UN INOUBLIABLE ÉTÉ - France Catholique
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Noël : Dieu fait homme
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UN INOUBLIABLE ÉTÉ

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Pourquoi tous ces Est-Allemands ont-ils pris soudain leur course vers l’Ouest les 9 et 10 septembre derniers ?1 − Pour venir à la fête de l’Huma. Je dédie cette devinette à M. Marchais2, gracieusement. Il pourra en égayer son prochain discours sur « la supériorité démontrée » − comme il l’a dit justement à cette fête − « du système communiste sur le système capitaliste. » Je ne la dédie pas aux nouveaux dirigeants de la Pologne qui, eux, n’ont pas l’esprit à rire. Comme le disait M. Gieremek, « quand on renverse un régime nazi, ce qu’on retrouve, c’est une société ordinaire. Quand on renverse un régime communiste on ne trouve que le néant. »3 M. Gieremek et ses amis sont, dans l’histoire et même la préhistoire (a), les premiers dirigeants qui héritent d’une société morte, d’une non-société, d’où a été effacée jusqu’à l’expérience du « doit » et « avoir », du budget, du troc, du mouvement spontané des biens. Le « sage » Caton, père de la conscience romaine, recommandait de vendre au plus tôt les vieux esclaves coûtant plus qu’ils ne rapportent. Atroce sagesse, mais enfin, une loi ou une révolte peut libérer les esclaves. Telle île caraïbe se libéra en tuant tous ses maîtres. Dans les pays de l’Est en voie de perestroïka il n’y a (Dieu merci) personne à tuer. Le mouvement des biens ayant été planifié et le plan s’enfonçant dans la panne, personne ne sait ce qu’il faut faire. Personne ! Rétablir la répression ? Certains en rêvent. Mais nulle part la panne n’est plus grave que là où la répression a gardé toute sa virulence, en Roumanie, à Cuba, au Viêtnam. La preuve est faite qu’elle est la cause de la panne. On peut obtenir trois pas de plus d’un cheval moribond en cognant de dessus. Mais si c’est des coups déjà reçus qu’il meurt ? Ce n’est pas par hasard que Lyssenko fut le biologiste de Staline. Lyssenko enseignait l’hérédité des caractères acquis ; donc, dans le cas de l’homme, la transmission des mœurs imposées par la force. L’homme était, selon l’expression de Mao, une « page blanche ». On inscrivait dessus la Pensée de Mao, ou de Staline, et celle-ci se trouvait inscrite dans la prochaine portée humaine4. Outre qu’il faut je ne dis même pas un orgueil, mais une bêtise considérable pour se croire détenteur de la pensée modèle, il y avait là, tout de même, une assez belle incohérence : comment peut-on croire que la page est blanche, et en même temps que ce qu’on écrit dessus sera transmis ? Alors, la prochaine génération ne naîtra pas blanche ? On voit la logique du goulag : les pages souillées par une autre écriture, on les arrache par millions, et au feu. C’est plus beau que Caton, mais foin de détails, on l’a fait. On l’a fait, et c’est l’échec. M. Gorbatchev instaure la « glasnost », un peu de jour se fait, et que découvre-t-on ? Un monde apparemment figé dans son image de 1917 : les religions, les nationalités, les particularismes tels qu’ils étaient à la mort du Tsar. Rien ou presque n’a changé. Glasnost et perestroïka portent le nom de M. Gorbatchev. Mais on voit bien, à ce qui se passe, que cela se fût passé de toute façon, un peu plus tôt, un peu plus tard, sous ce nom ou un autre. Ce qui n’ôte rien au mérite de M. Gorbatchev, l’homme qui entreprit contre tout espoir et persévère dans l’insuccès. L’hiver approche. Pour tous les peuples de l’Est il va être éprouvant, peut-être terrible. Puissions-nous surmonter notre égoïsme et aider à le franchir au moins ceux qui comptent sur nous5. Soit dit en passant, on découvre un nouveau président américain, bien plus calculateur, froid, voire impitoyable que le précédent. L’ex-ennemi vient à Washington la corde au cou (car c’est cela, l’acceptation de l’IDS), et que fait M. Bush ? Il lui parle ! Avec douceur, distraitement, l’esprit déjà tourné vers l’autre, le vrai concurrent, le Japon6. La Russie n’est plus qu’un problème européen, à nous de nous arranger de son effondrement. Même la Pologne a perdu tout intérêt. D’ailleurs en Amérique les « histoires belges » sont « polonaises ». Courageux certes, ces Polonais, mais quant à les aider à survivre on n’est plus en 1918. Et nous, qu’allons-nous faire ? Je ne sais pourquoi je continue de penser (si l’on peut dire) à haute voix sur des événements qui se feront sans moi, surtout après avoir écrit et un peu rabâché qu’en histoire la seule loi démontrée est qu’il suffit qu’un fait ait été annoncé pour qu’il ne se produise pas. Quand une vérité vient à être dite, ce ne peut être que par inspiration divine, vox clamans in deserto. Mais ce n’est pas l’habitude de Dieu d’annoncer ses desseins. Laissons donc les faits venir à nous en les aidant à se produire le moins mal possible. Amen. On ne parle plus de Pons et Fleischman et de leur « fusion froide »7. Cela ne veut pas dire qu’on ne fait rien. Ce qui se passe, c’est qu’on a reconnu la difficulté de contrôler les « conditions initiales ». Les deux physiciens admettent que quand quelque chose d’inhabituel se passe dans leur pile, ils ne savent pas encore pourquoi. Les théoriciens appelés à la rescousse proposent tout un éventail d’hypothèses dont certaines laisseraient prévoir une fusion « tiède », c’est-à-dire se produisant à des températures déjà contrôlées. Tiède ou froide ou même normale (c’est-à-dire à la température des étoiles et des appareils appelés tokamaks) la fusion sera domestiquée, à moins qu’on ne découvre un procédé différent pour libérer l’énergie du noyau atomique. Car il en existe peut-être un autre. L’enjeu c’est l’énergie pour rien. À haute température, ne resteront à payer que la centrale et le transport. A basse température, pour donner une image, vous tirerez à volonté d’un engin gros comme une valise de quoi faire tourner votre vie durant tous vos engins électriques, y compris l’auto, le train, l’avion, le navire. Y compris la fusée. Fin du pétrole et autres combustibles… Qu’ils aient ou non trouvé quelque chose, ces deux savants ont bien de la chance d’être, l’un anglais, l’autre américain. On les a copieusement insultés, mais ils ont pu faire connaître leur expérience : ils parlent la langue où l’on est lu. J’en demande pardon à MM. Decaux, Dutourd et à tous les vaillants combattants de la francophonie, mais que se passerait-il si les Japonais, les Suédois, les Russes, les Hongrois s’obstinaient à ne publier leurs résultats scientifiques que dans leur langue, éminemment respectable, mais qu’ils sont pratiquement seuls à connaître ? En revanche, ils sont en passe de tous baragouiner ce que l’ami Dutourd appelle le « patois atlantique » une sorte d’anglais qui chagrinerait Shakespeare mais rend bien des services pour voyager et « se tenir au courant ». Quand je lis la Correspondance de Descartes avec Élisabeth de Bohème – et d’ailleurs surtout les lettres de la géniale jeune princesse – l’envie me prend de pleurer. Est-il possible qu’une langue si parfaite, si universelle, que toute personne cultivée parla pendant un siècle et demi, ait été abandonnée pour le patois atlantique ? C’est ainsi pourtant, et ce n’est pas la première fois. Le grec de Thucydide aussi est mort. Et le provençal que parlaient Dante et Pétrarque. Cependant cette fois je crois que, grâce à l’Europe, cela se passera différemment. Je crois que nous allons vers le bilinguisme. Une certaine sorte de bilinguisme, où l’on parlera français en France, allemand en Allemagne, etc., mais où tout le monde disposera du basic english. Certains linguistes prétendent que cela ne dure pas et que les langues locales finissent pas disparaître. Mais le Français a-t-il effacé les langues d’Europe au 17e et 18e siècles ? Bien au contraire, il donna à Pouchkine et Gogol l’envie de raconter leur âme dans la langue de leur berceau. Et pourtant ils maîtrisent le parler de Voltaire. On le voit dans leurs lettres. C’est là une longue discussion où pour cette fois je n’irai pas plus loin. Mais voici mon avis : il faut adopter 1’anglais comme interlingua pour sauver les autres langues européennes8. Aimé MICHEL (a) On peut lire dans le livre du Pr Jean Guilaine La France d’avant la France, 1980 (Pluriel). p. 119, que vers 4000 ans avant notre ère il existait à Plussulien, dans les Côtes du Nord, un gisement et des fabriques d’outils en pierre taillées qui s’exportaient jusqu’en Angleterre, dans les Alpes et la Vallée du Rhin. D’une façon ou d’une autre, la circulation des biens fonctionnait9. De quoi faire rêver le Moscovite qui sait que ce qui lui manque pourrit quelque part dans un entrepôt… Chronique n° 469 parue dans France Catholique − N° 2228 − 27 octobre 1989 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 26 novembre 2018

 

  1. La fuite en nombre des Allemands de l’Est vers la République Fédérale Allemande commence le 19 août 1989, lorsque près de cinq cents d’entre eux franchissent clandestinement la frontière austro-hongroise pour gagner la RFA via l’Autriche. Comme les autorités est-allemandes refusent tout arrangement avec la RFA, leurs ressortissants sont de plus en plus nombreux à passer ainsi à l’Ouest. Le 7 septembre, Gorbatchev est à Berlin auprès de son « ami » Erich Honecker à l’occasion du 40e anniversaire de la création de la RDA où la foule l’acclame aux cris de « Liberté ! » Le 10 septembre, les autorités hongroises ouvrent la frontière avec l’Autriche : des milliers d’Allemands de l’Est venus en Hongrie pour des vacances rejoignent alors la RFA. Cette décision a probablement pour but de montrer à la population hongroise et au gouvernement ouest-allemand (dont la Hongrie attend une aide économique) que le régime en place à Budapest depuis mai 1988 s’est vraiment réformé. Il est vrai que le parti communiste hongrois a consenti aux réformistes des concessions sans précédent : abandon du rôle directeur du Parti (rebaptisé « socialiste »), droit de réunion et d’association, suppression du « rideau de fer » à la frontière austro-hongroise… L’ouverture de la frontière n’en demeure pas moins surprenante parce qu’elle rompt le traité qui lie la Hongrie à la RDA, si bien qu’on peut se demander si elle n’a pas été encouragée par Moscou. Nul n’ignore que Gorbatchev, en grande partie pour contrer ses opposants « conservateurs », fait pression sur la « bande des quatre », à savoir l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Bulgarie, pour qu’elle abandonne ses mœurs héritées de Staline et de Brejnev et se mette à son tour à la perestroïka comme la Pologne et la Hongrie. De fait, l’exode de leurs compatriotes encourage les Est-Allemands à descendre dans la rue et à réclamer des réformes dans un pays miné par de profondes difficultés socio-économiques. Le 16 octobre, 120 000 personnes à Leipzig réclament la démocratie et la manifestation s’étend à d’autres villes dans les jours qui suivent. Le 18 octobre, elles contraignent Honecker à céder le pouvoir à son dauphin, Egon Krenz. Celui-ci tente d’instaurer une perestroïka mais le peuple sait désormais que le pouvoir ne le réprimera pas par la force. Le 9 novembre, il doit accepter le libre passage à l’Ouest mais les Berlinois répondent en détruisant le Mur. Egon Krenz est contraint à la démission. C’est la fin du régime. Les élections libres du 18 mars 1990 conduisent à une nouvelle assemblée qui, le 3 août, opte pour une réunification rapide avec la RFA. C’est ainsi que la RDA disparait le 3 octobre à minuit, 41 ans presque jour pour jour après sa création le 10 octobre 1949. Il est douteux que Gorbatchev ait voulu la fin de la RDA, contrairement à ce qu’il prétendra plus tard. Il souhaitait certainement une libéralisation des régimes d’Europe de l’Est mais non la dissolution du Pacte de Varsovie. Il pensait sans doute que les changements se feraient graduellement. En réalité, il a perdu le contrôle de la situation d’autant plus que les vieilles méthodes (l’intervention armée) n’étaient plus possibles pour des raisons politiques et socio-économiques : Gorbatchev avait besoin de l’Occident, ses caisses étaient vides et son armée, démoralisée. La « libération » de l’Europe s’est faite malgré lui parce qu’il ne pouvait pas l’empêcher.
  2. Sur Georges Marchais, Premier secrétaire du Parti communiste français, voir la note 2 de la chronique n° 462.
  3. L’historien Bronislaw Gieremek (1932-2008), l’un des membres fondateurs du syndicat Solidarité auprès de Lech Walesa, a été ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2000 (voir note 5 de n° 321, Le chasseur et son chien – Quelques idées non politiques sur le problème chinois). Son diagnostic sur l’état de la société après plusieurs décennies de communisme est confirmé par de nombreux historiens. Ainsi, Martin Malia, qui a été professeur à l’université de Californie (Berkeley) et professeur associé au Collège de France, constate : « l’un des aspects du communisme les plus débilitants et les plus incompatibles avec la modernité [est] son impact sur les mentalités : le communisme laisse derrière lui un égalitarisme envieux, la promptitude à taxer de “spéculation” toute manifestation de l’esprit d’entreprise, le réflexe d’obéir à des ordres administratifs plutôt que d’être à l’écoute du marché, le linceul jeté par le marxisme-léninisme sur tout exercice de la pensée critique. À tout cela vient s’ajouter la prise de conscience déprimante que des sacrifices sans fin n’ont abouti qu’à un désastre : on entend souvent dire en Russie que le pays a perdu “soixante-dix ans sur une route qui ne menait nulle part. » (La tragédie soviétique. Histoire du socialisme en Russie 1917-1991, trad. J.-P. Bardos, Seuil, Paris, 1995, p. 623). La presse et la littérature soviétiques fournissent de nombreux exemples des traits de mentalité relevés par Malia : « Nous sommes des ennemis les uns à l’égard des autres, il n’y a rien d’autre entre nous que de l’hostilité » (Zalyguine, écrivain, dans Literatournaïa Gazeta, 17 février 1988) ; « Nous sommes dépourvus de droits même du simple point de vue de la vie quotidienne. Nos contacts avec les administrations des hôtels, les caissières des chemins de fer, les vendeurs (…) ne sont qu’une longue suite d’humiliations (…). Cette absence de droits se compense parfois de manière inattendue – par le désir d’humilier autrui. » (L. G., 5 octobre 1988) ; « Une de nos principales erreurs réside en ceci qu’(…) occupés à construire un monde nouveau nous n’avons pas attaché d’importance à l’action destructrice de l’envie (…). Tant que nous ne mettrons pas une sourdine à l’envie, le succès de la pérestroïka est douteux. » (Pravda, 30 mai 1988). Françoise Thom, agrégée de russe, attachée de recherche à l’Institut français de polémologie, qui rapporte ces extraits de la presse soviétique, commente : « en fait, la Pravda omet prudemment de dire que l’envie constitue le ressort du socialisme, et que la “passion égalitariste” maintenant déplorée par les autorités a été inculquée aux Soviétiques durant des décennies. » L’auteur poursuit : « L’absence de liberté, l’habitude d’être pris en charge dès l’enfance par l’État-Parti, la pénalisation systématique de l’initiative personnelle expliquent d’autres caractéristiques du citoyen communiste » : indifférence, refus de prendre des responsabilités, tendance à s’en remettre à l’État pour tous les problèmes de l’existence (ce que les autorités appellent « mentalité de parasite »)… (Le moment Gorbatchev, coll. Pluriel, Hachette, Paris, 1991, 2016, pp. 17-18).
  4. Sur l’agronome Trofim Lyssenko, protégé de Staline de sinistre mémoire, voir la chronique n° 268, Lyssenko est toujours vivant – À propos d’un livre de Pierre-Paul Grassé, 08.06.2015. Aimé Michel y explique le lien entre l’hérédité des caractères acquis et l’avènement de l’homme nouveau dans l’idéologie de la table rase (ou de la page blanche). Une autre raison du succès de Lyssenko auprès de Staline est le fondement déterministe de ses thèses génétiques en opposition avec l’indéterminisme de la génétique mendélienne (voir les notes 5 et 6 de la chronique n° 268).
  5. Les craintes d’Aimé Michel quant à l’hiver qui s’approche étaient amplement justifiés par l’échec patent des réformes économiques tentées par Gorbatchev. Il en est question dans la précédente chronique de cette série consacrée à l’URSS de Gorbatchev : « La tragédie de l’Est, spécialement de la Russie, c’est la brièveté du temps. À part un miracle pour lequel on doit prier, on ne voit pas ce qui pourrait lui épargner le chaos. » (n° 465, « Passant, va dire à Sparte » – Le socialisme existe par opposition au capitalisme, lequel n’existe pas, publiée initialement en juin 1989). Gorbatchev était conscient que l’économie de l’URSS était dans une crise telle que son statut de superpuissance en était menacé. Les mesures mises en œuvre en 1986 comme le système de contrôle de la qualité des productions industrielles, la campagne contre les activités économiques clandestines et celle contre l’alcoolisme sont décevantes voire contre-productives : les inspecteurs qui contrôlent la qualité ne peuvent pas corriger la vétusté des équipements ni la médiocrité des matières premières, ils finissent par baisser les bras ; la loi contre les revenus illégaux s’applique d’abord aux kolkhoziens qui tentent de vendre les produits de leur lopin de terre, ce qui vide les marchés et dégrade fortement l’approvisionnement ; les revenus tirés par l’État de la vente des alcools s’effondrent sans que l’alcoolisme régresse, au contraire les intoxications se multiplient, la distillation clandestine explose au point de provoquer une pénurie de sucre ! D’autres mesures sont prises l’année suivante visant à donner plus d’autonomie aux entreprises d’État et à autoriser l’« activité professionnelle individuelle » notamment sous forme de « coopératives », mais là encore les résultats ne sont pas au rendez-vous : la production de biens de consommation baisse, les prix augmentent, les coopérateurs se heurtent aux bureaucrates locaux et à l’hostilité de la population. Ne sachant que manier la trique et le bâton, les autorités s’avèrent incapables de réguler et de construire. En 1990, Gorbatchev lui-même le reconnaîtra : « Quand nous avons commencé, nous n’avions pas une vision claire de la gravité du problème auquel nous étions confrontés. » (Cité par Martin Malia, op. cit., p. 539). Pourquoi Gorbatchev a-t-il échoué là où Deng Xiaoping a réussi ? La différence des points de départ suffit à l’expliquer. En 1979, quand Deng lance sa réforme, les paysans forment 80% de la population chinoise. Il suffit de les laisser produire et vendre en ville pour que les effets bénéfiques s’en fassent immédiatement sentir et que la croissance s’envole sans qu’il soit nécessaire de réformer le système politique. En URSS, depuis la collectivisation forcée de l’agriculture (avec déportations et famines) par Staline de 1929 à 1933, il n’y a plus ni paysans ni artisans mais des kolkhoziens démotivés (voir la chronique n° 232, Un printemps explosif à Moscou – Les problèmes de l’agriculture soviétique) et une industrie vieillissante en détérioration constante, tout comme le reste des infrastructures.
  6. En 1989, le rival des États-Unis est encore le Japon, pas encore la Chine !
  7. L’affaire de la fusion froide éclata le 23 mars 1989, lorsque deux chimistes de l’université de l’Utah, Martin Fleischmann et Stanley Pons, annoncèrent à la presse qu’ils avaient obtenu une réaction de fusion de l’hydrogène en hélium sur une paillasse de leur laboratoire… On dispose aujourd’hui d’un excellent compte-rendu de cette affaire par deux sociologues des sciences, l’Anglais Harry Collins de l’université de Bath et l’Américain Trevor Pinch de l’université Cornell : « Le soleil dans une éprouvette : l’histoire de la fusion froide » dans Tout ce que vous devriez savoir sur la science (trad. fr. T. Piellat, coll. Points S142, Seuil, 1994). Selon Pons et Fleischmann la fusion était attestée par trois indices : la chaleur dégagée, l’émission de neutrons et l’apparition de tritium (un isotope de l’hydrogène dont le noyau contient un proton et deux neutrons). Cette annonce était fort surprenante parce que l’appareil des deux chimistes était très simple : deux électrodes (l’une en palladium, l’autre en platine) plongeant dans de l’eau lourde (l’hydrogène y est remplacé par un autre isotope, le deutérium dont le noyau contient un proton et un neutron) rendue conductrice par ajout d’un peu de sel (deutéroxyde de lithium), et parce que les physiciens tenaient la réaction de fusion pour impossible dans ces conditions. La surprise s’accrut dans la semaine qui suivit, lorsqu’on on apprit qu’une seconde équipe dirigée par le physicien Steven Jones, également en Utah, avait détecté quant à elle, non un fort dégagement de chaleur, mais une émission de neutrons. En fait, Jones travaillait sur ce sujet depuis 1982 et avait obtenu des résultats encourageants indiquant la production de neutrons. Il n’apprit le travail de Pons et Fleischmann qu’en 1988. Les deux équipes se concertèrent mais des malentendus s’installèrent. Pons et Fleischmann, motivés par la possibilité d’applications commerciales, décidèrent seuls de donner la conférence de presse du 23 mars. Cela rendit Pons furieux, d’autant qu’il minimisait les aspects commerciaux. Sans l’intervention de ses rivaux, Pons, dont la réputation dans ce domaine était solide, aurait pu facilement établir la fusion d’une petite quantité de deutérium en hélium dans le palladium, mais il fut finalement l’objet des mêmes suspicions que les deux chimistes qui étaient des néophytes en matière de fusion. De nombreux laboratoires tentèrent de reproduire ces expériences avec le peu d’informations disponibles. Plusieurs, dans divers pays, annoncèrent des succès mais la plupart ne constataient rien. Des doutes commencèrent à se faire jour parce que certains résultats positifs s’avérèrent résulter d’erreurs expérimentales et que des équipes renommées au MIT et au Cal Tech firent état de résultats négatifs. En mai 1989, au congrès de la Société américaine de physique, les critiques de Nathan Lewis du Cal Tech semblèrent porter un coup fatal à la fusion froide mais il apparut par la suite qu’elles étaient mal fondées. La confirmation de la présence de tritium par plusieurs laboratoires (en Inde, à Los Alamos, au Texas) ne put convaincre les sceptiques car le tritium est un contaminant de l’eau lourde. Les détracteurs se fondaient sur les résultats négatifs et expliquaient les résultats positifs par l’incompétence ; et les défenseurs invoquaient l’inaptitude à reproduire correctement les expériences ayant donné des résultats positifs ; c’est d’ailleurs une règle dans toute controverse de ce genre. En tout état de cause, les partisans de la fusion froide ne pouvaient pas espérer l’emporter sans être mis sur la sellette par une communauté aussi puissante que celle des physiciens nucléaires. Ces derniers attaquèrent sur leur terrain : la mesure des émissions de neutrons. Ils mirent ainsi Pons et Fleischmann en difficulté alors que le principal argument de ces derniers portait sur le dégagement de chaleur ; de fait leur article, publié en juillet 1990, ne traitait que de la chaleur et pas des neutrons. Malheureusement pour eux, la plupart des chercheurs considéraient que l’émission de neutrons était le seul argument probant de la fusion, et que le dégagement de chaleur n’était qu’une simple anomalie, sans doute d’origine chimique. L’affaire de la fusion froide s’acheva par un total discrédit. Effet collatéral : le gramme de palladium qui valait 4,7 dollars en mars 1989 et était monté à 5,5 dollars en mai, chuta rapidement par la suite pour retomber à 3 dollars en octobre 1992 ! Cependant, Collins et Pinch lavent les deux chimistes de l’accusation d’âpreté au gain et de recherche de publicité à tout prix ; ils relativisent également l’accusation portée contre eux à grand bruit par le physicien Franck Close, et reprise par le journaliste William Broad, d’avoir trafiqué certaines données. Ils commentent le comportement des scientifiques impliqués et la pression des médias et des autorités en ces termes : « Il est inconcevable de revenir en arrière, à un Âge d’or mythique où tous les savants étaient de purs gentlemen (il n’y en a jamais eu, comme les récents développements de l’histoire des sciences nous l’ont montré). La fusion froide fait apparaitre la science telle qu’elle est. C’est l’image d’Épinal que nous nous faisons d’elle qui a besoin d’être révisée et non la manière dont la science se fait. » Remarque pertinente que l’on gardera présente à l’esprit dans toutes les controverses scientifiques, qu’elles soient relativement brèves comme celle-ci (bien qu’elle ait été précédée par celle des transmutations biologiques, voir n° 210) ou la mémoire de l’eau (objet d’une chronique à paraitre), ou plus longues comme celles sur les ovnis (71 ans, voir note 3 de la n° 296), le linceul de Turin (120 ans, n° 455) ou la parapsychologie (plus de deux siècles, note 8 de n° 344).
  8. La première prévision d’Aimé Michel s’est déjà largement réalisée : le bilinguisme s’est presque imposé partout avec l’anglais de base (dit globish) comme langue véhiculaire, même si la France est à la traine dans ce mouvement (avant-dernière place en Europe selon une étude récente, voir www.ef.fr/epi). La seconde prévision, sur le maintien malgré tout des langues locales est plus difficile à évaluer. Les entreprises trouvent commode d’utiliser l’anglais en interne et les commerciaux n’hésitent plus à y recourir pour nommer leurs produits et en faire la publicité ; les distributeurs font de même pour les titres de film (même sans raison, par exemple dans le film Cold War de Paweł Pawlikowski, aucune scène n’est anglophone ni en pays anglophone) et les éditeurs pour les titres de livres ; les ingénieurs, scientifiques et journalistes ne sont pas en reste et promeuvent avec empressement des mots anglais même lorsqu’ils sont inutiles (cf. sample, paddle, low cost, deadline, call center, slide, etc.). Une bonne partie des Français s’est mise au diapason, par effet de mode, inconscience ou paresse. Cette anglomanie est-elle un effet passager ou est-elle destinée à devenir la règle ? En tout cas, le recul de la connaissance du français écrit par les jeunes générations (bien visible sur le web et dont on ne trouve pas l’équivalent dans les sites de langue anglaise) n’est pas un signe encourageant et ne présage pas d’un retournement rapide de la situation.
  9. Le site de Quelfenec, à 2 km du bourg de Plussulien (Côtes d’Armor), a été découvert en 1964 par l’archéologue Charles-Tanguy Le Roux. On y a extrait la métadolérite pendant plus de deux millénaires, à partir de 4200 av. J.-C. mais surtout de 3700 à 2400 av. J.-C. Ces blocs de roche éruptive dense et dure servaient à la fabrication de haches polies de grande qualité. Les fouilles ont montré que c’était un des plus grands sites européens de production de haches. Ces haches servaient depuis le 5e millénaire au défrichement des forêts et à leur transformation en champs cultivés par les populations néolithiques qui ont construit les mégalithes. Leur usage cessa à partir de la fin du 3e millénaire, sauf pour les usages religieux funéraires, en raison de leur remplacement par des haches métalliques. Le gisement qui s’étendait au départ sur dix hectares a été exploité jusqu’à épuisement. C.-T. Le Roux estime que deux ou trois millions de haches ont été produites à Plussulien. Chacune nécessitait une journée de travail. Les opérations de fabrication ont pu être reconstituées en détail grâce aux abondants déchets lithiques (90 % des blocs étaient perdus). Leur dissémination dans toute l’Europe occidentale révèle l’ampleur des déplacements des hommes de cette époque et des échanges entre eux. Référence : Erwan Chartier-Le Floch « Une “usine” de haches préhistoriques à Plussulien », Archéologie, 2009, http://ablogjeanfloch.over-blog.com/article-29178053.html.