Dans une période où les passions s’échauffent, est-il possible de faire son métier de journaliste avec toute la rectitude nécessaire, la volonté de collecter le maximum d’informations utiles à l’expression, sinon de la vérité, du moins de la complexité des événements ? C’est problématique ! La simple lecture des quotidiens montre à quel point, selon les options des uns et des autres, certains aspects de la réalité sont privilégiés au détriment d’autres aspects, chacun étant sûr de son bon droit, en rapport avec la cause qu’il défend. J’en prendrai pour cette fois un seul exemple. Dans Le Monde daté d’aujourd’hui, un article entend établir « l’histoire d’une mobilisation », celle qui a permis la grande manifestation parisienne du mardi 2 juin pour soutenir la cause d’Adama Traoré, dont la mort, il y a quatre ans, a suscité une intense bataille judiciaire. On apprend beaucoup à lire cette enquête, ses auteurs Louise Couvelaire et Abel Mestre ont travaillé sérieusement, en s’attachant au parcours militant de la sœur d’Adama, Assa Traoré, qui s’est révélée comme animatrice charismatique de tout un mouvement.
Il y a d’évidence beaucoup d’empathie dans ce papier, et cela concourt à lui donner une certaine force. Mais les auteurs disent-ils toute la vérité ? D’évidence non, et l’on est bien obligé de se référer à d’autres sources, pour avoir les compléments nécessaires. Ainsi, j’ai retrouvé sur le net un article publié par le général Bertrand Cavallier dans une publication intitulée La voix du gendarme. Le général rappelle les cinq nuits d’insurrection qui suivirent la mort d’Adama Traoré, au cours desquelles trente-cinq membres des forces de l’ordre furent blessés, dont treize par armes à feu. Au total, une centaine de coups de feu ont été identifiés. Dans une situation extrêmement tendue, il était ardu de rétablir l’ordre. Est-il vrai que tout un territoire se trouvait terrorisé par des bandes de voyous et que la population s’est félicitée qu’ils aient été neutralisés ? Cinq frères d’Adama Traoré ont été inculpés à la suite de ces violences. Le général Cavallier s’indigne qu’à cause de la propagande d’Assa Traoré, l’opération des forces de l’ordre ait été stigmatisée, comme relevant d’une dimension raciale.
Ce qui est sûr, c’est que, journaliste, je ne puis que recueillir les deux pièces du dossier, en attendant d’autres pour établir l’ensemble des faits. Puis, éventuellement, formuler mon propre jugement.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 9 juin 2020.
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