La victoire emportée en Italie par la coalition de droite, emmenée par Giorgia Meloni, ne saurait surprendre, pour peu qu’on ait saisi la nature de la crise profonde qui s’est répandue ces dernières années sur l’ensemble des pays occidentaux, États-Unis compris. Bien sûr, il est une façon assez sommaire de traiter le sujet, en dénonçant les périls de la montée de l’extrême droite (p. 8). Tel éditorialiste insiste sur « les origines nauséabondes » de la formation Fratelli d’Italia, à l’image des Démocrates de Suède, formation de droite, qui viennent eux aussi de remporter une victoire électorale dans le pays européen le plus caractéristique du modèle social-démocrate. Il n’est pas douteux que ces dirigeants italiens et suédois ont été familiers d’un extrémisme politique qui conduisait à des pentes dangereuses, si ce n’est franchement condamnables. La question présente consiste à savoir si leur évolution idéologique visant à la dédiabolisation était purement tactique ou correspondait à de vrais changements de fond.
Il ne faut pas s’y tromper : ce qui est inadmissible dans l’extrémisme quel qu’il soit, c’est la légitimation de la transgression morale qui conduit au crime et aux pires atrocités. Sans doute y a-t-il des motifs idéologiques qui facilitent ce passage au-delà des limites permises. Mais c’est la transgression elle-même qui est à réprouver inconditionnellement. Madame Giorgia Meloni semble, en tout cas, en dehors de cette problématique, et plutôt que de l’accuser en vertu de son passé fascisant, il conviendrait plutôt de s’interroger sur sa philosophie politique présente et les principes qu’elle entend mettre en œuvre dans les hautes responsabilités qui sont aujourd’hui les siennes.
De ce point de vue, on peut retenir sa déclaration, lors d’un discours qui a eu une forte résonance en Italie : « Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis une chrétienne et vous ne me le retirerez pas ! » Au moins cette formule d’une belle simplicité a-t-elle le mérite de la limpidité et de la franchise. On peut mettre en question ce christianisme proclamé. Et il ne suffit certes pas de s’affirmer tel pour être exemplaire et déployer dans sa conduite gouvernementale les principes de la morale chrétienne et les conseils évangéliques. Mais on peut aussi s’interroger sur la portée d’une telle déclaration dans la situation de l’Italie et de l’Europe.
Face à la sécularisation
La référence au christianisme n’est pas reçue d’abord comme une profession de foi, bien que Giorgia Meloni ne laisse planer aucun doute sur ses convictions personnelles. Elle est reçue comme une affirmation d’identité alors que des flux d’immigration massive viennent modifier, qu’on le veuille ou non, la physionomie historique d’un pays, son héritage culturel et civilisationnel.
Qu’il y ait équivoque quant à cette notion d’identité, dès lors qu’elle ne se rattache pas à un christianisme vécu dans toutes ses conséquences, n’empêche pas que la redécouverte de leurs racines par des populations sécularisées ne saurait être dédaignée et repoussée. Et il faudrait peut-être faire très attention lorsqu’on se croit obligé de considérer comme caduque l’idée d’une société chrétienne. Ce n’est pas rien d’avoir été engendré dans une civilisation chrétienne.