Avant de découvrir Soljenitsyne, avez-vous été sous l’influence de la pensée marxiste ?
Bernard-Henry Lévy : Oui, bien sûr ! J’étais marxiste-léniniste, vaguement maoïste, influencé par la pensée de Louis Althusser dont j’étais devenu proche rue d’Ulm. C’était un marxisme compliqué, qui se servait de l’exemple chinois pour déconsidérer le marxisme soviétique. Mais c’était un marxisme. Aujourd’hui, j’aurais le plus grand mal à relire mon tout premier livre paru en 1973, Les Indes Rouges, consacré à la guerre de libération du Bengladesh contre le Pakistan, et imprégné de cette phraséologie marxiste-léniniste maoïste.
Quelle était votre perception de Soljenitsyne avant la publication de L’Archipel du Goulag en 1974 ?
Je devais partager le préjugé commun de l’extrême gauche, ou même de la gauche intellectuelle en général, qui le caricaturait comme un penseur grand-russe et réactionnaire. Puis vint la lecture de L’Archipel du Goulag. L’un des très grands chocs littéraires et politiques de mon existence. Peut-être le plus grand. André Glucksmann, bouleversé lui aussi, publie en 1975 La cuisinière et le mangeur d’hommes. Un livre majeur. Dont je suis l’un des premiers à rendre compte dans Le Nouvel Observateur.
De quoi L’Archipel du Goulag vous fait-il prendre conscience ?
Ce livre me fait comprendre que le marxisme est une idéologie qui tue et qui asservit, et qui – pire encore – conduit l’homme à ne plus s’insurger contre le fait d’être tué et asservi. Avec Soljenitsyne, je perçois qu’il s’agit là de la plus performante des idéologies de la servitude volontaire. Contrairement à ce que je pensais jusqu’alors, je découvre que le marxisme n’enjoint pas les hommes à se révolter, mais à se soumettre. C’est une pensée de fer, de granit et, encore une fois, de soumission.
Une lecture purement historique ne permet donc pas de comprendre l’essence du Goulag ?
Soljenitsyne dit l’horreur brute d’un système purement atroce et diabolique. Quand on le lit, et qu’on n’est pas complètement fermé au questionnement métaphysique et transcendantal, surgit l’idée de l’irruption de l’enfer sur terre, de la main du Diable à l’œuvre parmi les hommes. Quelque chose d’irréductible à toute explication politique.
Retrouver l’intégralité de l’entretien dans notre magazine.
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Photo © Jean Christophe Marmara