AU SEUIL DE L’HIVER, et le plan d’austérité stimulant un peu électivement (je ne dis pas électoralement) notre réflexion1, peut-être est-il opportun de nous pencher sur le vieux problème de savoir si « le temps change ».
Certes il nous a gratifiés cet été d’un irrécusable et désastreux changement2. Les éleveurs de l’Ouest en savent quelque chose et nous allons le sentir passer. Étant à Londres en juin3, j’ai même contemplé ce spectacle sans précédent : les pelouses de Sa Majesté élégamment gratinées au four, avec cette coloration inégalable que les restaurants des Halles réussissaient si bien naguère sur leur soupe à l’oignon.
J’avais bien vu la calamité sur la France dans les jours précédents et elle m’avait déjà donné à réfléchir. Quand un paysan français en vient à accepter que ses vaches crèvent de soif, il faut que quelque malheur sans précédent le tienne à la gorge. Mais les pelouses de Buckingham à l’abandon, c’était l’apocalypse. Même pendant la bataille d’Angleterre, même au moment où les Anglais se préparaient à combattre « sur les plages, sur les collines, dans les villages », même alors, ils arrosaient leurs pelouses, comme les Spartiates de Léonidas peignaient leurs beaux cheveux blonds avant la bataille des Thermopyles4.
On a parlé cet été d’un rapport de la CIA annonçant un changement mondial dans les saisons au cours des prochaines années, et l’on s’est demandé ce qu’un service de renseignements quelque peu discrédité pouvait connaître à la géophysique atmosphérique.
Eh bien, il s’avère qu’en l’occurrence les journalistes américains s’étaient bornés à publier un rapport secret rédigé il y a deux ans déjà par ladite CIA et intitulé « Étude sur la recherche climatologique en rapport avec les problèmes d’espionnage » (« A Study of climatological research as it pertains to intelligence problems »).
Il y a deux ans : donc, ce n’était pas trop mal prévu, puisqu’à l’époque le genre de calamité en question, n’entrait dans aucun plan, au contraire, notre agriculture étant promise aux plus flatteurs succès par les instances françaises informées. Comment la CIA s’y était-elle donc prise, et surtout, que prévoyait-elle pour la suite ?
La CIA s’y était prisé de la façon la plus simple, en dépouillant à son usage les travaux de l’Université américaine la plus savante en matière de climat et d’agriculture, celle de l’Etat du Wisconsin (le grenier du monde), et en particulier les recherches du Dr Reid Bryson, considéré comme l’une des trois sommités mondiales en la matière. Voilà qui inspire davantage la confiance.
Toujours dédaigneux de leurs secrets d’État, les journalistes américains, aussitôt percé celui des sources géophysiques de la CIA, se sont précipités chez le Pr Bryson pour lui demander confirmation.
− Ouais, dit en substance celui-ci. C’est vrai que la CIA m’a copié. Mais son rapport était mal fichu, imprécis, et dramatisé. Dédramatisons tout cela, voulez-vous ?
Ce qu’il vient de faire, à sa façon, qui n’est guère plus rassurante. Voici, d’après lui, ce qu’il en est. D’abord, s’il est vrai que le temps va changer, il faut remarquer qu’il en a toujours été ainsi. On pense maintenant par exemple que le déclin des Empires anciens de l’Indus, de Mycènes et des Hittites est à mettre au compte, non plus de défaites militaires, mais d’un refroidissement du temps entraînant des sécheresses persistantes et catastrophiques5.
Le mécanisme « refroidissement général – sécheresse » est prouvé par un multitude d’observations archéologiques : grâce à des méthodes très fines, on peut, en un lieu donné, reconstituer des conditions atmosphériques très anciennes et les suivre d’année en année pendant des siècles grâce à l’examen des traces de flore, de pollen, de germination ; on peut dire par exemple qu’en telle année de tel siècle, les pâquerettes sont sorties telle semaine d’avril, ont fait leurs graines à telle autre date, etc.
C’est ainsi qu’un autre savant américain, le Dr John Gribbin, a pu suivre les variations climatiques de la région de Mill Creek, dans le Middle West, pendant les XIIIe et XIVe siècles, et constater sur cette période un tel cycle refroidissement-sécheresse.
D’une façon générale, ces cycles durent au moins quarante ans dans l’hémisphère nord. Ils peuvent durer deux siècles. Depuis le début du XVIIe siècle jusque vers 1890, le temps a été plus froid que maintenant. Vers 1690, sept ans de froid et de sécheresse particulièrement intenses eurent pour conséquence de mettre l’Écosse à genoux et de hâter sa soumission à l’Angleterre (rappelons-nous aussi ce qu’en dit Saint-Simon dans ses Mémoires).
Depuis 1890 et jusque vers 1945, la température mondiale moyenne augmente au contraire de 0,3°. A partir de 1950, une nouvelle tendance au refroidissement se dessine. En un quart de siècle, la surface mondiale totale de glace et de neige s’accroît de 10 à 15%. Le régime de la mousson en Asie se modifie. Le Sahel se désertifie6.
Et maintenant ce phénomène mondial commence à se manifester plus au nord : notre sécheresse de cet été est de même nature, elle a même origine que celle du Sahel. La surveillance de la circulation atmosphérique par satellite et par lâchers de ballons météo permet de préciser cette origine : c’est que, sous l’influence d’un froid arctique plus intense, le vaste courant de haute altitude qui tourne sans cesse autour du pôle gagne progressivement vers le sud. C’est un courant froid, évidemment. Il repousse donc vers le sud les dépressions qui se forment dans les régions tropicales, et l’on assiste alors, paradoxalement, à la canicule de l’été dernier, car le ciel des hautes pressions se vide de tout nuage, l’air plus dense et que rien ne perturbe s’immobilise, c’est la fournaise.
Et maintenant, que va-t-il se passer ? Malheureusement, tous les géophysiciens semblent d’accord pour penser que la tendance ne fera que s’aggraver jusqu’à la fin du siècle. Cela ne signifie pas forcément que la sécheresse de cette année se reproduira l’an prochain aux mêmes endroits. Elle peut être décalée vers l’Est ou vers l’Ouest. Mais au total, toute la zone tempérée à laquelle nous appartenons va continuer à se refroidir et à se dessécher, bien qu’on ignore où la sécheresse se fera plus durement sentir.
Les géophysiciens sont unanimes à le prédire jusqu’à la fin du siècle. Après, quelques-uns pensent que les effets de la pollution commenceront d’agir en sens contraire, l’excès de gaz carbonique produisant un effet de serre. Bryson ne partage pas cet optimisme. Pour lui (et d’autres) nous entrons dans une longue période de froid sec7.
Notons que les géophysiciens russes, qui surveillent toute la zone arctique du vieux continent, auraient plutôt tendance à être encore plus pessimistes. Dans cette zone, ils ont mesuré une baisse moyenne (vraiment énorme) de 3° depuis 1940. « Nous n’allons pas jusqu’à annoncer une nouvelle ère de glaciation, déclarait le Pr Volkov le 4 octobre, mais nous constatons qu’une période de froid a commencé, et qu’elle s’observe sur l’ensemble de l’Arctique. »
La CIA prévoyait de graves difficultés pour l’Union soviétique, la Chine et l’Inde. Les savants russes confirment cette alarme en ce qui concerne leur pays, remarquant qu’une ou deux semaines de froid supplémentaires par an suffisent à empêcher le mûrissement des récoltes les plus septentrionales, tandis que la sécheresse les compromet plus au sud d’une autre façon8.
« On parle toujours du mauvais temps, remarquait Mark Twain, mais personne ne fait jamais rien. » Humour qui perd un peu de sa pointe maintenant, avec l’accroissement formidable de l’énergie disponible. Mais qui nous rappelle que les vrais grands événements de l’Histoire ne sont pas politiques9. La politique, à l’échelle de ces surhumaines péripéties, apparaît surtout comme l’art d’extorquer aux sots la gestion de leurs biens trop ou trop peu mouillés par la pluie.
Aimé MICHEL
Chronique n° 261 parue dans France Catholique-Ecclésia − N° 1559 − 29 octobre 1976
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 4 mars 2013
- Cette chronique a été écrite durant le septennat de Giscard d’Estaing (1974-1981). Quelques mois auparavant, le 25 août 1976, le premier ministre Jacques Chirac annonçait, pour la première fois sous la Ve République, sa démission en raison de ses désaccords avec le président. Raymond Barre, qui était depuis le début de l’année ministre du commerce extérieur, fut nommé premier ministre. Immédiatement il élabora un plan d’austérité dont l’objectif était de mettre fin à l’inflation. Il y parviendra mais au prix d’un accroissement du chômage.
- La canicule et la sècheresse de 1976 sont restées dans les mémoires. L’historien Emmanuel Leroy Ladurie en donne une description précise dans le 3e volume intitulé Le réchauffement de 1860 à nos jours de son Histoire humaine et comparée du climat (Fayard, Paris, 2009). Les températures de mai, juin (surtout) et juillet sont très au-dessus des moyennes. La sécheresse, elle, a débuté dès décembre 1975 et se poursuit jusqu’en août avec un déficit des précipitations particulièrement marqué en janvier, mai et surtout juin. En France le déficit affecte plus particulièrement l’Ouest et le Nord-Ouest. Le débit des rivières diminue mais les nappes phréatiques ne baissent pas trop. Les incendies de forêt se multiplient. L’agriculture est affectée : les récoltes de végétaux consommateurs d’eau (blé, maïs, luzerne, betterave) sont diminuées et dès le mois de mai le bétail souffre du manque de fourrage ; la solidarité paysanne joue : paille et foin sont transportés par trains et camions des régions céréalières aux régions d’élevage. Par contre les vendanges sont précoces et les vins excellents. La canicule provoque un excédent de mortalité estimée à 5700 décès pour les mois de juin, juillet et août. Ce phénomène qui avait décru de 1904 à 1959 (excepté pendant les guerres) puis disparu entre 1960 et 1975, refait son apparition avec 9 années à mortalité excédentaire due à la canicule entre 1976 et 2006 (comprises). L’année 1976 marque un tournant et le coup d’envoi d’un réchauffement continuel depuis lors (voir note 6).
- De passage à Londres pour aller visiter son ami Arthur Koestler (voir la chronique n° 262, « Miaou ». Et tout est dit ? dans La clarté au cœur du labyrinthe, Aldane, Cointrin, www.aldane.com, p. 613), Aimé Michel a pu observer outre-Manche les effets de la sécheresse de 1976. Cette année-là, la canicule en Angleterre centrale bat un record : celui de la plus haute température moyenne des mois de juin-juillet-août (17,8°) jamais enregistrée (les autres années records sont 1846, 1911, 1933 et 1947 avec 17,1° ou 17,0°). La sècheresse anglaise est tout aussi remarquable : la pluviométrie de 74 mm au cours des ces mêmes trois mois est la plus basse depuis 1766, année de début des enregistrements pluviométriques. Cependant 1995 a fait mieux avec seulement 67 mm.
- À la bataille des Thermopyles (ou des Portes chaudes), défilé de Thessalie, Léonidas, roi de Sparte de 490 à 480 av. J.-C. retint plusieurs jours l’armée d’invasion de Xerxès (voir la chronique n° 257, Le Dieu des savants – Les horreurs de la nature et la loi morale dans un univers animé par une pensée, 25.02.2013). Voici quelques extraits du célèbre récit d’Hérodote (L’enquête, livre VII, extraits des paragraphes 208-209, 223-224 et 228 ; traduction d’Andrée Barguet, Folio et La Pléiade):
« Xerxès envoya en reconnaissance un cavalier pour voir combien étaient les ennemis et ce qu’ils faisaient. On l’avait informé (…) qu’il y avait quelques troupes en ce lieu, peu nombreuses, et qu’elles étaient menées par des Lacédémoniens avec Léonidas, un descendant d’Héraclès. Le cavalier s’approcha du camp et regarda, sans tout découvrir, car les hommes postés derrière le mur relevé par les Grecs qui le défendaient échappaient à sa vue ; mais il put observer les soldats placés devant le mur, et leurs armes disposées au pied du rempart. Or le hasard fit que les Lacédémoniens occupaient ce poste pour l’instant ; l’homme les vit occupés les uns à faire de la gymnastique, les autres à peigner leur chevelure : il les regarda faire avec surprise et prit note de leur nombre, puis, après avoir tout examiné soigneusement, il se retira en toute tranquillité : personne ne le poursuivit et personne ne fit même attention à lui. De retour auprès de Xerxès, il lui rendit compte de ce qu’il avait vu. Xerxès en l’entendant ne pouvait concevoir la vérité, comprendre que ces hommes se préparaient à mourir et à tuer de leur mieux : leur attitude lui semblait risible. »
Il attend quatre jours dans l’espoir que les Grecs s’enfuiraient et sans doute aussi pour que ses forces terrestres le rejoignent. Les deux jours suivants, il engage ses troupes mais les Grecs l’emportent. Au cours de la deuxième nuit, les Perses conduits par le traître Ephialte, passent par la montagne et prennent les Grecs à revers. Le troisième jour, ils sont attaqués sur deux fronts.
« Alors les Grecs tinrent conseil et leurs avis différèrent, car les uns refusaient tout abandon de poste, et les autres étaient de l’avis opposé. (…) [Q]uand Léonidas vit ses alliés si peu enthousiastes, si peu disposés à rester jusqu’au bout avec lui, il les fit partir, je pense, mais jugea déshonorant pour lui de quitter son poste ; à demeurer sur place, il laissait une gloire immense après lui, et la fortune de Sparte n’en était pas diminuée. »
Dans la bataille inégale qui s’engage, « les Barbares tombèrent en foule, car en arrière des lignes leurs chefs, armés de fouets, les poussaient en avant à force de coups. Beaucoup d’entre eux furent précipités à la mer et se noyèrent, d’autres plus nombreux encore, vivants, se piétinèrent et s’écrasèrent mutuellement et nul ne se souciait de qui tombait. Les Grecs qui savaient leur mort toute proche, par les Perses qui tournaient la montagne, firent appel à toute leur valeur contre les Barbares et prodiguèrent leur vie avec fureur. Leurs lances furent bientôt brisées presque toutes, mais avec leurs glaives ils continuèrent à massacrer les Perses. Léonidas tomba en héros dans cette action, et d’autres Spartiates illustres avec lui (…). Les morts furent ensevelis à l’endroit même où ils avaient péri (…) ; sur leur tombe une inscription porte ces mots ;
Ici, contre trois millions d’hommes ont lutté jadis
Quatre mille hommes venus du Péloponnèse
Cette inscription célèbre tous les morts, mais les Spartiates ont une épitaphe spéciale :
Étranger, va dire à Sparte qu’ici
- Selon Reid A. Bryson (The environmental future, Macmillan, Londres, 1972), le désert du Pakistan et du Rajasthan au Nord-Ouest de l’Inde serait le résultat d’un usage inconsidéré par l’homme d’un milieu fragile. On a pu reconstituer son histoire par l’étude des pollens, de l’assèchement des lacs au premier millénaire av. J.-C. jusqu’à la désertification complète au Xe siècle. S’il n’y pleut pas c’est que les poussières dont l’air est chargé diminuent la condensation de l’humidité atmosphérique. Le processus commença à la suite d’un pâturage excessif. L’érosion éolienne qui s’ensuivit diminua les pluies ce qui réduisit la productivité végétale. Un cercle vicieux en résulta que rien n’arrêta. Des mécanismes semblables se produisent aujourd’hui en bien des endroits, notamment le Sahel.
Le naturaliste Jean Dorst, qui fut directeur du Muséum d’Histoire naturelle et membre de l’Académie des Sciences, donnent dans La force du vivant (Flammarion, 1979) deux autres exemples spectaculaires de disparition d’anciennes civilisations à la suite de désastres écologiques : celle des Khmers et celle des Maya.
En Indochine les pluies de la mousson sont abondantes mais brèves. Dès 877, pour réguler l’écoulement de l’eau et l’étaler dans le temps, le roi Indravarman fit construire un réservoir avec digues et réseaux de canaux. Ce fut le début de la civilisation khmère. Ses successeurs servis par d’admirables ingénieurs étendirent ce système avec succès. La richesse économique se manifesta par la construction de temples et de palais, dont le chef d’œuvre est Angkor Vat au XIIe siècle. Mais l’apogée atteint le déclin fut très rapide. Que s’est-il passé ? Les explications classiques invoquent des facteurs politiques et sociaux. Cependant pour Bernard-Philippe Groslier la cause principale est l’évolution du milieu naturel sous l’influence de l’homme. La mousson a érodé et lessivé les sols. Les sédiments enlevés ont envasé les canaux et l’eau n’est plus parvenue à leurs extrémités. Après sédimentation, ce sont des eaux pauvres en sels minéraux qui se sont déversées en aval, insuffisantes pour produire d’abondantes récoltes de riz. Selon cette thèse, les Khmers auraient vu trop grand et dépassé les limites du possible. Les troubles politiques et sociaux qui en résultèrent mirent fin à leur brillante civilisation.
La civilisation maya, dont les premières constructions importantes remontent à 500 avant J.-C., connut son apogée au VIIIe siècle et s’effondra à peine 20 ans après l’édification des plus beaux temples. On pense que l’accroissement de la population, qui atteignit 3 millions ou plus, obligea à étendre les surfaces cultivées. Les forêts sur les collines furent défrichées et les mêmes techniques culturales qui avaient réussi en plaine y furent pratiquées. Ce fut un désastre. L’érosion accélérée emporta les sols ainsi défrichés et recouvrit les plaines aux sols fertiles d’alluvions infertiles tandis que les lacs et voies d’eau se comblèrent et cessèrent d’être navigables. L’approvisionnement en eau, problématique en ce pays calcaire, fut compromis. Les moustiques et autres vecteurs de maladie proliférèrent et provoquèrent des épidémies. Des provinces entières furent désertées. Les conflits sociaux et les guerres achevèrent de ruiner la société maya. La jungle envahit les champs de maïs et les cités. Tikal, Uxmal, Chichen Itza retournèrent à la brousse.
Jared Diamond, biologiste et géographe à l’Université de Californie à Los Angeles, a récemment repris cette question dans son livre Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (trad. A. Botz et J.-L. Fidel, Gallimard, Paris, 2006). Il donne d’autres exemples historiques : île de Pâques, Polynésiens des îles de Pitcairn et d’Henderson, Anasazis du sud-ouest des États-Unis et colonies vikings du Groenland, mais aussi de sociétés fragilisées d’aujourd’hui : Rwanda, Haïti et Saint-Domingue, Chine, Montana, Australie. Dans le cas des Mayas, il confirme le tableau de Jean Dorst et se demande pourquoi les nobles ne sont pas parvenus à résoudre les problèmes. « Leur attention était à l’évidence focalisée sur leur intérêt à court terme : s’enrichir, mener des guerres, ériger des monuments, rivaliser les uns avec les autres et tirer assez de nourriture des paysans pour soutenir ces activités. Comme la plupart des dirigeants au cours de l’histoire humaine, les rois et les nobles mayas n’ont pas pris garde aux problèmes à long terme, à supposer qu’ils les aient entrevus. »
- Cette description est confirmée par la synthèse récente de l’historien E. Leroy Ladurie (op. cit.). En effet voici le tableau qu’il dresse :
De 1300 à 1860 : petit âge glaciaire avec des hauts et des bas. Les glaciers alpins connaissent leur maximum d’extension entre 1812 et 1859.
De 1860 à 1910 : les glaciers alpins commencent à régresser, avec bien entendu des fluctuations. Malgré tout, en moyenne annuelle les années 1885-1892 sont très froides avec une famine en Russie en 1891. La décennie 1901-1910 est, en France, la plus froide du XXe siècle (11,4° C) malgré des canicules estivales en 1904-1906.
De 1911 (caniculaire) à 1950 : les températures moyennes annuelles remontent de 0.2°C par décennie au début pour atteindre 12° en 1941-1950.
De 1950 à 1975 : elles redescendent ce qui pourrait s’expliquer par les poussières dues à la pollution qui diminue le rayonnement solaire. En France les moyennes décennales sont 11,8° (1951-1960) et 11,7° (1961-1970 puis à nouveau 1971-1980).
- Ainsi donc, en 1976, les géophysiciens « unanimes » pensaient que la zone tempérée allait continuer à se refroidir et à se dessécher jusqu’à la fin du siècle. Après, quelques-uns prévoyaient qu’un effet de serre due à la pollution allait se produire, tandis que d’autres, dont Bryson « ne partageaient pas cet optimisme » et prévoyaient une longue période de froid sec. (Il est également intéressant de comparer ces opinions de 1976 avec celles qui avaient cours cinq ans auparavant, voir la chronique n° 54, Le temps pourri – Pollution atmosphérique et réchauffement, 30.05.2011).
Trente-sept ans plus tard, on voit que tous les climatologues de cette époque se sont trompés. En effet, 1976 apparaît aujourd’hui comme une année charnière entre le refroidissement de 1950 jusqu’à 1975 de l’incontestable réchauffement qui lui succède depuis lors. On est ainsi passé de 11,7° (moyenne 1971-1980) à 12,2° (1981-1990) puis 12,7° (1991-2000, décennie la plus chaude du XXe siècle) et enfin 13,0° (2001-2007).
Quant à l’optimisme de Bryson il n’est plus guère de mise, sauf pour ceux qui voient une bonne affaire dans l’ouverture d’une nouvelle voie maritime promise par la débâche de l’Arctique. La question qui se posait déjà en 1976 « Et maintenant, que va-t-il se passer ? » est plus que jamais actuelle. Et d’autres questions surgissent : à quel rythme les changements (de température mais pas seulement) vont-ils se produire ? quelles sont leurs causes et que doit-on faire ? Même si le pire n’est pas toujours sûr et la complexité du réel réserver des surprises, il serait fou de ne pas débattre de ces questions et éviter les plus graves erreurs.
- Voir la chronique n° 232, Un printemps explosif à Moscou – Les problèmes de l’agriculture soviétique, mise en ligne le 17.09.2012.
- « Les vrais grands événements de l’Histoire ne sont pas politiques ». Il faut faire un constant effort sur soi pour garder cette idée présente à l’esprit, tant est grande l’omniprésence de la politique dans les médias. Les hommes politiques font de leur mieux pour persuader leurs électeurs qu’ils maîtrisent les évènements et les électeurs ne demandent pas mieux que de les croire, tant cela les rassure. Bien entendu, cette volonté et cet espoir ne sont pas entièrement sans fondement, car il y a bien une marge de manœuvre importante, qui consiste surtout à éviter les plus grosses erreurs et là se joue la différence entre les hommes politiques clairvoyants et les autres.
Malgré tout, les grandes forces qui dont l’histoire sont à rechercher d’une part du côté des idées nouvelles et des techniques qui en découlent, et d’autre part des ressources et contraintes de l’environnement, deux faces des interactions entre l’Homme et la Nature. Aimé Michel a souvent exprimé cette idée-force dans de multiples contextes. Ne l’a-t-on pas souvent remarqué : les succès politiques de Napoléon coïncident avec des années de bonnes récoltes et son échec en Russie avec un hiver extrêmement rigoureux. On peut multiplier les exemples.
Les erreurs les plus graves conduisent à la disparition pure et simple de sociétés entières. A partir des exemples historiques qu’il traite, Jared Diamond (op. cit.) groupe en quatre catégories les facteurs qui expliquent ces erreurs tragiques : le manque d’anticipation d’un problème avant qu’il ne survienne vraiment, l’absence de perception du problème quand il arrive, l’incapacité à traiter un problème perçu, enfin l’incapacité à le résoudre.