J’imagine volontiers que mes lecteurs ne sont pas tous à l’aise avec le sanscrit – Par exemple, moi, je ne le suis pas – mais pour ceux qui le sont, je peux leur recommander un journal. Il s’appelle Sudharma et est publié à Mysore, dans le Karnataka, depuis quarante ans, quotidiennement – plus ou moins, quand c’est possible.
En tant qu’addict aux journaux, je l’ai découvert pour la première fois lors d’une visite en Inde il y a vingt ans. A l’époque, il avait du mal. Il y avait peu de publicités, et il avait des problèmes de distribution. Les souscripteurs pouvaient le recevoir par le mail, mais les marchands de journaux refusaient de s’en charger sous prétexte que personne, ou pratiquement personne ne le demandait. J’ai idée qu’il a toujours du mal.
Le fondateur, Varadaraja Iyengar était un homme impressionnant : Il n’était pas seulement éditeur, mais fondateur d’écoles et d’œuvres charitables hindoues ; Il faisait revivre le sanscrit pour une génération de garçons et de filles indiens. Ses propres enfants, et leurs enfants, portent son flambeau.
Heureusement, les éditeurs de Sudharma demeurent jusqu’à aujourd’hui des fanatiques.
La plupart du temps, ils ont derrière eux un collège sanscrit, et le revenu de leur petite imprimerie, qui fait aussi les faireparts de mariage, les formulaires bancaires, et des dépliants publicitaires. Il y a aussi quelques milliers d’abonnés fidèles, pour la plupart des prêtres brahmanes cultivés. Pendant des années, ils ont également pu s’appuyer sur la radio All India, dont le bulletin d’informations quotidiennes les mentionnait toujours.
Et puis, ils ont un monopole. Aucun autre quotidien en sanscrit n’est apparu pour le défier. Si vous voulez lire les nouvelles en sanscrit, ou obtenir des mots croisés dans cette langue, vous n’avez aucun autre endroit vers lequel vous tourner. Sudharma peut aussi prétendre être le plus ancien quotidien en sanscrit de l’Inde.
De nos jours, le New York Times a les mêmes problèmes, comme tous les autres journaux que je connais. De même que Sudharma, il se bat contre un monde qui a perdu le respect de la version papier, du fait d’Internet et de beaucoup d’autres choses. La révolution de Gutemberg a été détournée.
A mon humble mais inlassable avis, ce fut une erreur. Les lecteurs sont mal servis par les media qui ne veulent pas se tenir tranquilles. Personne ne peut discuter avec le grand public, mais pour une minorité, les avantages du texte imprimé – comme de l’écrit recopié avant lui – demeurent incontestables.
Les lecteurs n’ont pas besoin d’un appareil spécial, ne seront pas dérangés par le surgissement de messages, et, « comme l’ont montré des études », la compréhension et la mémorisation de la lecture est beaucoup, beaucoup plus grande pour les mots imprimés.
C’est vrai, l’Internet a mille et un usages domestiques, mais c’est aussi une force abêtissante. Et plus cela devient interactif, plus c’est subversif pour ceux qui s’en servent, et plus cela encourage toutes leurs pires habitudes, en particulier la pensée non linéaire. J’ai découvert que les journalistes pensent à présent principalement « hors de la boite » et semblent ne plus pouvoir y rentrer. Les non-journalistes commencent à penser comme les journalistes – et ne gardent rien dans leurs têtes sinon des obsessions idéologiques.
Nous avons de nouveau besoin de journaux, et en particulier, de journaux en latin. Sudharma pourrait en être l’inspiration.
J’imagine quelque chose de quotidien, sur une simple feuille grand format pliée. Comme il n’aurait probablement pas de publicités, il aurait beaucoup de mots. Ceux-ci devraient, à mon avis, être bien choisis.
Pourquoi en latin ? Pourrait demander un lecteur désinvolte. Un seul journal intelligent, fournissant un survol complet des évènements actuels dans notre langue moderne internationale qu’est l’anglais, serait une innovation suffisamment choquante ?
Mais pensons-y de nouveau : tout ce qui pourrait être lu par presque tout le monde serait trop dangereux.
Un compte rendu honnête et rationnel de ce qui se passe dans le monde serait forcément politiquement incorrect, à l’extrême. Les gens seraient outragés, et l’ACLU1 se précipiterait pour le supprimer. Il y aurait des protestations, et des attaques par l’Antifa2 ; on alléguerait du racisme, de la misogynie, de l’homophobie. Le personnel ne serait pas en sécurité pour venir au travail.
Quiconque serait pris en train de le lire à proximité de l’université serait immédiatement entouré de harpies hurlantes, et sa carrière académique ou autre, serait interrompue. Quelque chose du genre du mouvement « Me too » serait lancé sur twitter pour déraciner ces gens.
Alors qu’un journal en latin passerait bien au-dessous du radar du progrès. Seuls ceux qui peuvent lire le latin le prendraient, et pratiquement tous sont mentalement équilibrés. D’autres essayeraient d’apprendre le latin, pour pouvoir à leur tour découvrir ce dont il s’agit. Leurs efforts seraient une contribution au soubassement catholique où l’usage du latin se propage.
Le latin est un atout crucial à la cause du bon ordre mental. Contrairement à l’anglais, c’est une langue qui « privilégie » la raison et la consistance intellectuelle. Il est extrêmement difficile d’écrire ou de dire des bêtises dans le latin grammatical, alors que c’est si facile dans presque toutes les langues modernes. Par exemple « théorie littéraire », cela ne marche pas en latin.
Comme Reggie Foster, OCD3 – le professeur de latin grincheux préféré de tous – le dirait à ses étudiants : « Je me fiche de votre théorie littéraire ! Si vous ne savez pas quelle heure il est, ou quel est votre nom, ou bien où vous êtes, n’essayez pas de faire du latin parce qu’il vous projettera sur le mur comme une tache de graisse. »
C’est exactement ce dont nous avons besoin, et que nous n’avons pas dans notre monde : une petite île élitiste de santé mentale et de calme spirituel, avec toute la drôlerie de Cicéron et d’Horace ressuscitée. Car le latin « moderne » du 19ème siècle et d’après n’a pas beaucoup « évolué » par rapport à ses antécédents médiévaux et classiques, et n’a besoin que de quelques néologismes pour quelques noms propres.
Un quotidien en latin serait un moyen de les découvrir, et plus généralement de rétablir le latin dans l’exercice de la vie de tous les jours. En tant que langue internationale, cela faciliterait les échanges entre des personnes d’origines linguistiques différentes, et cela restaurerait un peu du cosmopolitisme véritable qui a été éliminé par les « Réformes » du 16ème siècle.
Quel titre donnerons-nous à cette courageuse entreprise ? Je suggèrerais Brevium ad Principes, le titre qui fait table rase du vieux dicastère du Vatican, transformé en un simple bureau de traduction du latin dans la misère post conciliaire. « Messages pour les princes ». Vous ne trouvez pas que cela sonne bien ?
19 janvier 2019
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/01/19/a-brief-to-princes/