Rendant compte, succinctement bien sûr, de la visite du Pape au Maroc, je n’avais souligné que la dimension interreligieuse de l’événement. Dimension qui est déjà d’une grande complexité, comme le montre l’analyse de la notion de dialogue interreligieux qui est d’une autre nature que le dialogue œcuménique, celui-ci concernant les différentes branches du christianisme. Mais la lecture de mes confrères, notamment du Figaro et du Monde m’invite à examiner un autre aspect du message que François a voulu transmettre depuis Rabat. « Au Maroc, titre Le Monde, le pape François plaide la cause des migrants. » Le Figaro est encore plus explicite : « Le Pape appelle l’Europe à accueillir plus de migrants. »
Est-il utile de préciser que le sujet est plus que brûlant. Il provoque d’ailleurs dans le même quotidien un éditorial certes courtois mais fortement critique de Vincent Trémolet de Villers qui objecte au Pape : « Ce n’est pourtant pas être obtus, recroquevillé, égoïste que de mesurer les déséquilibres impressionnants que provoque le grand déménagement du monde. Les pays d’Afrique subissent l’hémorragie de ceux qui pourraient constituer leur classe moyenne, les passeurs s’enrichissent sur ces drames humains, la Méditerranée est un cimetière, les pays d’accueil ne savent plus comment intégrer ces nouvelles populations. »
Il faut l’admettre. Il y a désaccord sur la question de l’immigration non seulement parmi les fidèles mais aussi parmi les membres de la hiérarchie catholique. Le cardinal Robert Sarah, qui est pourtant d’origine africaine, fait entendre dans un livre récent une analyse différente du pape, dont il est un des collaborateurs (Le soir approche et déjà le jour baisse, Fayard). Il redoute pour l’Europe de graves déséquilibres et pour l’Afrique un rêve dangereux et illusoire. Faut-il s’alarmer de ces différences d’analyse ? Si elles aboutissaient à des fractures dans le corps ecclésial, sans doute. Il faut espérer qu’elles nous seront épargnées. Ajoutons que le phénomène des migrations est lui aussi d’une grande complexité, qu’il met en œuvre beaucoup de paramètres. Pierre Jova en rend compte dans une enquête riche d’observations, dont la lecture est éclairante, Les chrétiens face aux migrants aux éditions Tallandier. Son principal mérite est de donner des visages à ce phénomène que l’on réduirait facilement à des abstractions polémiques.