Dans le tout dernier numéro de First Things, Richard Mouw, président émérite du Séminaire supérieur de Théologie, a publié un article important, « les mormons approchent de l’orthodoxie ». Il démontre que « l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours » (LDS) semble évoluer vers une conception plus « orthodoxe » de Dieu. Une grande part de son discours concerne le statut canonique des commentaires faits par les premiers auteurs mormons, entre autres par le fondateur de cette église, Joseph Smith junior. Celui-ci affirme que Dieu et l’homme sont de la même espèce, qu’il fut un temps où Dieu était un homme (avant de devenir Dieu) et que l’homme peut à l’avenir devenir ce que Dieu est actuellement.
Un des premiers géants de la foi des Mormons, Lorenzo Snow, qui finalement deviendrait le 5ème président de cette église, (1898 – 1901), en 1840 a résumé ceci sous forme d’un couplet : « Tel qu’est l’homme d’aujourd’hui, Dieu était autrefois / Tel qu’est Dieu aujourd’hui, l’homme peut bien le devenir. »
Comme le note Mouw avec raison, cette doctrine est incompatible avec la compréhension de Dieu que l’on trouve dans la conception chrétienne, qui enseigne que : « Dieu et l’homme sont des êtres d’un ‘ordre’ différent. Le Dieu de la Bible est le Totaliter alter , le Tout Autre. Il transcende infiniment sa création ». Néanmoins, Mouw affirme que de récents commentaires et publications faites par des chefs et des penseurs ecclésiastiques LDS révèlent un changement dans la manière dont les Mormons contemporains devraient interpréter correctement leur tradition. Celle-ci permet de considérer le divin d’une façon plus proche de l’orthodoxie que ne le faisaient leurs prédécesseurs.
Dans une réponse en ligne –« Les Mormons s’approchent-ils de l’orthodoxie ? » – le théologien Gerald McDermott, de l’école de la Divinité de Beeson, n’est pas d’accord avec Mouw, au vu des travaux canoniques et des commentaires sur le site internet qui semblent suggérer que la position traditionnelle des Mormons est encore la doctrine officielle, malgré les commentaires récents et les publications mentionnées par Mouw.
Bien que je sois enclin à préférer la position de Mouw à celle de McDermott, sur le développement de la doctrine LDS, chacun des deux semble s’accorder sur le fait qu’il y a un dogme « orthodoxe » de la nature de Dieu, qui est accepté sans controverse par les protestants, les catholiques et les Orthodoxes. ( Notez que quand j’écris Orthodoxe avec un O majuscule, je parle des Eglises Orthodoxes orientales. Mais quand je l’écris avec un o minuscule, je parle de ce que Mouw et McDermott veulent dire, ce que les chrétiens traditionnels de pratiquement toutes les confessions ont en commun.)
Par exemple, Mouw écrit : Tandis qu’on admet que la manière dont Jean Calvin dépeint le vide ontologique est plutôt austère en comparaison des autres traditions théologiques chrétiennes, il y a très peu de désaccord sur l’essentiel. Les théologiens Wesleyens, Catholiques et Orthodoxes orientaux insistent aussi sur la différence d’ « Essence » entre le créateur et les créatures humaines. Seul Dieu possède les «’ omni’-attributs ».
Il y a cent ans, Mouw aurait eu raison. Mais il semble que parmi les Evangéliques contemporains, le concept « orthodoxe » de Dieu soit maintenant lui-même contesté : Certains Evangéliques proposent une conception du divin qui est plus proche de la vision LDS que de la vision classique.
Avant le 20° siècle, pratiquement tous les chrétiens non-catholiques, communautés, théologiens et ministres pouvaient confesser sans réserve la description de Dieu proposée par le second concile de Latran en 1215 : « Nous croyons fermement et affirmons simplement qu’il n’y a qu’un seul vrai Dieu, éternel, incommensurable, tout puissant, immuable, incompréhensible et ineffable, Père, Fils et Saint Esprit, trois personnes mais une seule essence, substance ou nature absolument simple. »
Comme le montre le théologien réformé James Dolezal dans son livre magnifique Dieu n’est pas morcelé : Simplicité divine et métaphysique de l’absolu de Dieu, voilà quelle était l’explication sans controverse de la nature de Dieu que les Catholiques, les Protestants et les Orthodoxes avaient en commun. En fait, pour les catholiques, c’est un dogme « de fide », ce qui veut dire que c’est un article de foi essentiel de l’Eglise.
Mais les choses ont changé. Certains des esprits évangéliques de premier plan, et des plus respectés, ont rejeté au moins un de ces attributs, et dans certains cas tous. « Incompréhensible » et « ineffable » sont rejetés par ceux qui pensent que notre langage sur Dieu et l’homme devrait être univoque, plutôt qu’analogique. (Edward John Carnell, William Lane Craig, et Alvin Plantinga me viennent à l’esprit). Comme, sans une prédication analogique, la « simplicité » divine n’a pas sa chance, certains penseurs jettent aussi par-dessus bord la simplicité. (Craig Plantinga, et Richard Swinburne ont ce point de vue). Certaines formes de « trinitarisme social » comme celui de Swinburne ressemblent à du « trithéisme » et de ce fait ne sont pas compatibles avec « les trois personnes…(qui ne sont) qu’une essence absolument simple », mais également avec la croyance qu’il n’y a « qu’un seul vrai Dieu ».
Bien que ces penseurs disent que Dieu est « éternel » et « immuable », ils réinterprètent ces termes d’une manière que leurs prédécesseurs dans leur confession n’auraient pas reconnus. Certains prétendent que Dieu est éternel dans la mesure où il a toujours existé, mais pas dans le sens où il et hors du temps, comme les Protestants avaient toujours interprété ces termes jusqu’à récemment. De même, Dieu est seulement « immuable » au sens où il demeure le même être pour toujours, mais pas dans le sens où ses jugements, ses décisions et ses actes sont indépendants de l’activité d’êtres qui ne sont pas divins, tels que les humains et de leurs libres actions.
Il y a d’autres penseurs évangéliques qui vont même plus loin et dénient à Dieu de connaître l’avenir. Leur raisonnement est que comme Dieu est dans le temps, et que la prescience divine est incompatible avec le libre arbitre libertaire, Dieu ne peut pas avoir connaissance des futures contingences.
Donc nous vivons une époque intéressante sur le plan religieux. Il est possible que la distance entre la théologie LDS et l’orthodoxie soit en régression, mais pas seulement du fait des évolutions au sein du monde Mormon. L’orthodoxie protestante et Evangélique elle aussi a évolué.
28 Avril 2016
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/04/28/mormons-evangelicals-and-the-orthodox-god/
Tableau : La Trinité, École hollandaise, c. 1500
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