Ils sont là, une vingtaine d’hommes et de femmes, assis et silencieux. Silencieux comme la Vilaine qui coule à quelques centaines de mètres d’ici. Il est 8 h 30 ce dimanche 26 juin, et l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Beslé, dans la commune de Guémené-Penfao (Loire-Atlantique), accueille cette petite troupe de pèlerins. Dans quelques minutes, la messe dominicale va commencer. Elle sera célébrée par le Père Arnaud de Guibert, le curé du lieu. Un enfant de chœur, à l’aube blanche trop courte, sert d’acolyte. Image touchante – qu’on croyait cantonnée aux souvenirs d’antan – d’un adolescent des campagnes qui a choisi le service de l’autel plutôt que la grasse matinée…
Au rythme de la jument
L’évangile du jour évoque Jésus qui prend la route de Jérusalem. Dans l’assemblée, certains marchent depuis Nantes, le point de départ le 18 juin. D’autres sont venus juste pour cette étape, qui relie Beslé à Grand-Fougeray, une commune d’Ille-et-Vilaine située plein nord. Au total, 113 km le long des routes, en suivant la Vierge Marie qui hisse son Fils Jésus sur son épaule gauche. La statue blanche, éclatante, de Notre-Dame de France et de l’Enfant-Sauveur – qui lève les bras, comme en signe de sa victoire annoncée – est portée sur une petite remorque, elle-même tirée par une calèche.
La messe achevée, le Père de Guibert bénit les marcheurs et la Vierge pèlerine sous l’œil intrigué de riverains. Chantal et Michel, meneur et groom de la calèche, battent la bride de Symphonie, une jument de race trait-breton, que l’association Troménie de Marie a achetée pour parcourir la Bretagne, de ville en ville, de sanctuaire en sanctuaire, à travers les routes.
En avant ! Grand-Fougeray, dernière étape de ce premier tronçon, sur un itinéraire qui en compte douze. Destination ultime : Sainte-Anne-d’Auray, le 10 septembre. Là, les pèlerins et ceux qui les auront rejoints, prieront la « grand-mère » de Jésus et (donc) la « grand-mère de Dieu » d’intercéder avec la Vierge Marie pour le renouveau de la foi des Bretons.
Tradition de prière
En tout, le périple durera près de trois mois de marche « avec Marie » indique l’abbé André Guillevic, conseiller spirituel de l’association, dans son mot à l’intention des marcheurs. Soit une distance de 1 100 kilomètres à pied « à la suite de tous ceux qui l’ont priée, chantée, avec tous ceux qui lui ont fait confiance, qui l’ont suppliée, avec tous ceux-là qu’elle a guidés, éclairés, avec tous ceux qui n’ont pas sombré car ils n’ont pas désespéré de l’amour de cette mère aimante entre toutes », explique l’ancien recteur du sanctuaire de Sainte-Anne-d’Auray. Les pèlerins avancent au rythme de Symphonie et des Ave. Sous les pieds, le goudron plutôt que la terre : trois camions de sécurité – un à l’avant, deux à l’arrière – escortent la marche. Dans celui qui lui sert de PC ambulant, Tanguy de Penfentenyo veille à l’arrière tout en conduisant à l’allure lente des marcheurs.
Couple moteur
Ce père de six enfants est rompu à l’organisation des pèlerinages. Avec son agence Terre de voyages, ce jeune retraité de 67 ans a passé sa vie professionnelle à en orchestrer. C’est lui le grand organisateur de cette Troménie de Marie. Mais c’est sa femme, Claire, qui en est l’inspiratrice. « Claire a participé au “M de Marie” en 2020 [un pèlerinage marial dessinant un M à travers l’Hexagone, NDLR]. Elle a été touchée des grâces semées au long de la route dans les cœurs, les paroisses et les sanctuaires », explique son mari, pendant que les talkies-walkies accrochés au tableau de bord hachent le calme de la conversation. « C’est elle qui m’a incité à lancer une initiative similaire en Bretagne », poursuit-il.
Une initiative 100 % bretonne pour ce couple portant le nom d’une vieille famille originaire du Léon (Finistère nord). Mais une démarche qui peut contribuer à redécouvrir le tréfonds marial de la France. Et sa vocation chrétienne. « La Bretagne est un territoire historique de la France chrétienne, explique Tanguy de Penfentenyo. À ce titre, elle a un rôle à jouer pour redonner à la France une âme chrétienne. »
De part et d’autre de la route, les champs de blé ou de maïs défilent lentement. Dans certains hameaux, des curieux sont sortis de leur maison. À chaque fois, des marcheurs leur proposent de déposer une intention de prière dans l’urne disposée aux pieds de la statue de la Vierge. Chaque rencontre est aussi l’occasion d’échanges et de rencontres touchantes. Des petits flyers expliquant la démarche invitent ces habitants rencontrés à rejoindre la veillée de prière de la halte du soir, et à venir à Sainte-Anne-d’Auray où elles seront confiées lors d’une grande veillée solennelle.
Profils de pèlerins
« On fait des rencontres formidables sur le chemin », s’enthousiasme Chantal qui mène la calèche. Comme celle avec Philippe et son épouse. Ce couple accueille l’escouade pour une pause improvisée sur le site de l’ancienne abbaye de Ballac, où ils vivent. Après une courte prière dans l’église monastique dont subsistent les murs, cette halte est l’occasion d’un échange fraternel avec ces deux riverains, touchés par la démarche de leurs hôtes : « Le lieu nous appartient, lâche Philippe, le propriétaire. Mais pas son histoire. » Comme s’il comprenait spontanément la dimension spirituelle de ce lieu de vie. Philippe et son épouse sont invités à déposer leurs intentions de prière et à venir À Grand-Fougeray, le soir, participer à la veillée de prière.
Dans le groupe, Jérôme est l’un de ceux qui ont décidé de suivre la Troménie de Marie en entier. Parti sur les routes de France il y a vingt ans, ce routard blond au visage buriné a découvert la Troménie de Marie grâce à un tract déposé à l’abbaye de Kergonan, dans le Morbihan. « Pèlerin-routard intensif », comme il se définit lui-même, il fait penser à un « fol-en-Christ » moderne. Un Benoît-Joseph Labre ressurgi au XXIe siècle en quelque sorte.
Une autre pèlerine, fichu sur la tête, est venue de Lyon pour participer à ce premier tronçon entre Nantes et Grand-Fougeray. Mise au courant de l’initiative grâce aux réseaux sociaux, elle entreprend cette démarche « après deux dernières années difficiles à cause du confinement et parce qu’[elle] apprécie qu’une démarche concrète pour prier Marie Reine de France ait été organisée ».
Salut au Saint-Sacrement
Vers 16 h 30, la cohorte de marcheurs arrive au terme de l’étape. Sur le parvis de l’église du centre-ville, le Père Claude Amoussou, venu de Côte d’Ivoire et incardiné ici comme curé, a prévenu ses paroissiens de l’arrivée de la Troménie. Sur place, l’affluence est donc plus grande. Les curieux s’approchent. Le Père Amoussou s’en réjouit : « C’est une grâce d’accueillir chez nous celle qui nous conduit à son Fils. »
La Vierge pèlerine est portée dans l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Une cinquantaine de paroissiens, précédés d’enfants portant des bouquets de fleurs, se joignent aux pèlerins. Sous la houlette des religieux de la Famille Missionnaire de Notre-Dame, une communauté fondée en 1946 vivant la spiritualité familiale de la Sainte Famille de Nazareth, tous participent aux vêpres et au salut du Saint-Sacrement.
Après deux jours de repos, au foyer de la Famille Missionnaire de Notre-Dame implantée localement depuis 1984, Symphonie repartira en direction du sanctuaire Notre-Dame de la Peinière, à l’est de Rennes. Avant de filer vers l’ouest breton. Et d’arriver finalement à Sainte-Anne-d’Auray le 10 septembre.
« Pour le M de Marie, j’ai vu une armée de jeunes se lever », raconte Frédéric Escalle, l’organisateur du « M de Marie » venu à ce premier tronçon de la Troménie de Marie pour donner un coup de main. « Je n’ai aucun doute qu’une fois leurs examens de fin d’année terminés, de nombreux jeunes viendront rejoindre la Troménie de Marie », espère-t-il. Le rendez-vous est donné.