. Le lecteur se souviendra peut-être qu’un projet assez semblable échoua il y a une dizaine d’années : le Projet Ozma. Ce projet avait « parié » sur la seule longueur d’onde de l’hydrogène et sur seulement deux étoiles. Cette fois, on examinera des milliers d’étoiles, peut-être des millions, et sur des millions de fréquences différentes. Depuis le Projet Ozma, les progrès de l’ordinateur permettent cet élargissement7. Le Projet SETI trouvera-t-il les « autres » ? Bien que ses inventeurs estiment « logique » qu’« ils » communiquent par radio, cette supposition paraît bien simpliste. Pourquoi une science pouvant avoir des millions d’années d’avance sur la nôtre, qui est née il y a quatre petits siècles, en serait-elle encore à la radio ? S’il en était ainsi, ce serait bien décevant. Simplistes aussi les craintes de Martin Ryle. Si « quelqu’un » est capable de voyager entre les étoiles – ce qui paraît impossible à notre science – « il » n’a nul besoin de nos signaux pour déceler la Terre. Mais à travers ces hypothèses trop simples, les savants prennent lentement la mesure philosophique d’un formidable problème, celui de la pensée non humaine dans le vaste univers des étoiles8. Aimé MICHEL Chronique n° 265 parue dans France Catholique-Ecclesia – N° 1564 – 3 décembre 1976 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 9 novembre 2015 * Le titre originel qu’Aimé Michel avait choisi pour cette chronique était APPELEZ-NOUS, ON EST LÀ ! Mais sur l’exemplaire de FC-E qu’il conservait, il avait finalement rayé ce titre avec une brève mention de trois lettres en marge ne laissant guère de doute sur son insatisfaction ! J’en ai donc choisi un autre en espérant que celui-là lui aurait moins déplu à terme. Comme d’habitude le sous-titre est aussi ma proposition.

 

  1. Aimé Michel a écrit d’abord sous le pseudonyme de Stéphane Arnaud puis quelques années plus tard sous son propre nom un article intitulé « Le martyre d’un génie : Boucher de Perthes » (Planète n° 3, février-mars 1962, pp. 15-21 ; repris en 1966 dans Le meilleur de Planète cette fois sous sa signature ; aujourd’hui disponible sur le site www.aime-michel.fr/le-martyre-dun-genie-boucher-de-perthes/).
  2. La plupart des astronomes croient volontiers à la vie intelligente extraterrestre, Aimé Michel a raison de le souligner. Mais ce qu’il ne dit pas c’est que certains biologistes et des plus influents sont beaucoup plus pessimistes, soit qu’ils croient que l’apparition de la vie est un accident extrêmement improbable, soit qu’ils pensent que son évolution ultérieure n’a que peu de chances d’aboutir à des êtres intelligents. Les théories actuelles mettent en effet en avant le caractère aléatoire de l’évolution des organismes, ce qui conduit naturellement à penser que les choses auraient pu se passer tout autrement. Par exemple la vie aurait pu rester bloquer au stade d’organismes unicellulaires ou bien, après avoir évolué au-delà, s’engager dans des voies complètement différentes de celles que nous connaissons, si bien que l’homme ne serait jamais apparu. Cette thèse a été défendue par des biologistes célèbres comme George G. Simpson, Jacques Monod et plus récemment par Stephen J. Gould avec le talent que l’on sait. Ce dernier a comparé l’évolution à un film qui, s’il pouvait être rembobiné et relancé à nouveau, serait entièrement différent à chaque reprise. Pourtant cette thèse, certes conforme à l’esprit du temps, n’est nullement démontrée. On peut lui opposer des arguments qui mettent au contraire en valeur les facteurs déterministes de l’évolution (voir la chronique n° 240, La religion et le savoir – Un diagramme paléontologique qui réveille les grandes questions religieuses, 15.07.2013). Ainsi ce n’est pas par hasard que certains animaux deviennent progressivement plus grands et plus intelligents au cours du temps, c’est parce que c’est fondamentalement avantageux pour eux. Dans ces conditions on ne voit pas pourquoi ce qui est vrai sur Terre ne le serait pas aussi sur des exoplanètes comparables. L’universalité des lois de la physique et probablement de la biologie « parle » sans doute davantage aux astronomes, qui ont une formation de physicien, qu’aux biologistes ; ce sont ces différences de formation et de sensibilité qui expliquent dans une large mesure ces divergences d’opinion.
  3. Pour autant qu’on puisse en juger cet intérêt de certains astronomes pour les ovnis est resté rare et assez superficiel. Même si nombre d’observations relèvent de la compétence des astronomes, comme les méprises avec des planètes, des étoiles, des météores ou des satellites artificiels, les plus intéressantes n’en relèvent guère. En tout état de cause les articles scientifiques consacrés aux ovnis sont rares toutes disciplines confondues si bien qu’on ne s’étonnera pas d’en trouver peu écrits par des astronomes. Cependant, on pourrait s’attendre à ce que les astronomes (peu nombreux) qui s’intéressent à la détection de civilisations extraterrestres grâce aux ondes électromagnétiques qu’elles sont susceptibles d’émettre aient également un intérêt professionnel pour les ovnis (sur ces recherches voir les chroniques n° 165, Des signes dans le ciel – Pourquoi les étoiles sont-elles inaccessibles à l’homme ? 20.11.2012, et n° 68, Les savants russe et les anges – Les astronomes à la recherche d’êtres supérieurs à l’homme et faiseurs de prodiges, 01.03.2011). Peut-être l’ont-ils en un sens, mais il ne les conduit nullement à étudier la question, au contraire, car en général ils ne veulent pas en entendre parler ! Il y a quelques années j’étais dans le comité scientifique de sélection des communications d’un congrès organisé à Londres par l’Académie Internationale d’Astronautique sur le vaste thème de la recherche de la vie et de l’intelligence dans l’univers. L’une des communication soumises portait sur les ovnis sous un angle sociologique ; elle notait que les sondages révélaient que de larges segments du public croyaient non seulement que d’autres intelligences existaient dans l’univers mais qu’elles avaient traversé l’espace jusqu’à nous ; elle arguait que l’examen des ovnis allégués pouvait être riche d’enseignements sur nos sociétés et sur l’impact que la découverte d’une intelligence extraterrestre par les chercheurs du SETI pourrait avoir sur elles. La communication fut rejetée à la majorité du simple fait qu’elle traitait d’ovnis et risquait d’être interprétée comme une reconnaissance de l’existence des ovnis par des journalistes en quête de sensationnel. Que les astronomes aient des avis partagés sur les ovnis est donc un euphémisme ! Bien des chercheurs intéressés par le domaine SETI, surtout aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, sont très opposés à l’étude des ovnis. On comprend que, défendant un sujet relativement marginal en termes de nombre de chercheurs, de moyens, de reconnaissance et de résultats, ils ne veuillent surtout pas être confondu avec ce sujet mal famé et ignoré des milieux académiques que sont les ovnis. David Brin, un scientifique américain auteur d’essais et de romans de science-fiction à succès, partisan de la recherche SETI, écrit à ce propos : « Les chercheurs du SETI se sont efforcés, on peut le comprendre, de se mettre à distance d’autres notions qui ne sont pas sans résonnance dans la culture populaire, comme les ovnis. En tant que scientifiques ils ne veulent pas être confondus avec de fervents croyants en d’insaisissables visiteurs extraterrestres, toujours évanescents et jamais rattachés à quelque preuve que ce soit. Les chercheurs du SETI à juste raison craignent et évitent des associations contagieuses avec de loufoques pseudosciences. » (http://www.davidbrin.com/shouldsetitransmit.html). Mais bien sûr c’est un cercle vicieux puisque si ces « loufoques pseudosciences » prospèrent c’est en grande partie parce que la « vraie science » n’occupe pas le terrain.
  4. C’est une loi fondamentale de la physique que le moment cinétique d’un système isolé en rotation se conserve. Un exemple de cette conservation est fourni par le patineur qui tourne sur lui-même avec les bras écartés mais qui se met à tourner beaucoup plus vite lorsqu’il rabat les bras le long du corps. Toutefois l’argument de la faible vitesse de rotation des étoiles entourées d’un cortège de de planètes n’est plus guère utilisée aujourd’hui parce qu’on dispose de bien meilleurs indices de la présence de ces dernières (voir discussion en note e de la chronique n° 8, Combien y a-t-il de terres dans l’espace, 06.07.2009). Selon le modèle actuellement retenue ce qui est aujourd’hui le système solaire était il y a une dizaine de milliards d’années une toute petite partie d’un immense nuage d’hydrogène et d’hélium formé lors du big bang. Au cours du temps ce nuage s’est contracté et enrichit en éléments plus lourds lors de l’explosion d’étoiles massives aux alentours. Il y a moins de 5 milliards d’années alors qu’il était formé à 98% d’hydrogène et d’hélium et 2% d’éléments lourds, il s’est fragmenté. L’un des fragments a continué à se contracter sous l’effet de la gravitation et s’est donc mis à tourner plus vite sur lui-même, comme le patineur qui rabat les bras, et à s’aplatir. Il en est résulté la formation d’une protoétoile centrale entouré d’un disque de gaz. Les forces magnétiques liant la protoétoile au disque ont freiné la première et accéléré le second. Comme la contraction de la protoétoile se poursuivait la température en son centre a augmenté et quand elle a atteint 10 millions de degrés les noyaux d’hydrogène ont fusionné : ce fut la naissance du Soleil ; ces réactions de fusion thermonucléaires se poursuivent depuis lors, tandis qu’une autre histoire commence : celle des planètes. Dans le disque, les atomes s’agglomèrent en poussières. En raison de la forte chaleur régnant à proximité du jeune Soleil, seuls les silicates et oxydes métalliques peuvent subsister à l’état solide : ces poussières formeront les planètes les plus proches du Soleil (Mercure, Vénus, Terre, Mars). Plus loin, la température plus basse permet à d’autres éléments de passer de l’état gazeux à l’état solide : les glaces d’eau, d’ammoniac, d’oxydes de carbone, de méthane etc. (ils contribueront à former le noyau des planètes géantes gazeuses). Ces poussières et ces glaces forment des blocs appelés planétésimaux, de quelques mètres à quelques kilomètres. Ces derniers s’agrègent à leur tour pour former progressivement des planètes. Cette phase s’achève il y a environ 4,4 milliards d’années : le système solaire est né. Mais il devra encore subir pendant quelques centaines de millions d’années des bombardements de météorites avant que l’espace soit enfin nettoyé. Ce modèle explique que les planètes soient à peu près dans un même plan (plan de l’écliptique), que ce plan corresponde à l’équateur solaire, que la rotation du Soleil se fasse dans le même sens que la révolution des planètes et que les orbites soient presque circulaires. Mieux, autour d’étoiles d’âges variés on a pu découvrir des disques protoplanétaires et observer les différences phases de la formation des planètes, de même que l’observation d’une ville permet de voir simultanément des bébés, des adolescents, des adultes et des vieillards. (http://www.astronomes.com/le-systeme-solaire-interne/la-formation-du-systeme-solaire/).
  5. Sir Martin Ryle a lancé cet avertissement en 1976. Compte tenu de l’incertitude où nous sommes de la nature de leur réponse (pacifique ou agressive) est-il prudent de diffuser volontairement des signaux radio ou lumineux à l’adresse d’autres civilisations ? Ne vaut-il pas mieux rester silencieux ? Ces questions et ces craintes déjà anciennes (La guerre des mondes de Wells date de 1898) donnent lieu depuis quelques années à des discussions animées au sein de la petite communauté SETI qui est très divisée à ce propos. De temps en temps les médias se font l’écho de ces discussions. Ainsi le célèbre physicien britannique Stephen Hawking dans une interview d’avril 2010 pour la chaîne de télévision américaine Discovery Channel a insisté sur le danger d’une telle diffusion en rappelant les nombreux exemples historiques de rencontres qui ont conduit à des tragédies, comme celle des Indiens avec les colons européens. Il a également mis en garde contre des extraterrestres avancés qui ayant épuisé les ressources de leur planète pourraient vouloir coloniser toute planète à leur portée. Seth Shostak, de l’Institut SETI en Californie, considère dans un article récent (Are transmissions to space dangerous? Int. J. Astrobiol., 12, 17-20, 2013) que ces arguments sont « paranoïaques ». Pour lui il est déjà trop tard parce que nos émissions de radio et de télévision et nos signaux radar militaires se répandent dans l’espace depuis 70 ans et ont donc atteint toutes les étoiles voisines dans un rayon de 70 années-lumière. Toute civilisation en avance d’un siècle ou deux sur nous est capable de les détecter. À l’avenir certaines de ces fuites radio continueront de diminuer comme c’est le cas pour la télévision mais rien n’indique que les émissions radars vont décroître (Shostak mentionne leur usage pour la détection des comètes à longue période). De toute façon dit-il, la lumière des villes ne peut être masquée et peut être détectée à plusieurs centaines d’années-lumière en utilisant une étoile de type solaire comme lentille gravitationnelle. John Billingham et James Benford contestent ces arguments car ils estiment que nous ne sommes pas aussi visibles que le dit Shostak (Costs and difficulties of interstellar ‘messaging’ and the need for international debate on potential risks, J. British Interplanetary Soc., 67, 17-23, 2014). David Brin (http://www.davidbrin.com/shouldsetitransmit.html) est du même avis et ajoute, non sans ironie, que si nous sommes déjà détectés pourquoi alors faire tant d’efforts pour crier au cosmos et attirer l’attention ? En fait Billingham et Brin sont de fermes partisans de la recherche SETI passive, c’est-à-dire de l’écoute d’éventuels signaux émis par des civilisations extraterrestres, ce qu’ils refusent c’est le SETI actif (encore appelé METI) c’est-à-dire l’envoi de messages (M) à des intelligences extraterrestres (ETI) par nous-mêmes. Ils réclament un moratoire sur de futures transmissions et des consultations internationales sur les risques sociétaux et techniques qu’ils nous font encourir. Ils demandent instamment que l’on prenne exemple sur la conférence d’Asilomar organisée en 1975 en Californie (150 chercheurs réunis à huis clos y refusèrent un moratoire sur les manipulations génétiques mais préconisèrent des mesures de confinement destinées à éviter que des bactéries génétiquement modifiées ne se dispersent dans l’environnement). Le physicien Paul Davies, qui préside depuis 2005 le groupe Post-détection de l’Académie Internationale d’Astronautique (que faire en cas de découverte d’un signal intelligent ?), est substantiellement du même avis : « Personnellement, dit-il, je me sentirais très mal à l’aise si Pierre, Paul ou Jacques dirigeait un radiotélescope et commençait à envoyer au nom de l’humanité sa propre sagesse cosmique bricolée en interne, sans la large délibération qui convient. (…) Évidemment on ne peut empêcher personne de faire ça. Je pense que personne n’a le droit de parler au nom de toute l’humanité, même en supposant que les extraterrestres puissent donner un sens à ce qu’ils auront recueilli. » (http://www.worldsciencefestival.com/2014/04/meet_paul_davies_the_man_wholl_greet_the_aliens/). Quoi qu’il en soit de ces discussions elles révèlent les contradictions et les incohérences du monde scientifique (et pas seulement) sur ce sujet que les progrès dans notre connaissance de l’univers rendent et rendront de plus en plus brûlant. Pour certains la vie n’existe que sur Terre et pour d’autres les gouffres intersidéraux sont pratiquement infranchissables. Comment se fait-il alors que ces visiteurs inexistants ou impossibles puissent représenter une menace ? Et comment se fait-il dans ces conditions que l’hypothèse d’ovnis d’origine extraterrestres ne mérite même pas une discussion ?
  6. L’Américaine Jill Tarter, de l’Institut SETI, qui servit de modèle à Carl Sagan pour son film Contact, insiste sur ce coût dans un intéressant article faisant le point des recherches menées de 1960 à 2000 dans ce domaine (« The search for extraterrestrial intelligence (SETI) » [La recherche d’une intelligence extraterrestre], Ann. Rev. Astron. Astrophys. 39, 511-548, 2001). « Il faut se souvenir, écrit-elle, de l’asymétrie qui caractérise notre situation présente ; nous sommes une très jeune technologie dans une très vieille galaxie. Parce que transmettre est beaucoup plus difficile que recevoir (en termes de coût et d’engagement culturel), et doit être un effort à long terme pour avoir quelque chance de succès, il est raisonnable de mettre la charge de la transmission sur les technologies les plus avancées. Les technologies émergentes telles que la nôtre doivent écouter d’abord. A mesure que notre technologie deviendra plus mature et notre civilisation plus stable (un échec à faire cela rend la question discutable), nous pourrons ajouter une stratégie de transmission à notre écoute, mais seulement quand nous serons capable de concevoir et de réaliser des programmes d’une durée de vie de dizaines ou de centaines de milliers d’années. (…) Nous sommes encore trop jeune pour un programme sérieux de transmission. » Cet article est aussi un plaidoyer pour que ces recherches se poursuivent. Le fait qu’elles n’aient abouti à aucun résultat positif à ce jour n’est pas de nature à décourager parce qu’elles n’ont pas été assez approfondies. Nos capacités de détection sont limitées à des distances de quelques centaines (radars militaires, signaux lumineux) ou milliers (radar d’Arecibo) d’années-lumière de rayon. Or seule une petite fraction des étoiles situées jusqu’à ces distances ont été sondées. Chercher les bonnes étoiles dans d’aussi vastes ensembles c’est pire que chercher une aiguille dans une botte de foin. Jill Tarter conclut : « Des améliorations dans la sensibilité des sondages de 4 ou 5 ordres de grandeur seront nécessaires avant qu’une conclusion significative puisse être tirée quant à la prévalence ou à l’absence de technologies émergentes telles que la nôtre dans notre Galaxie, la Voie Lactée. Bien qu’il ne sera jamais possible de prouver un résultat négatif, des résultats nuls de sondages menés avec des capacités améliorées à ce point seraient sérieux. La conclusion que nous sommes, en pratique, seuls serait alors justifiée. Étant donné les améliorations de sensibilité nécessaires, cet état de choses n’arrivera pas de sitôt. »
  7. En 1971, la NASA avait subventionné une étude, le Projet Cyclope, pour la construction d’un réseau de radiotélescopes destiné à la recherche SETI (voir note 5 de la chronique n° 165 citée en note 3). Mais son coût faramineux (10 milliards de dollars) eut un effet si négatif sur les parlementaires que le programme SETI ne fut plus financé pendant 4 ans ! En 1975, la NASA fit une autre tentative confiée à l’astronome Philip Morrison du MIT avec un niveau de financement assez faible. En 1978, cette dépense fut à son tour fortement critiquée par le sénateur démocrate du Wisconsin, William Proxmire, si bien qu’en 1981 la subvention fut au dernier moment retirée du budget de la NASA pour l’année suivante. Carl Sagan demanda alors à rencontrer Proxmire et réussit à le convaincre du sérieux de cette recherche appuyée par une pétition en sa faveur signée de 72 « scientifiques distingués » (dont 7 lauréats du prix Nobel) ce qui valut à la NASA un chèque de 2 millions de dollars (M$) par an pour son programme SETI. En 1988, les techniciens commencèrent à construire le matériel nécessaire. Ils étaient d’autant plus pressés de commencer l’écoute que de nouveaux satellites de communication menaçaient de créer un gros problème de bruit de fond dans la région du spectre électromagnétiques où les chances de détecter un signal étaient les meilleures. Le gouvernement Bush demanda de faire passer le budget du programme de 4,2 M$ en 1990 à 12 en 1991. Malgré les critiques au congrès un budget de 11,5 M$ fut accordé (c’était moins de 0,1 % du budget de la NASA). La NASA se préparait à commencer la recherche le 12 octobre 1992, 500 ans après le débarquement de Colomb en Amérique du Nord, avec deux composantes : l’une ciblée vers certaines étoiles prometteuses avec le radiotélescope d’Arecibo (menée par le centre de recherche de Ames) et l’autre étendue au ciel entier avec une antenne du Deep Space Network (menée par le Jet Propulsion Laboratory à Pasadena, sur ce JPL voir la note 3 de la chronique n° 254, Viking et l’autre façon américaine d’être plombier – L’univers aime s’amuser et il aime bien ceux qui s’amusent avec lui, 28.01.2013). Le programme échappa à une tentative d’annulation au sénat et se vit attribuer 100 M$ sur 10 ans, une somme relativement modique (à titre de comparaison le Super Collisionneur qui fut annulé à la même époque aurait coûté plusieurs milliards de dollars). Mais le 22 septembre 1993, le sénateur républicain Richard Bryan proposa un amendement de dernière minute pour arrêter le programme qui fut appuyé par l’ensemble du sénat. « Ce sera on l’espère, se félicitait Bryan, la fin de la saison de chasse martienne aux frais du contribuable. » Du jour au lendemain tout s’arrêta à la NASA. Stephen J. Garber, historien de la NASA, analyse les multiples raisons de cet échec dans un article bien documenté (Searching for good science: The cancellation of NASA’s SETI program [A la recherche d’une science de qualité : l’annulation du programme SETI de la NASA], J. Brit. Interplan. Soc., 52, 3-12, 1999, disponible sur http://history.nasa.gov/garber.pdf). L’époque était (déjà) aux économie budgétaires et il fallait réduire le déficit même symboliquement ; le programme était une proie facile parce qu’il n’impliquait pas de grosses entreprises prêtes à faire du lobbying à Washington ; la NASA en butte à d’autres attaques récentes concernant sa station spatiale et les défauts optiques de son télescope spatial Hubble y avait épuisé son capital politique ; le programme SETI était une cible facile pour des plaisanteries ; il n’entrait bien dans aucune des disciplines traditionnelles ; il y avait peu de groupes ou de personnes désireuses ou capables de défendre la recherche fondamentale ; enfin et peut-être surtout Bryan, contrairement à Proxmire, refusa de discuter avec quiconque associé au SETI. Jill Tarter avec l’aide du bureau des affaires législatives de la NASA tenta pendant des années d’organiser une rencontre, en vain. Toutefois, les scientifiques les plus motivés ne renoncèrent pas et se mirent avec succès à la recherche de fonds privés de riches Californiens de la Silicon Valley. Plusieurs d’entre eux déménagèrent à l’Institut SETI qui était en contrat avec le NASA depuis plusieurs années. Celui-ci réunit 7,5 M$ pour une recherche ciblée sous le nom approprié de Projet Phoenix. En 1999, l’université de Berkeley qui a besoin d’énormes capacités de calcul pour son projet Serendip développe SETI@home qui permet d’utiliser des milliers d’ordinateurs connectés par internet. Paul Allen, cofondateur de Microsoft, se passionne pour un projet de réseau de 350 radiotélescopes utilisable pour la radioastronomie et le SETI ; il donne 30 M$ pour une première tranche de 42 antennes qui entrent en service en 2007, réseau qui porte son nom (Allen Telescope Array, ATA). En 2011, faute de financement, son fonctionnement est arrêté pendant dix mois mais en 2012 Franklin Antonio de Qualcomm Inc. donne 3,6 M$ et en juillet de cette année le milliardaire russe Youri Milner aurait promis de donner 100 M$ sur 10 ans pour la recherche SETI. Ces dons permettent de mettre à niveau l’équipement des antennes existantes. Sur les 9 objectifs de recherche en cours de l’ATA mentionnés sur le site de l’Institut SETI (http://www.seti.org/seti-institute/project/details/fact-sheet), 6 concernent des recherches astronomiques « classiques » et 3 des recherches de signaux extraterrestres artificiels (sondage d’un million d’étoiles dans un rayon de 1000 années-lumière dans la bande de 1 à 10 GHz, sondage du plan galactique dans la fréquence du « point d’eau » de 1420 à 1720 MHz et exploration des milliers d’exoplanètes récemment découvertes dans la bande de 1 à 10 GHz).
  8. Le regard philosophique que pose Aimé Michel sur le problème des intelligences extraterrestres est très différent de celui de la plupart des scientifiques qui nourrissent les débats et interrogations que nous venons de voir. Divers arguments fondés sur les avantages de la coopération sur l’agression le faisaient douter de la pertinence de monstres descendants du ciel. Mais surtout, méditant à la fois l’inachèvement reconnu de la physique et la réalité des phénomènes physiques paranormaux (très bien observés chez certains mystiques, entre autres), il postule que la Nature a beaucoup plus de tours dans son sac que ne l’imaginent les scientifiques qui se bornent à la seule physique actuellement connue. Bien des choses qui nous paraissent impossibles aujourd’hui seront donc réalisées un jour mais d’une façon qui nous échappe complètement aujourd’hui, par exemple les voyages interstellaires. Il postule aussi que l’aventure humaine n’en est qu’à ses débuts, que l’homme ne restera pas ce qu’il est aujourd’hui, qu’il est destiné à se transformer et qu’il atteindra ainsi des niveaux cognitifs qui lui sont actuellement inaccessibles. Il postule enfin que la vie est répandue à profusion dans l’univers. La combinaison de ces trois hypothèses conduit, compte tenu du grand âge des galaxies, à supposer que ces évolution vers les niveaux de conscience humain et suprahumain ont déjà eu lieu un grand nombre de fois dans l’univers (on trouvera le détail de son argumentation dans son remarquable article de 1973 « Le principe de banalité » disponible sur http://www.aime-michel.fr/le-principe-de-banalite/) et qu’il existe déjà ce qu’il a appelé « un milieu psychique cosmique ». Ce « milieu », s’il existe, peut-il ignorer ce qui se passe sur Terre ? Aimé Michel envisage même qu’il puisse exercer une action sur nous par des voies visibles et d’autres qui excèdent nos capacités de compréhension. Dans ce contexte la discussion sur SETI, METI et les risques qui leur sont liés se présentent évidemment sous un tout autre jour. Nul doute que les questions ainsi posées, encore perçues comme marginales voire farfelues, prendront de plus en plus d’importance dans les décennies à venir et, par leur influence à long terme sur nos cultures, philosophies et religions, joueront un grand rôle dans l’évolution de l’idée que l’humanité se fait d’elle-même et de sa place dans la création.