Dans la deuxième épître aux Corinthiens, saint Paul raconte, parlant de lui à la troisième personne, qu’il a vécu une expérience pour le moins extraordinaire : « J’en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu’au troisième ciel – si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait. Et je sais que cet homme […] fut enlevé dans le paradis, et qu’il entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer… » Que cet homme, dont parle saint Paul, soit bien lui-même, nous le comprenons quand il ajoute : « Je me glorifierai d’un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes infirmités » (12, 1-5).
Sarcasme voltairien
Comment comprendre cette montée au « troisième ciel » ? De quoi s’agit-il ? Le sarcasme voltairien, bien sûr, s’est déchaîné sur cet épisode : « Voilà, je vous l’avoue, un singulier apôtre ! Qu’est-ce que ce troisième ciel ? Est-ce Mercure ou Mars ? […] Le voyage d’Astolphe dans la lune est plus vraisemblable, puisque le chemin est plus court. Mais pourquoi veut-il faire accroire aux imbéciles auxquels il écrit qu’il a été ravi au troisième ciel ? C’est pour établir son autorité parmi eux ; c’est pour satisfaire son ambition d’être chef de parti » (Voltaire, Dialogues philosophiques, « Dialogue entre un douteur et un adorateur »). Essayons d’y voir clair.
Premier point : saint Paul date précisément cette expérience. C’était « quatorze ans » avant la rédaction de cette épître, que l’on date généralement de l’année 57, soit vraisemblablement en 43, au début de son ministère à Antioche, et une dizaine d’années après sa conversion sur le chemin de Damas – qui eut lieu, selon les historiens, entre 31 et 34.
Deuxième point : le « troisième ciel » n’est évidemment pas un ciel physique. Saint Paul n’est pas monté dans la stratosphère. Par cette expression, typique de la littérature mystique juive de son époque (cf. par exemple l’Apocalypse de Moïse, §37), saint Paul désigne ce qui dépasse le premier et le deuxième ciel – respectivement le ciel des oiseaux et le ciel des astres –, c’est-à-dire ce qui transcende l’espace lui-même. Ce troisième ciel, c’est donc le monde divin, où résident la gloire de Dieu et les âmes des justes. Bref, le paradis. Signalons au passage que l’on trouve, dans le Talmud, des cosmologies plus complexes, comprenant sept niveaux au lieu de trois. Et chez Dante, c’est le paradis lui-même qui comporte neuf ciels, le septième – si fameux – étant occupé par… les contemplatifs.