La couverture du TIME magazine du 3 avril a posé cette question provocante : » La vérité est-elle morte ? » C’était suivi par l’article corollaire : « Trump peut-il faire la vérité ? », qui détaillait toutes les non-vérités qui émergeaient des allégations et des tweets de Trump et qui circulaient dans son administration.
En contraste, Arthur Schlesinger, le rédacteur en chef du New York Times, après la « défaite choquante » de Hillary Clinton (dont le Times prédisait peu avant l’élection qu’elle avait 90 % de chances de gagner) priait sotto voce qu’on l’excusât pour les partis pris qui avaient marqué sa couverture de l’élection présidentielle de 2016. Il assurait les lecteurs du « Newspaper of Record » : « Nous visons à nous re-consacrer à la mission fondamentale du journalisme du Times. Qui est de rendre compte de l’Amérique et du monde honnêtement, sans peur et sans complaisance. »
S’étant « re-consacré » à l’honnêteté, le journal envoie actuellement à des étudiants ou à d’autres des publicités pour des souscriptions, insistant sur le fait le Times est l’endroit où ils peuvent trouver une vérité réelle – c’est-à-dire « toutes les nouvelles qui sont prêtes à être imprimées. »
Mais cela devient difficile. Le magazine TV 60 minutes du 26 mars a interviewé des fournisseurs professionnels de « fausses nouvelles » qui se vantaient des immenses profits qu’ils avaient tirés de publicités, alors que leurs « scoops » souvent scandaleux proliféraient exponentiellement dans Facebook et d’autres réseaux sociaux. 60 Minutes notait que les consommateurs les plus avides, contrairement à ce qu’on attend, étaient non les « moins éduqués » mais le public universitaire qui se trouvait être de façon écrasante des libéraux en politique.
Mais cette nouvelle attention à la vérité est bienvenue, et peut produire au moins quelques nouvelles idées ou « re-consécrations ».
Depuis des millénaires les philosophes ont essayé de définir exactement la nature de la vérité. Les philosophes aristotéliciens et thomistes ont insisté sur le fait que la vérité implique une correspondance de l’esprit avec la réalité. Cette théorie, qualifiée de « réalisme », met l’accent sur le pouvoir de l’homme d’abstraire des généralités de particularités – par exemple en développant le concept « fleur » de l’expérience de géraniums et de roses, et le concept de « choses vivantes » de l’expérience de la flore et de la faune, et en faisant ensuite les jugements adéquats.
Mais, au XVIIIe siècle, Emmanuel Kant contesta l’insistance que mettait Descartes sur la subjectivité par la théorie que les choses que nous connaissons doivent correspondre à des catégories mentales qui résultent des lois de la logique ; par exemple, notre logique distingue des propositions particulières des propositions universelles, si bien que nous devons penser en termes de « quelque », « tout », « totalités », etc.
Kant aussi se targuait de réveiller de la « torpeur dogmatique » causée par David Hume. Hume pensait que la causalité était seulement un résultat contingent de notre expérience de B et de C arrivant après A, tandis que la théorie de Kant soutenait que nous devons penser en termes de causalité parce que notre logique contient des propositions hypothétiques (du type « si A, – donc B »), de façon que nous connectons antécédents et conclusions.
Quelques philosophes successeurs de Kant, cependant, ont été troublés par la rupture entre subjectivité et réalité en éthique et en métaphysique. Au XIXe siècle, G.W.F.Hegel essaya de dépasser cette fracture. Il insista sur l’idée que la vérité dans son sens le plus plein réunit les deux côtés – sujet et objet, conscience et « la chose en elle-même », rationalité et nature.
Par exemple, alors que l’éthique de Kant impliquait une complète séparation du devoir (maximes dont des êtres rationnels voudraient une application universelle) et des penchants, Hegel pensait que la vraie éthique vise à l’harmonisation de nos penchants naturels avec la conscience des devoirs. Et, en général, nous devrions tendre à mettre l’idéal en harmonie avec le réel. Par exemple, un véritable homme d’Etat est celui qui est conforme au concept d’un homme d’Etat, et l’art véritable est l’art qui se conforme à l’idéal de l’art.
Des philosophes contemporains ont développé une variété de théories sur la vérité, mais les trois approches mentionnées plus haut sont les plus importantes; et aujourd’hui quelques développements semblent consonner avec ces trois approches :
L’organisation Politifact, dont les découvertes et les évaluations Truth-O-Meter sont largement publiées par la presse et d’autres medias dans le pays, peut être considérée comme un mouvement vers le réalisme, conduisant les politiciens et les experts à craindre le classement redouté de Politifact « menteur, menteur, feu au derrière1 ».
Les think tanks qui travaillent à développer des idéaux adaptés à la démocratie, au commerce, à l’immigration, la politique étrangère etc. semblent suivre les pas de Kant, indiquant des méthodes de réflexion sur des sujets d’actualité et souvent controversés.
L’intérêt philosophique contemporain pour les meilleures manières d’interpréter et d’appliquer les idéaux et les principes de la Constitution des USA se rapproche de la quête hégélienne pour faire coïncider idéaux et réalité.
Un problème majeur dans la politique américaine est l’idéologie – qui conduit les media à omettre purement et simplement toute nouvelle qu’ils n’aiment pas ou qu’ils n’acceptent pas et à oublier la règle de base qu’ils ont apprise dans le journalisme 101 – de distinguer entre rapporter des faits et rédiger un éditorial. C’est difficile à faire. Le journaliste consciencieux doit continuellement naviguer entre de multiples « ism » – globalisme, environnementalisme, multiculturalisme, libéralisme, féminisme, néo-conservatisme, relativisme, scientisme…Et la liste n’est pas finie.
On voit apparaître des problèmes du même genre, qui peuvent aussi se rapporter à l’idéologie, dans l’Eglise catholique. Les temps du « Hors de l’Eglise pas de salut » du père Léonard Feeney sont largement derrière nous. Maintenant nous avons « le grand embrassement » avec l’islam comme « religion de paix », encore et toujours, en dépit de siècles d’évidence contraire et d’incidents partout dans le monde. Et la stricte adhésion aux lois de l’Eglise qui concernent le mariage, le divorce, la communion etc. est « pharisaïque ». Ces critiques anti-pharisiens pensent-ils vraiment que les 613 lois du judaïsme entrent vraiment dans la même catégorie que les Dix commandements de Dieu et les six commandements de l’Eglise catholique ?
La plus importante des lois naturelles, selon l’Aquinate, est la loi qui veut que les créatures rationnelles cherchent et honorent la vérité. A présent, la vérité semble être honorée souvent dans son infraction. Nous sommes entourés par tant d’idéologies et tant de panacées et « science établie » (pour ne pas mentionner les « fausses nouvelles » fabriquées) que nous avons une motivation supplémentaire pour partir à la recherche de la vérité.
Et le New York Times peut ne pas être le meilleur endroit pour commencer.
https://www.thecatholicthing.org/2017/04/05/what-is-truth/
Pour aller plus loin :
- Trump, Clinton : aucun des deux, jamais !
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Bulletin Acip n° 1187 du lundi 21 avril 2008
- Du Vrai, du Vécu sur Bernard Baray, ou le centenaire du peintre de L’Isle-Adam, des Cœurs Vaillants et des vies des saints
- Catholiques, on ne veut pas de vous dans l'État de New York