Se remettre de la démence culturelle - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Se remettre de la démence culturelle

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L’autre jour, à l’université Thomas More, j’ai eu une expérience jamais vécue durant mes trente-quatre années d’enseignement universitaire. J’étais resté dans la classe après le cours, bavardant avec plusieurs étudiants qui n’avaient pas besoin de se dépêcher parce que le cours finissait à 11h et que la messe ne commencerait pas avant 11h 30. Une étudiante, la seule sur une classe de vingt-cinq, avait passé deux ans dans un lycée public, et nous parlions des différentes formes de littérature qui y étaient ou non enseignées – de même que dans quasiment n’importe quel lycée public ou privé.

Elle m’a dit une chose que je soupçonnais, et une autre que, dans ma naïveté, je n’avais jamais imaginée. Cette chose étant que pratiquement aucun élève ne lit aucun des romans prescrits par les enseignants. Ils lisent de mauvaises anti-sèches sur internet. On ne se délecte pas de Charles Dickens, j’imagine. C’est un peu comme être au parc de Yellowstone mais rester dans sa chambre d’hôtel, regarder quelques photos des lieux, jouer à des jeux vidéo, regarder du porno et ne pas prendre la peine de mettre le nez dehors. La chose que je soupçonnais, parce qu’elle confirme ce que j’ai vu toutes ces années, est que la poésie a été presque entièrement abandonnée.

J’estime qu’il y a trois raisons à cela.

L’une est que les enseignants eux-mêmes ignorent la poésie, parce que nous sommes dans la troisième génération qui la néglige.

Une autre est que la poésie est considérée comme difficile. La poésie moderne est difficile parce que les poètes modernes se font plaisir dans des distorsions et des dislocations de langage. La poésie plus ancienne est « difficile » pour la même raison que Dickens est supposé l’être : notre éventail linguistique est limité.

La troisième raison est que vous ne pouvez pas enseigner la poésie ancienne sans une connaissance étendue de la foi chrétienne et sans la volonté d’assumer leurs façons de vivre qui ne sont pas les nôtres. Le multi-culturalisme pourrait plus justement être appelé le multi-modernisme : le même vieux modernisme, éreintant jusqu’à la mort, s’affublant d’une grande variété de vêtements. C’est à bailler d’ennui.

Mais mes étudiants aiment la poésie, et l’un d’entre eux a évoqué les poèmes de Gerard Manley Hopkins. Nous allons avoir une Nuit de la Poésie, alors ils évoquaient les possibilités d’une séance de lecture. Cela les fait aller de l’avant, et tout d’un coup, à trois, nous avons commencé à réciter sans une hésitation son célèbre sonnet « La majesté de Dieu »  :

Le monde est imprégné de la grandeur de Dieu ;

Elle flamboiera comme un reflet sur une feuille d’alu froissée ;

Elle se rassemble et s’amplifie, comme l’huile giclée

D’un écrasement. Pourquoi de Sa houlette les hommes se soucient peu ?

Des générations ont marché, marché, en un milieu

Où tout est avide de négoce, brouillé, de labeur souillé,

Portant la crasse de l’homme et sa puanteur partagée :

Le sol est nu maintenant, coupé du pied chaussé.

.

Pourtant malgré cela, Nature n’est jamais épuisée :

Là, au plus profond des choses vit la pure fraîcheur,

Et lors qu’une ultime lueur s’éteint à l’occident foncé,

Oh, matin, surgis des brunes frontières de l’orient, vainqueur,

Car l’Esprit Saint de Dieu sur le monde écrasé

Veille, tiède haleine, ailes radieuses, protecteur.

.

Dans toute ma carrière, il ne s’était jamais rien passé de tel.

Mos amandi, mos cantadi : nous devons aimer comme nous chantons. Si nous ne chantons pas, notre amour deviendra, s’il ne l’est déjà frêle et faible.

Chanter est le propre de celui qui aime, a dit Saint Augustin. Connaître les vérités de notre foi et ne pas les chanter, c’est comme savoir que Dieu existe mais ne jamais ressentir Sa présence ; c’est comme savoir qu’on est aimé mais ne jamais ressentir les battements du cœur.

« Mais nous chantons à la messe » dira quelqu’un. Oui et non. Il y a des chants, mais la plus grande partie de l’assemblée est silencieuse ou murmure parce que les chants sont fait pour divertir à la messe, ayant été conçus, forme et contenu, sur le modèle des divertissements de masse.

Personne ne se rappelle les paroles, parce que la poésie est mauvaise ou inexistante, et personne ne se rappelle les mélodies, parce qu’elle sont mauvaises ou parce qu’elles n’ont jamais été écrites pour être chantées par une assemblée toute entière et sa diversité de voix humaines.

Si les gens sont définis par la poésie qu’ils partagent – par les chants qu’ils sont capables de chanter ensemble, avec peut-être un ou deux rafraîchissements de la mémoire, alors nous sommes non définis. Non pas un peuple, mais seulement un agrégat.

Quand Jésus et ses disciples ont prié et chanté lors de la Dernière Cène, ils n’ont pas eu à piocher dans un livre de cantiques, bon ou mauvais. Ils ont prié et chanté avec leur cœur, où ils gardaient comme un trésor la poésie de leur peuple. Quelles perles possédons-nous ?

J’ai observé de jeunes chrétiens entrant dans le monde comme du menu fretin dans le Léviathan. Ils partent avec leur imagination non formée, et c’est ça le problème. Ils peuvent bien assister à la messe le dimanche, ils sont aussi mondains que n’importe qui.

Alors je lance un défi à toutes les écoles et paroisses catholiques – un défi poétique :

Premièrement, débarrassez-vous de la poésie nulle et de la musique nulle. La stupidité est toujours un vice, dit Maritain. Personne ne dit : « peu importe quels films regarde mon enfant, pourvu qu’il regarde des films » ou « peu importe ce que boit mon mari, du moment qu’il boit ». Débarrassez-vous. De toute façon, personne ne les apprécie en dehors des artistes d’église.

Remplacez-les par de vrais hymnes. Ne pensez pas que vous pouvez les obtenir des grandes maisons d’édition, parce qu’elles ont massacré les textes et les ont traînés dans la boue. Chantez les poèmes tels qu’ils ont été composés.

Deuxièmement, revenez à la poésie. Cela prend peu de temps et la récompense est immense. Cinquante lignes de Tennyson peuvent être confiées à la mémoire ; pour cinq cents pages deDickens, c’est plus long.

Arrangez-vous pour que chaque élève de vos écoles sache, disons, vingt poèmes par cœur. Et leurs aînés également peuvent s’y mettre – ayez une Nuit de la Poésie dans votre paroisse, avec la clause que chaque poème soit versifié.

Nous souffrons de démence culturelle, embrouillés et abêtis que nous sommes par les coups portés par la modernité. Il est temps de nous en remettre petit à petit.


Anthony Esolen est conférencier, traducteur et écrivain. Il dirige le Centre de Restauration de la Culture Catholique à l’université Thomas More de lettres et sciences sociales et humaines.

Illustration : G.M. Hopkins (à droite) avec des amis, Alfred William Garret et William Alexander Comyn, membres du Mouvement d’Oxford [photo de Thomas C. Bayfield, 1866]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/02/23/recovering-from-cultural-dementia/