À la une du Parisien d’hier, ce très beau titre : « Si on redémarre, c’est grâce à eux ! Karine, Yann, Lourdés, Abdelaadi… Gériatre, caissière, gardienne, brancardier, aide à domicile, porteur de journaux, bénévole. Nos héros du quotidien. Merci à vous. » Chaque soir, nous applaudissons à nos fenêtres les soignants, dont le dévouement, qui va jusqu’à l’héroïsme, se signale d’abord à notre reconnaissance. Mais la société n’aurait pu fonctionner ces dernières semaines sans toutes ces personnes que Le Parisien a bien raison de mettre en évidence. Une situation d’exception met en évidence ce qu’a d’exceptionnel le dévouement et l’engagement de toute cette armée qui a tenu devant l’adversité, avec une constance qui force notre admiration.
Le plus souvent, on est enclin à se polariser sur ce qui ne marche pas. Mettre en accusation nous est plus familier que de dire merci. Et certes, une société se signale aussi à travers ses dysfonctionnements, ses injustices. Beaucoup de philosophes font de la violence des rapports sociaux le fondement du politique, qui intervient pour établir un équilibre et même la paix, en disposant du seul recours légitime à la force. Pour d’autres, c’est la lutte des classes qui est tout simplement le moteur de l’histoire. Ces dernières saisons, l’analyse des politologues a même eu tendance à remettre au premier plan ces antagonismes de classe, qui se seraient durcis avec certains processus de la mondialisation. La pandémie actuelle ne saurait nous faire oublier la révolte des Gilets jaunes qui n’est pas un simple épisode passager.
Pourtant, tous ces antagonismes évidents ne sauraient nous faire oublier d’autres principes de philosophie politique. Si le corps social ne finit pas par éclater et si la révolution rédemptrice tarde à venir, c’est que les citoyens et les producteurs ont aussi besoin les uns des autres, et qu’une sorte de règle de réciprocité demeure sous-jacente au déséquilibre des processus sociaux. Toute société est fondée sur une immense réciprocité de services, sans laquelle elle s’effondrerait. Peut-être la situation exceptionnelle qui est la nôtre nous y rend en ce moment plus sensible. Puissions-nous rendre aux héros du jour l’équivalent des services qu’ils nous offrent si généreusement !
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 12 mai 2020.