Dans ce monde où l’amour humain, tel qu’il est, tel qu’il va, vécu avec ferveur et sincérité par beaucoup, mais se trouvant mis à mal par le libéralisme ambiant et le manque de repères, cette réflexion a pour but d’acheminer vers la vision théologique du mariage chrétien, prônée par l’Eglise pour le bien des personnes et celui de la société. La préoccupation pastorale exprimée, associant ouverture et fermeté, rejoint, je l’espère, celle du Synode en cours sur mariage et famille.
Commençons par rappeler trois définitions permettant de mieux situer la réflexion.
La fornication est la relation charnelle occasionnelle entre deux personnes qui ne sont ni mariées ni liées par aucun voeu ou aucune promesse. (A ce terme ancien du latin ecclésiastique – tenant son origine des chambres voûtées, «fornices», où se tenaient les prostituées à Rome – est attaché un sens moral exclusivement négatif)
Le concubinage se caractérise par une promesse implicite de fidélité, la mise en commun des ressources matérielles, la continuité et la régularité des relations.
L’adultère est l’acte de celui ou celle qui viole la loi conjugale de fidélité à son conjoint.
1- C’est parce que deux personnes s’aiment d’amour que leur union peut être sanctifiée par le sacrement de mariage.
Ce n’est pas le sacrement qui transforme une union qui serait en soi mauvaise et défendue en une union désormais bonne et permise.
Cette union est bonne, et même «très bonne», quand elle s’accomplit selon certaines conditions naturelles (et culturelles…!) lui conférant valeur humaine et intégrité. J’énumère : respect et reconnaissance de la dignité de l’autre comme personne à part entière, à l’opposé de son utilisation et traitement comme un simple objet d’expérience, de plaisir, de défoulement… ; soif de connaître et d’éprouver le mystère de l’autre ; expression de l’amour mutuel corps et âme requérant une suffisante maturité biologique, intellectuelle, affective ; désir de s’inscrire dans la durée ; que ceux qui s’unissent soient libres de relations du même ordre avec des tierces personnes ; ouverture au don de la vie pouvant résulter de l’union, cette ouverture étant une attitude générale et pas forcément ponctuelle, c’est à dire liée à telle rencontre particulière.
Il serait souhaitable que les «aimants» soient au clair sur cet ensemble de conditions pour que leur union soit tout à fait bonne et revête une véritable valeur humaine. Et que leur rencontre amoureuse et charnelle, outre l’attrait sensible et passionnel premiers, procède d’une volonté et décision communes allant dans ce sens. C’est cette visée «intégrative» que doit s’efforcer de communiquer une éducation humaniste responsable, à vrai dire influencée par la pensée chrétienne.
Mais il va de soi qu’il y a des degrés dans ces convictions et cette prise de conscience. Il en résulte qu’il faut souvent du temps, des tâtonnements, des erreurs, des fautes – en langage chrétien, les fautes sont des «péchés», – avant de parvenir à une conception élevée et exigeante de l’amour humain.
En dehors de ce contexte, l’union est moralement défectueuse et fautive, normalement à déconseiller. Elle est même à réprouver absolument, si manquent quelques unes des conditions essentielles mentionnées ci-dessus. Car alors on peut dire que l’union amoureuse est tronquée, maltraitée, rabaissée, souvent avilie, immorale… compte tenu de la perfection humaine intrinsèque vers laquelle elle devrait tendre idéalement.
2- Quand il y a mariage, ce sont les partenaires, homme et femme, qui se marient, c’est à dire qui s’engagent ensemble, l’un vis-à-vis de l’autre et face à la société. Ce ne sont pas le maire ou le prêtre qui les marient : ceux-ci sont là pour recevoir et ratifier leur consentement mutuel et leur engagement.
J’insiste : ce n’est pas la bénédiction nuptiale ni l’échange des consentements devant le ministre du Christ et de l’Eglise qui rendent le mariage bon. Il est bon en lui-même.
3 – Cependant, le sacrement donne un plus, important, essentiel pour les chrétiens :
• Premièrement il est célébré explicitement et solennellement devant Dieu, sous son regard et avec sa bénédiction (d’où l’expression consacrée «bénédiction nuptiale»), au sein de la communauté-communion des croyants.
• Ensuite, une dimension nouvelle est associée à l’amour conjugal: le sacrement élève cet amour et le parfait. Comment ? il est appelé à s’accomplir dans le sillage de l’amour du Christ et de l’Eglise. «Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise (et potentiellement l’humanité tout entière) et s’est livré pour elle» (Ephésiens 5, 25)
• Enfin, pris dans cette attraction et cette mouvance, le mariage sacramentel est clairement et explicitement indissoluble. Il est unique et sans retour…
Autre avantage, autre vertu du mariage sacramentel qui, de façon spécifique, dispense la grâce de Dieu : il élève cette réalité déjà très haute, comme on l’a dit, mais aussi il la guérit. Il guérit l’amour de ses carences et blessures actuelles ou à venir, il le fortifie et le garde dans la fidélité.
Tout cela n’est pas automatique (c’est à dire s’opérant par une sorte d’automatisme ou de magie : «ex opere operato», selon l’expression de la théologie scolastique), mais il faut la foi vivante qui offre aux époux la source du salut où ils sont sans cesse invités à puiser.
4- Cette plus grande perfection du mariage chrétien, et même cet accomplissement, ne sont possibles que sur la base de l’amour naturel, c’est à dire de sa réalité antérieure, de son essence profane appartenant à la structure de la création, mais qui est déjà proche du religieux et du sacré, de par la volonté du Créateur qui a dit par la bouche de Jésus : «Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni». Parole qui vaut pour tous les hommes, croyants et incroyants, mais qui doit régir de façon particulière la vie de ceux qui croient en Jésus.
5- Pas question donc de qualifier de «fornication» ou de concubinage, de manière purement négative et méprisante, voire accusatrice, l’union charnelle amoureuse de deux personnes non unies par le mariage, lorsque cette union se veut sincère, généreuse, intégrant fidélité, projet de vie en commun, ouverture à la procréation, et même moins que cela…, que seul le mariage sacramentel viendrait sauver du péché ! La grâce du sacrement guérit et élève, répétons-le, mais ce n’est pas elle qui crée la bonté de l’union des «époux» ou de ceux et celles qui sont appelés à le devenir et le seront peut-être un jour, au sens complet et achevé du mot.
Par le mariage, en effet, ils deviennent mari et femme, époux et épouse, et pas simplement «compagnon et compagne», comme beaucoup se plaisent à dire aujourd’hui, paraissant ainsi se garder une marge de manoeuvre face à un destin unitaire jugé trop contraignant ou trop fragile…
Si ce qui est dit ici de positif sur «fornication» et «concubinage» n’était pas vrai, tous les couples du monde, constitués ou en train de se former, couples chrétiens ou non chrétiens, couples qui ne sont pas unis par le sacrement de mariage ou ne le sont pas encore ou ne le seront jamais… – et parmi les chrétiens, ceux dont la foi ou la pratique ne sont que rudimentaires, peu ou pas confirmées – tous ces couples, la majorité sur la planète aujourd’hui, vivraient dans la fornication et le péché…! Ce qui est faux et insoutenable et insulte gravement à la grandeur et à l’amour de Dieu, créateur du masculin-féminin façonné à son image et ressemblance, et présent dans l’amour authentique de l’homme et de la femme.
6- Réflexion du même type sur l’adultère : je crois qu’il ne concerne pas seulement les infidélités se produisant au sein des couples juridiquement mariés, civilement ou religieusement. Il concerne aussi mais, semble-t-il, à un niveau moindre de responsabilité et de gravité morale, les infidélités affectant les couples fonctionnant de fait sur la base d’un amour sincère et vrai, avec des perspectives de vie commune, vie commune amorcée ou effectivement établie, quoique sans engagement strictement formalisé.
7- Comment l’Eglise serait-elle crédible quand elle exalte la beauté et la grandeur de l’amour humain, si elle s’empressait de dire et de faire savoir que toute union qui n’a pas été célébrée devant elle et avalisée par le sacrement de mariage… compte pratiquement pour rien ou pas grand chose ; et que ceux qui se trouvent dans cette situation, ou y sont passés, vivent ou vivaient dans le péché et, de ce fait, sont entièrement libres par rapport à leurs engagements présents ou antérieurs, au motif que ces derniers sont ou étaient déficients et incomplets ?
8- Sur la base d’un accueil et d’une valorisation de tout ce qu’il y a de positif, de mystérieux et souvent même de religieux dans l’amour humain tel qu’il se vit dans le monde, même souffrant d’imperfections et de déficiences, la proclamation et l’éducation chrétiennes devront se montrer capables de dispenser une vision anthropologique rectifiée, plus complète et plus parfaite, se rapprochant du dessein évangélique de Dieu sur le couple et la famille.
Pour aller plus loin :
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- 8 mars 2014 : le Grenelle de la famille a dévoilé ses conclusions à la Mutualité