Après le concile Vatican II, on peut parler d’une véritable crise de la piété mariale, considérée souvent comme expression d’une religiosité populaire des plus suspectes. On n’a pas de mots assez sévères contre la mariolâtrie. De là à rendre le concile lui-même coupable d’une telle phobie, il n’y a qu’un pas. Mais l’étude du chapitre final de la constitution Lumen gentium suffit à démentir pareille opinion. Ce chapitre est en effet consacré à « la bienheureuse Vierge Marie Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l’Église ». Il n’y a donc nulle équivoque sur la place éminente que Vatican II accorde à la piété mariale, inscrite dans l’économie générale du Salut. Il est vrai que d’aucuns auraient préféré qu’un texte autonome soit consacré à la mère de Dieu, mais le choix des pères du concile s’imposait en raison de motifs théologiques sérieux. Il y avait sans doute danger de glissement vers une religion mariale en soi, même si on l’a exagéré.
Une mission
Paul VI tint lui-même à mettre en évidence la pertinence du culte catholique en faisant acclamer par l’assemblée unanime « Marie, Mère de l’Église ». Il n’empêche que les coups portés à la religion populaire ne furent pas sans conséquences et qu’il faut reconnaître à l’abbé René Laurentin le mérite d’avoir défendu et illustré la piété mariale théologique contre tous les coups qui lui étaient portés. Il était d’autant plus préparé à cette mission qu’il avait soutenu dans sa jeunesse trois thèses universitaires qui annonçaient son premier essai : Court traité sur la Vierge Marie. On ne compte pas le nombre de livres qu’il a publiés sur le sujet jusqu’à sa mort, presque centenaire.
Lourdes
Il faut faire un sort particulier aux années de travail consacrées aux apparitions de Lourdes. Elles donneront lieu à la publication d’une suite de six volumes. L’historien s’est livré à une étude très minutieuse de tous les documents qui mettent en valeur le témoignage de Bernadette. C’est l’évêque de Lourdes, Mgr Théas, qui avait demandé au théologien d’entreprendre ce travail considérable dès 1952. Une telle initiative correspondait à la fois à une volonté de véracité historique mais aussi à une volonté apostolique. Il s’agissait dans l’esprit de ce grand évêque de conforter Lourdes comme centre de pèlerinage international. L’abbé Laurentin permit de faire la lumière sur les faits, en rectifiant certaines erreurs que la voyante avait d’ailleurs dénoncées elle-même. Le centenaire des apparitions en 1958, avec l’inauguration de la grande basilique souterraine Saint-Pie-X par le cardinal Roncalli, futur Jean XXIII, s’inscrit dans le dessein de conférer les plus solides assises historiques et doctrinales à un des plus hauts lieux du catholicisme mondial.
Mais l’abbé Laurentin ne s’est pas seulement intéressé à Lourdes. Il a publié de multiples études sur toutes les apparitions en France (Pontmain, La Salette, la rue du Bac…) sans compter les apparitions dans le monde entier. En 1988, le cardinal Lustiger lui avait demandé de revenir sur le vœu de Louis XIII, dont il voulait célébrer le 350e anniversaire à Notre-Dame de Paris, avec solennité.
La foi des plus humbles
La stature intellectuelle de René Laurentin était impressionnante. Le théologien-historien était aussi exégète. On lui doit ainsi une étude sur les Évangiles de l’enfance. Il aurait pu développer une œuvre dogmatique à l’exemple de ses contemporains qui furent aussi experts au concile. Mais s’il a voulu se concentrer sur la mariologie, ce fut en vertu de ses convictions spirituelles profondes mais aussi de son désir de venir conforter la piété populaire. C’est-à-dire la foi des plus humbles qui voient en Marie leur avocate et leur protectrice devant Dieu. Cela devrait lui être compté au titre de notre reconnaissance et de celle de l’Église. Il est regrettable que sa mort en 2017 ait eu si peu de retentissement dans les médias catholiques, eu égard à ce beau serviteur de l’Église.