SUR LES DOUTEUSES RÉVOLUTIONS - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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SUR LES DOUTEUSES RÉVOLUTIONS

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Réunis à Baltimore, 1 500 membres de la Société Américaine de Physique ont écouté leurs mandarins exécuter les deux hommes de la « fusion froide », Pons et Fleischmann1. Ces derniers, invités, mais pas fous, s’étaient excusés. Ils savaient ce qui les attendait2. Les mandarins de la physique nucléaire et de la fusion à chaud n’y sont pas allés de main morte. « Grossière erreur », « mystification », « escroquerie », « malhonnêteté », « ignorance », « sottise », « imbécillité », on a ratissé large dans le vocabulaire d’excommunication majeure3. La fureur des « spécialistes », rentrée pendant un mois, s’assouvissait enfin dans une explosion de sentiments d’une férocité sans précédents dans l’histoire des congrès scientifiques. Alors, l’affaire est jugée ? Dans mon précédent article, j’avais écrit que les résultats annoncés par les deux chercheurs de Logan (Utah) semblaient théoriquement impossibles. À Baltimore, une douzaine de communications ont répété que l’expérience, dûment refaite, ne donne rien, ni chaleur inexplicable, ni neutrons, ni rayons gamma, « ni même une réaction chimique inhabituelle ». Ce qui pour l’instant ne semble cependant pas vrai dans tous les laboratoires : l’expérience a été refaite avec succès à Moscou, Tokyo, Frascati (Italie), en Inde et autres lieux. Mais en France cela n’a rien donné, ni en Grande-Bretagne, ni en Suisse, ni en RFA. Où est la vérité ? La vraisemblance est indiscutablement contraire à Pons et Fleischmann. S’ils sont encore mentionnés ici c’est uniquement pour exprimer moi aussi mes mauvais sentiments : il me plairait infiniment, je l’avoue, que les méprisants messieurs de la Société Américaine de Physique et non les deux trouble-fêtes de Logan se fussent plantés. Et ce n’est pas complètement impossible. Les Inquisiteurs ont bien la théorie et nombre de vérifications pour eux. Mais ils sont plus physiciens qu’ingénieurs (un électrophysicien, ce n’est pas vraiment un physicien). Il est bon d’entretenir un certain romantisme de l’ingénieur qui de ses mains quasi magiques fabrique, comme le professeur Nimbus, des objets que la science réprouve, mais qui marchent. Après tout Edison n’était pas un savant, ni Marconi, ni Tesla, ni Georges Claude, ni tant d’autres qui ont transformé le monde (a). Quand Charles Cros présenta son premier gramophone à un comité de savants, leur président, entendant pour la première fois la voix artificielle, fit un bond et s’écria, furieux : « faites sortir cet imposteur ventriloque »4. Bref, je serais très étonné mais ravi d’avoir encore à parler beaucoup de Pons et Fleischmann5. « Nouvelle victoire des libéraux à Moscou », ai-je pu lire presque partout quand M. Gorbatchev a poliment expulsé les derniers adversaires de sa perestroïka en leur souhaitant (je l’ai entendu) une excellente santé. Comme c’est étrange tout de même. On appelle victoire des libéraux l’établissement de leur pouvoir absolu. Il y a là un humour typiquement russe, semble-t-il. Ces excellents et prometteurs libéraux russes n’auraient-ils pas encore accru leur triomphe en fusillant les adversaires de la libéralisation ? Leurs prochaines mesures libérales devraient, dans cette logique, rendre la liberté obligatoire sous peine de mort, ou au moins de déportation. D’ailleurs on entend depuis quelque temps sur Radio Moscou des propos sinistrement réminiscents. Par exemple que « la perestroïka se heurte à de terribles résistances et même sabotages », que « dans de nombreux secteurs, des bureaucrates accrochés à leurs pouvoirs entravent gravement la mise en œuvre et l’approfondissement de…. », et que « ces responsables de la pénurie seront identifiés et châtiés »6. Cela ressemble, ou plutôt c’est mot pour mot identique à ce que disait Staline au moment des grandes purges : « Le socialisme », disait Staline, « le socialisme plus la perestroïka », dit Gorbatchev, « cela doit marcher, tout est là pour que cela marche ». Donc, si cela ne marche pas, il faut que quelqu’un sabote, c’est irréfutable. Qui sabote ? Chaque jour Radio Moscou et la presse soviétique dénoncent les coupables : les « bureaucrates », les « tenants de la stagnation », ceux qui « envers et contre tout se raccrochent à leur privilège ». On nous avertit qu’« ils sont puissants » et que « la lutte sera acharnée ». Et peu à peu M. Gorbatchev élimine ses adversaires politiques qui sont donc, répète-t-on en chœur en Occident, les adversaires de la libéralisation à l’Est. Le plus curieux, c’est que c’est vrai. Mais quelle étrange libéralisation consistant à expulser, épurer, anéantir politiquement… M. Gorbatchev n’est pas Staline, il est l’anti-Staline en personne. Tout le monde l’admire et le congratule. Mais la machine à laquelle il commande est celle-là même de Staline. La nouvelle Assemblée du Peuple7 va-t-elle innover, introduire la discussion publique avec avis contradictoires et votes ? Cela serait neuf. Qu’ont à dire ces « puissants adversaires » de la perestroïka ? On voudrait les entendre dans un vrai parlement, face à leurs accusateurs. Cela, oui, serait un changement. Pendant les derniers jours d’avril, Radio Moscou a donné un écho répété et même lassant à une déclaration de M. Gorbatchev prêtant à réflexion : « malgré la perestroïka, la pénurie, notamment alimentaire, ne cesse de s’aggraver ». Les adversaires de la perestroïka savent bien pourquoi la pénurie ne cesse de s’aggraver : c’est que le système économique, toujours inchangé, ne marche que par la répression et la terreur. Ou plutôt il ne pouvait marcher (mal) qu’ainsi talonné jusqu’à la révolution informatique. À mesure que l’industrie s’informatise, et donc tend à supprimer la condition appelée « prolétarienne » par Marx, le système qui ne fonctionnait que sur l’esclavage des travailleurs ne peut que tomber en panne8. Pour informatiser l’Union Soviétique, il faut la libéraliser. En la libéralisant on en brise le ressort. Les commentateurs occidentaux, culpabilisés par le charabia marxiste dans lequel il existe une radieuse « société prolétarienne » et une criminelle « société capitaliste », n’osent pas écrire, si même ils osent le penser, ce dont on peut douter, qu’une société moderne ne saurait prospérer et assurer la liberté individuelle et les droits de l’homme que si elle est précisément organisée sur le modèle « capitaliste », avec la propriété privée, les banques, les bourses, etc. Où dans le monde a-t-on su se libérer du servage, de l’esclavage, promouvoir l’éducation générale et finalement résorber de plus en plus le travail servile ? En Occident d’abord, et là seulement jusqu’à ce que des pays comme le Japon entreprennent de faire de même. Jusqu’à ce jour, M. Gorbatchev a feint de croire que la libéralisation politique entraînerait le renouveau de son pays. Je dis qu’il feint de croire, car, écoutant assidûment ses propos, je suis convaincu qu’il a perdu toute illusion sur le « socialisme » et le « léninisme », chimères qui ont détruit l’Europe de l’Est et la Chine. Je crois qu’il mise sur la nouvelle Assemblée pour démolir ces monstruosités. Nous verrons bien. Il a fallu deux siècles à la France pour porter un regard lucide sur la Révolution et bien distinguer Droits de l’Homme et Terreur. Espérons que les Russes feront mieux. Aimé MICHEL Chronique n° 464 parue dans France Catholique − N° 2208 − 26 mai 1989. Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 17 juin 2019

 

  1. La conférence de la Société de Physique américaine s’est tenue à Baltimore du 1er au 4 mai 1989, seulement un peu plus d’un mois après l’annonce publique de leur découverte par Pons et Fleischmann. (Pour un résumé de cette célèbre affaire, voir la note 7 de la chronique n° 469). Comme l’expliquent les sociologues des sciences, Harry Collins et Trevor Pinch, qui ont étudié cette controverse en détail (Tout ce que vous devriez savoir sur la science, trad. fr. T. Piellat, coll. Points S142, Seuil, 1994, p. 99), l’un des critiques les plus virulents de Baltimore fut le chimiste Nathan Lewis du prestigieux Cal Tech. Son équipe avait tenté de reproduire les résultats de Fleischmann et Pons mais n’avait rien obtenu. Leurs explications détaillées et négatives jetèrent le doute sur la mesure de température des deux électrochimistes. Lewis suggéra même qu’ils avaient commis une négligence grossière en ne remuant pas l’électrolyte, d’où concentration de la chaleur et erreur sur la température. Il apparut par la suite que l’objection ne tenait pas. Pons et Fleischmann démontrèrent qu’il n’était pas nécessaire de remuer l’électrolyte parce que les bulles de deutérium produites par la réaction y pourvoyaient ! En plus, Lewis avait utilisé une cellule beaucoup plus grande que celle utilisée par Pons et Fleischmann. En fait, les physiciens réunis à Baltimore, sûrs de l’impossibilité de la réaction nucléaire alléguée, voulaient la tête des deux savanturiers ; Lewis les leur apporta sur un plateau, mais pour de mauvaises raisons.
  2. Martin Fleischmann, né en 1927 à Carlsbad (aujourd’hui Karlovy Vary en République tchèque), avait fui le nazisme avec sa famille pour s’installer en Grande-Bretagne. En 1967, il devint professeur d’électrochimie à l’université de Southampton et se fit reconnaître comme l’un des plus éminents électrochimistes britanniques, aimant poursuivre des recherches novatrices et à haut risque. Ses découvertes furent suffisamment nombreuses et importantes pour qu’il soit admis à la Royal Society (l’équivalent de notre Académie des Sciences) en 1986. L’Américain Stanley Pons, né en 1943 en Caroline du Nord, était venu étudier à Southampton où il fut étudiant sous la direction de Fleischmann et où il obtint son doctorat en 1978. En 1983, la réduction des crédits accordés aux universités par Margaret Thatcher força Fleischmann à partir (il ne conservait qu’une fonction non rémunérée). Il fut accueilli par Pons qui, entre temps, était devenu chercheur permanent à l’université d’Utah à Salt Lake City et dirigeait le département de chimie. Il avait lui aussi la réputation de prendre des risques, avec succès jusqu’alors. Les deux hommes savaient en commençant leurs recherches sur la fusion froide en 1984 que c’était une entreprise difficile, si difficile qu’ils ne tentèrent même pas d’obtenir des subventions pour la mener à bien. Ils acceptèrent de prendre 100 000 dollars sur leurs économies dans l’espoir de mettre en évidence les indices d’une fusion de noyaux d’hydrogène en hélium sous forme d’une présence de traces de tritium et de quelques neutrons. En fait, ils trouvèrent surtout un fort dégagement de chaleur auquel ils ne s’attendaient pas. Ils annoncèrent cette découverte le 23 mars 1989 lors d’une conférence de presse qui souleva un émoi considérable dans le monde. Selon l’ISI, un institut américain spécialisé dans le suivi des publications scientifiques, la fusion froide fut le sujet scientifique sur lequel il y eut le plus de publications scientifiques en 1989 ! Pons et, surtout, Fleischmann étaient donc loin d’être des débutants et avaient une solide réputation. Mais faute de reproductions convaincantes de leur expérience dans d’autres laboratoires, l’affaire tourna mal pour eux et leur image en fut sérieusement écornée. Leur laboratoire de l’université de l’Utah fut fermé en 1991. Ils furent sévèrement critiqués (voir note suivante). On leur reprocha en particulier d’avoir enfreint les bonnes pratiques scientifiques en s’adressant à la presse au lieu d’informer d’abord leurs collègues par une publication scientifique, et d’avoir voulu se faire rapidement de l’argent. Ces accusations sont probablement injustes car Fleischmann se serait opposé à la conférence de presse et aurait cédé devant l’insistance de l’université ! Tous deux trouvèrent refuge en France à Sophia-Antipolis de 1991 à 1995 dans un laboratoire financé par Toyota, finalement fermé en 1998 (https://www.nndb.com/people/452/000044320/). Fleischmann prit sa retraite en 1995 en Angleterre, tout en continuant de participer à des congrès et à collaborer avec des collègues en Grande-Bretagne et en Italie. Il est mort en 2012. Quant à Pons, écœuré par les mauvais traitements de la presse et de la communauté scientifique, il serait devenu citoyen français, vivrait dans une ferme provençale, tout en travaillant avec des électrochimistes français, mais pas sur la fusion froide. (http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Fphysicsworld.com%2Fcws%2Farticle%2Fprint%2F1258).
  3. Fleischmann et Pons ont été effectivement excommuniés, c’est-à-dire mis en dehors de la communauté scientifique, à cause d’une tendance habituelle en science à défendre le paradigme dominant dès que se présente ce qu’on considère comme une « anomalie ». Cela a commencé à la Conférence de Baltimore (voir note 1) et s’est pousuivi les années suivantes. En janvier 1990, John Maddox, rédacteur en chef de la célèbre revue britannique Nature, n’hésitait pas à déclarer que la fusion froide était une affaire classée et que ceux qui prenaient encore l’idée au sérieux et continuaient à s’y intéresser devaient être qualifiés de scientifiques « sectaires ». En 1991, Frank Close, physicien et vulgarisateur connu, a publié un livre fort critique sur l’affaire (Too hot to handle, Princeton University Press), et la chaine de télévision NOVA a diffusé un documentaire le 30 avril 1991, accablant lui aussi. Ce dernier épisode est analysé par le sociologue Dale L. Sullivan de l’université du Nebraska dans un article de 1994. Il voit dans ce programme « un exemple d’excommunication ritualisée, dans laquelle la frontière entre la science orthodoxe et la science déviante est clairement dessinée ». « De telles cérémonies sont nécessaires, écrit-il, pour protéger l’autorité de la science, pour la protéger de l’accusation d’être incapable de se surveiller elle-même et pour conserver le financement provenant de sources publiques. Parce que Fleischmann et Pons ont commis plusieurs erreurs peu recommandables en contestant la théorie orthodoxe, en manipulant et en supprimant des données, en omettant de reconnaître un co-auteur, et en cherchant de la publicité (…), il était nécessaire de qualifier l’inconduite “comme un cas isolé de maladie individuelle” et de faire paraître les déviants comme “étranges” ou anormaux ». (J’ai omis les nombreuses références émaillant cette citation). « En reprenant ce récit, poursuit Sullivan, nous voyons un modèle familier : comme Jésus, Fleischmann et Pons ont été proclamés au désert, suivis par les foules, examinés par les tenants de l’orthodoxie, délaissés par les infidèles, rejetés par les autorités, et mis hors les murs. » En conclusion, il insiste sur l’objectif « politique » de l’émission : « En excluant rituellement Fleischmann et Pons, le programme démontre que la science orthodoxe est capable de nettoyer sa propre maison. En tant qu’observateurs, les téléspectateurs (s’ils croient au programme) apprennent que ces deux hommes, quelle qu’en soit la raison, se sont égarés et ne sont pas représentatifs de la science. En effet, les téléspectateurs en viennent à comprendre que les scientifiques orthodoxes s’accordent pour dire que la fusion froide ne s’est pas produite en Utah. Ce drame social renforce le respect des frontières établies, en particulier la frontière entre science autonome et ingérence publique. » (p. 300). « Le programme retire Fleischmann et Pons de la science et transforme le croyant non informé en un (quelque peu) incroyant informé. » (p. 302). L’affaire de la fusion froide est assez représentative des passions susceptibles de se déchainer dans les controverses scientifiques, surtout lorsque les enjeux sont importants. L’histoire de la science est d’ailleurs une succession de controverses plus ou moins vives (voir, entre autres, la chronique n° 137 et la note 1 de la n° 222). Les anomalies apparues dans les orthodoxies établies sont souvent infirmées mais parfois elles se trouvent confirmées ; elles sont alors qualifiées de grandes découvertes, à la hauteur des difficultés ou des préjugés qu’elles ont eu à vaincre. De ce point de vue, ce qu’il adviendra de la fusion froide est encore loin d’être clair (voir note 6).
  4. En faisant confiance à sa mémoire, pourtant fidèle, Aimé Michel ici se trompe : cette mésaventure n’est pas survenue à Charles Cros (1842-1888) mais à Thomas Edison (1847-1931). C’est un des épisodes marquants d’une invention à la paternité multiple, comme c’est souvent le cas. Le 16 avril 1877, Charles Cros rédige une description détaillée d’un appareil d’enregistrement des sons qu’il appelle paléophone (la voix du passé). Il la dépose sous pli cacheté à l’Académie des Sciences le 30 avril mais faute d’argent il ne peut déposer de brevet. Le 12 août de la même année, Edison charge Kruesi, son assistant, de réaliser une machine dont il lui remet les plans : la première machine parlante. Le 10 octobre, Cros, ayant entendu parler de l’invention d’Edison, demande l’ouverture du pli et sa lecture publique ; c’est l’occasion pour l’abbé Lenoir d’inventer le mot phonographe dans La Semaine du clergé. En fait, les historiens Oliver Read et Walter L. Welch démontreront dans un livre publié en 1976 que l’inscription « Kruesi Make This Edison Aug. 12/77 » est un faux, ajouté bien plus tard pour attester l’antériorité de l’invention ! Reste que si Edison a bien fait une démonstration publique le 10 décembre et déposé une demande de brevet peu après (validée en février 1878), son phonographe est moins bien conçu que celui de Cros. Quoi qu’il en soit, le 11 mars 1878, Edison est à Paris pour présenter son appareil à l’Académie des Sciences, car elle fait autorité à l’époque : c’est alors qu’a lieu l’épisode conté par Aimé Michel. Par la suite, Edison, sans doute faute d’idées pour améliorer son invention, abandonne le phonographe pendant dix ans. Il ne revient à Paris qu’en 1889, à l’Exposition universelle, un an après la mort de Cros, avec un nouvel appareil qui reçoit cette fois un accueil triomphal… Le plus surprenant est que le premier enregistrement d’une voix humaine n’a été fait ni par Cros ni par Edison mais par un ouvrier typographe devenu homme de science, Léon Scott de Martinville (1817-1879). En avril 1860, il enregistre Au clair de la lune. La chose est sûre car on a retrouvé il y a peu ces enregistrements oubliés à l’Académie des Sciences et, en 2010, des chercheurs américains ont pu les interpréter et les rendre audibles pour la première fois (http://www.firstsounds.org/sounds/scott.php). Voici le résultat pour le second enregistrement du 20 avril : http://www.firstsounds.org/sounds/Scott-Feaster-No-44.mp3. L’exemple le plus célèbre d’invention tenue pour impossible par certains scientifiques est celui de l’avion. Au début du XXe siècle, le physicien est astronome américain Simon Newcomb (1835-1909) écrivit trois articles pour dire son scepticisme sur la possibilité de machines volantes « plus lourdes que l’air ». « Il est fort probable, écrivait-il dans le premier en 1903, que le vingtième siècle est destiné à voir les forces naturelles qui nous permettront de voler d’un continent à l’autre avec une vitesse dépassant de loin celle des oiseaux. Mais quand nous demandons si un vol aérien est possible dans l’état actuel de nos connaissances ; que nous puissions fabriquer une combinaison d’acier, de tissu et de fil qui, déplacée par l’électricité ou la vapeur, constituerait une machine volante performante, la perspective peut être tout à fait différente. » (http://www.garfield.library.upenn.edu/essays/v3p167y1977-78.pdf). Il réitéra son scepticisme en 1908, juste avant le vol public, près de Washington, des frères Wright qui venaient de monter un moteur à essence d’origine française sur des ailes. Quand il apprit le succès de ces derniers, il le minimisa, dit-on, en déclarant que ces machines n’avaient pas d’importance pratique parce qu’elles ne pourraient pas transporter plus qu’un pilote et un passager (A. C. Clarke, Profil du futur, Retz, Paris, 1964, p. 41), opinion qui fut d’ailleurs largement partagée jusqu’en 1930. Toutefois, selon sa fille, Newcomb n’aurait jamais tenté de prouver par le calcul l’impossibilité du plus lourd que l’air (voir son témoignage de 1919 dans le New York Times, https://timesmachine.nytimes.com/timesmachine/1919/04/20/118146756.pdf). Newcomb ne manquait ni d’imagination ni de curiosité (il fut le premier président de la Société américaine de Recherche psychique ; même si ses conclusions en la matière, en 1889, furent négatives) mais il a eu simplement le tort d’ignorer les possibilités offertes par le moteur à combustion interne dont le rapport puissance/poids était très supérieur à celui du moteur à vapeur sur lequel il fondait ses raisonnements. Aimé Michel oppose prudemment les ingénieurs et les scientifiques. Une opinion plus répandue oppose l’inventeur solitaire du XIXe siècle aux laboratoires de recherche industrielle du XXe. Ce schéma est battu en brèche par J. Jewkes, D. Sawers et R. Stillerman dans leur livre classique L’invention dans l’industrie (trad. A. Ciry, Les éditions d’organisation – Entreprise moderne d’édition, Paris, 1966). Par l’étude détaillée de 61 inventions majeures de la première moitié du XXe siècle, ils montrent que l’apport de chercheurs isolés a été déterminant et que plusieurs inventions n’ont pas été faites dans les institutions les mieux équipés pour les produire. Les auteurs estiment que l’ère du chercheur individuel n’est pas close et qu’il ne faut pas privilégier inconsidérément le travail collectif, avec la lourdeur de son organisation et de ses rapports d’avancement, au détriment de la recherche individuelle plus propice à l’initiative, à l’originalité et à la prise de risque. Ce n’est pas sans raison que W. J. Kroll, inventeur du procédé industriel de production du titane, fustige « la recherche salariée et captive que l’on fait à prix d’or dans des laboratoires munificents, où rien ne manque…que des idées ».
  5. Il en parla encore une fois dans trois courts paragraphes de la chronique n° 469 publiée en octobre 1989. « On ne parle plus de Pons et Fleischmann et de leur “fusion froide”, remarque-t-il. Cela ne veut pas dire qu’on ne fait rien. Ce qui se passe, c’est qu’on a reconnu la difficulté de contrôler les “conditions initiales” ». Remarque très pertinente car c’est une autre façon de signaler le manque de reproductibilité des expériences, problème qui n’est, semble-t-il, toujours pas résolu trente ans plus tard. Malgré tout, le statut de la « fusion froide » a changé petit à petit. Certes, depuis 1990, se tient chaque année un congrès sur le sujet intitulé « Conférence internationale sur la fusion froide », rebaptisé depuis 2003 « Conférence internationale sur la matière nucléaire condensée » (sans doute parce que « fusion froide » devenait trop difficile à porter), mais les chercheurs qui y participent sont vieillissants et considérés comme marginaux, ce qui ne manque pas d’avoir des effets négatifs sur leur carrière. En 1994, un professeur de physique au Cal Tech, David Goodstein décrivait la fusion froide comme « Un domaine de parias, rejeté par les scientifiques. Entre fusion froide et science respectable, il n’y a pratiquement aucune communication. Les articles sur la fusion froide ne sont presque jamais publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture, ce qui a pour conséquence que ces travaux ne sont pas soumis à l’examen critique normal requis en science. D’autre part, les Fusionneurs froids se considérant comme une communauté assiégée, il y a peu de critiques internes. (…). Dans ces circonstances, les cinglés se multiplient, ce qui aggrave la situation pour ceux qui croient qu’il y a ici de la science sérieuse en jeu. » (American Scholar, 63, 527-541). En 2004, un rapport commandité par le département américain de l’Énergie reconnait l’absence de preuve de « réactions nucléaires à basse énergie » mais recommande tout de même de soutenir des recherches ponctuelles dans ce domaine. Mieux, en 2009, un rapport de l’ENEA, l’Agence italienne pour les Nouvelles technologies, l’Énergie et l’Environnement, affirme que des progrès significatifs ont été réalisés quant à la reproductibilité des expériences. On y lit que, dans ces expériences faites en Italie, « les gains mesurés en énergie étaient généralement bien supérieurs à ceux imputables à tous les processus chimiques pouvant se produire dans une cellule électrochimique telle que celle utilisée lors des expériences » et que cet argument et d’autres « pointent tous vers un phénomène nucléaire ». Ces fortes déclarations sont du président de l’ENEA, Luigi Paganetto (http://www.enea.it/en/publications/volume-pdf/Cold_Fusion_Italy.pdf). Signe des temps, le journal britannique Nature vient de publier, le 27 mai dernier, un article sur ce sujet jadis maudit. Il s’agit du résultat d’un travail de quatre ans d’une équipe de trente chercheurs financée par Google. En voici le paragraphe le plus significatif : « Jusqu’à présent, nous n’avons trouvé aucune preuve des effets anormaux allégués par les partisans de la fusion froide qui ne puisse pas être expliquée autrement d’une manière prosaïque. Cependant, notre travail met en lumière les difficultés à créer les conditions dans lesquelles la fusion froide est supposée exister. Ce résultat laisse entrevoir la possibilité que l’abandon de la fusion froide en 1989 a été peut-être prématurée, car les conditions physiques et matérielles pertinentes n’ont pas été réalisées de manière crédible et analysées de façon approfondie (et ne le sont toujours pas). Si le phénomène est réel (la question est ouverte), il pourrait y avoir de bonnes raisons techniques expliquant pourquoi les partisans de la fusion froide ont eu du mal à détecter des effets anormaux de manière fiable et reproductible. Le scepticisme persistant à l’égard de la fusion froide est justifié, mais nous affirmons qu’il est nécessaire d’approfondir les recherches sur les conditions pertinentes avant que le phénomène puisse être totalement exclu. » L’accord général sur la présence de fusion n’est donc pas encore acquis, mais au moins cite-t-on maintenant avec respect les deux risque-tout de Salt Lake City. C’est une revanche posthume pour Fleischmann et un peu de baume au cœur pour Pons.
  6. Un exemple de chasse aux « responsables de la pénurie » est donné par l’Ukraine rurale des années 1931 et 1932. Elle provoqua une énorme famine. Voir note 5 de la chronique n° 461.
  7. Le principe d’une nouvelle Assemblée du Peuple résulte d’une proposition de dernière heure faite par Gorbatchev à la 19e conférence du Parti communiste de l’Union soviétique, le 1er juillet 1988. Son objectif était de contourner l’opposition d’une partie du Parti communiste à ses réformes. Après quelques amendements à la constitution de 1977, les élections législatives ont lieu les 26 mars et 9 avril 1989. Il s’agit d’élire 2250 députés pour un mandat de cinq ans et ce de trois manières différentes : 750 directement par les électeurs, 750 de même mais en respectant les diverses nationalités et 750 par des « organisations publiques » (en pratique essentiellement le Parti communiste). Pour la première fois dans l’histoire de l’URSS, les électeurs peuvent choisir des candidats qui n’appartiennent pas au Parti. La participation atteint presque 90% le 26 mars, un second tour n’ayant lieu que dans une minorité de circonscriptions. Au final, 1980 députés (88%) appartiennent au PC, les autres (270) s’assemblent en un groupe parlementaire dirigé par Boris Eltsine, député de Moscou (voir note 3 de n° 457). Ces députés élisent ensuite 542 d’entre eux pour siéger au Soviet suprême.
  8. Cette analyse est partagée par le sociologue soviétique, et plus tard américain, Vladimir Chlapentokh (1926-2015). Ce dernier qualifie les réformes de Gorbatchev de « néostaliniennes » car menées selon le même schéma. Au lieu d’améliorer l’économie, elles ont produit un cercle vicieux qui a conduit à affaiblir l’État. Comme Aimé Michel et de nombreux autres observateurs, Chlapentokh considère que la peur des autorités, des chefs du parti et de la police politique a été un facteur majeur de la durabilité du système soviétique. La réduction de cette peur a affaibli le système jusqu’au point de rupture. « Le système soviétique avant Gorbatchev fonctionnait mal, avec des difficultés, mais à cause de ses réformes, il a tout simplement cessé de fonctionner ». Le sociologue estime que « dans une quête désespérée de moyens de moderniser l’économie (…) Gorbatchev a lancé le processus radical de démocratisation qui a rendu inévitable la mort du système et de l’empire soviétique » (https://fr.rbth.com/histoire/82108-chute-urss-facteurs).