À l’initiative de cette marche, Laurent Glaenzer en explique sa genèse en 2011 : « Au départ, c’est l’Esprit Saint qui est à l’œuvre. Puis je suis parti d’un constat : alors que les pèlerinages des pères de famille fleurissaient un peu partout en France, il n’y en avait pas à Paris. Autre constat : le père est le grand oublié de notre société. Voire il est nié et rejeté. Dans toutes les situations dramatiques qui touchent la famille, c’est le premier à quitter le foyer. Il y avait donc urgence à lui redonner sa place au cœur de la famille. La Marche de Saint-Joseph est un moment magnifique pour le père esseulé qui rencontre d’autres pères de famille. C’est aussi un événement pour le reste de la famille, puisque les épouses et les enfants sont invitées à rejoindre leur mari lors de la veillée. »
Stanislas Péronnet, qui a pris la suite, est un habitué du pèlerinage des pères de famille. Associé dans une société qui fait du packaging à Boulogne-Billancourt, c’est un homme moderne et engagé dans l’Église. Marié et père comblé de quatre enfants, l’un des moteurs de sa vie est pourtant « la rencontre de Dieu à travers les autres ». Enraciné très profondément dans la foi catholique par sa mère, il rencontre Marthe Robin dans sa jeunesse, et fait sa première communion à Châteauneuf-de-Galaure. Plus tard, dans les années 2000, son engagement se poursuit à travers les chemins de Cotignac. Il le reconnaît : « La Marche de Saint-Joseph doit son existence aux autres pèlerinages français des pères de famille qui ont lieu chaque année en France au mois de juillet. Et la source, c’est Cotignac. C’est là que saint Joseph est apparu, en 1660. En 1519, 141 ans avant, c’est la Vierge Marie qui y apparaît avec l’Enfant Jésus dans Ses bras. Aujourd’hui, chaque année en France, il existe une quarantaine de pèlerinages pour les pères de famille… Je crois que cet élan est unique au monde. Je peux vous le dire, car je voyage beaucoup à l’étranger : les pères sont de nouveau debout ! »
En référence au livre de Philippe Oswald : Debout, les Pères !, publié il y a 20 ans, Stanislas fait partie de ces « aventuriers modernes » dont Charles Péguy vantait les mérites au début du siècle dernier. Des pères qui relèvent le défi de la paternité au quotidien. C’est le constat qu’il fait : « Les chrétiens redécouvrent aujourd’hui le rôle du père. Dès lors, ils se mettent en marche. Le père, explique-t-il, est celui qui donne le cadre, qui permet à l’enfant de sortir du cocon maternel. Il accompagne l’enfant dans sa prise de risques. Et l’aide ainsi à avancer dans la vie, à s’engager, et à entrer dans la société. » Il poursuit en soulignant que « le rôle du père est un rôle essentiel dans l’affirmation de l’autorité de Dieu. Pour moi, notre paternité est directement rattachée à notre relation à Dieu. Et nous avons pour responsabilité de transmettre cela à nos enfants. La paternité et la foi sont intimement liées : on advient pleinement père en devenant chrétien et en faisant la volonté de Dieu ».
En Mai 68, la jeunesse des barricades avait piétiné les valeurs traditionnelles de la famille. La révolution des mœurs était en marche. Les filles s’émancipaient… On connaît la suite : familles éclatées, divorces de masse, société déboussolée. Pour Stanislas, « on a perdu cette colonne vertébrale qui fait de nous des hommes et des pères debout ».
Cette année, le thème choisi pour la Marche réside dans deux adjectifs : « Juste et Saint ». Stanislas explique ce choix en citant de nouveau Marthe Robin : « C’est elle qui avait dit que saint Joseph serait le saint du XXIe siècle. Saint Joseph est juste et saint, parce qu’il était à sa juste place. Et il est saint parce qu’il s’est effacé pour faire grandir le Saint des Saints, le Christ. » Si Dieu a choisi de faire venir Son Fils dans une famille, c’est que « le creuset familial est le premier noyau de la vie divine. C’est pour cela que le diable attaque la famille, parce qu’il veut détruire la vie ». Et c’est pour cela que nous avons besoin de saint Joseph, ajoute Stanislas Péronnet, « car il nous protège et nous aide à devenir de bons pères et de bons maris. C’est la Sainte Famille que nous suivons ».
Un des autres enjeux de la Marche, cette année, est qu’elle s’ouvre à tous les hommes, et pas uniquement aux pères, aux jeunes époux et aux fiancés. « Je ne veux laisser personne sur le bord du chemin, explique Stanislas. J’ai rencontré des hommes qui se sentaient exclus de la Marche, parce qu’ils n’étaient pas pères. Nous avons cette responsabilité d’inviter tout le monde. » Car « nous qui sommes mariés et pères, poursuit-il, nous avons beaucoup de chance de vivre notre paternité. Mais, pour des raisons diverses, il y en a qui ne sont pas mariés, ou qui n’ont pas la chance d’être pères. Nous voulons les emmener avec nous… »
Parmi les pères qui vont faire la Marche pour la première fois, Vincent Phetsomphou. Converti, marié religieusement depuis peu, et père de deux filles. Quelques mois après sa naissance au Laos, en 1976, il doit fuir son pays, alors en pleine révolution marxiste. Son père échappe de près à une arrestation. Toute la famille se retrouve de l’autre côté du fleuve Mékong, en Thaïlande. Réfugiés politiques, ils sont ensuite accueillis en France en 1977. Vincent passe ainsi toute son enfance dans le Nord, chez les Ch’tis. Bouddhiste, il témoigne que « l’ascenseur social français a bien fonctionné pour moi ». Malgré sa réussite et une vie familiale heureuse, il éprouve le besoin de faire une pause. En 2014, il part, sac au dos, sur le Chemin de Saint-Jacques. Et y fait une expérience qui va bouleverser sa vie : « J’ai rencontré Dieu, tout simplement. Sur le Chemin, j’ai senti Sa présence à quatre ou cinq reprises. Aussi quand je suis rentré, au bout d’un mois et demi, je me suis rendu directement dans l’église de ma paroisse. » Converti, Vincent demande le baptême en 2016, et se marie en 2017. Sa participation à la Marche de Saint-Joseph se situe dans le prolongement. Très actif, il a lancé également un chapitre dans sa paroisse Saint-Jean-Baptiste de Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, réunissant une vingtaine de pères.
Sur le sujet de la paternité, il pense qu’un père « doit se prendre en main. Beaucoup d’hommes ont abandonné l’idée de la paternité assumée, c’est-à-dire le choix de se marier, de devenir père, de s’occuper et de se donner à ses enfants ». Le père est pour lui celui qui pose un cadre, avec ses limites, mais aussi celui qui aide l’enfant à s’épanouir, à vivre dans la société et à grandir sous le regard de Dieu. « Si je prends l’exemple de Claire, ma fille aînée, née de façon prématurée à cinq mois, nous avions toutes les raisons du monde de baisser les bras, parce qu’elle risquait de naître handicapée. Avec mon épouse nous avons pris le risque, nous avons accepté la vie jusqu’au bout. Claire est aujourd’hui une adolescente très épanouie. Et elle n’a eu aucune séquelle… »
Ainsi, depuis 2011, la Marche grandit : le nombre de pèlerins a été multiplié par quatre. Cette année, 2 000 marcheurs sont attendus. Conduisant aussi Stanislas Péronnet à étoffer l’organisation : seize personnes au total. Dont Arnaud Bouthéon, qui s’occupe de la partie édition. On lui doit notamment le spectacle son et lumières « La Dame de Cœur », qui a été projeté sur la cathédrale de Notre-Dame de Paris en 2017 et 2018. Il s’est aussi engagé dans l’organisation du Congrès Mission, dédié à l’évangélisation, qui a lieu tous les ans le dernier week-end de septembre à Paris. Cela fera la cinquième fois que ce père de cinq enfants fait la Marche : « J’ai vécu l’épuisement professionnel, le burn-out, raconte-t-il. J’ai été confronté aux jeux de rôles des personnes qui m’entouraient. C’est alors que j’ai décidé de servir le cœur des hommes, tellement blessé. » Car pour lui, les hommes cachent leurs failles et leur vulnérabilité derrière des masques et des statuts sociaux. « En m’engageant dans cette marche, c’est l’authenticité que je recherche. Cela m’a beaucoup apporté, aussi j’ai décidé de servir mes frères. »
Hubert de Caslou, qui s’occupe du site internet, a rejoint l’équipe également dans cet esprit de service. Père de huit enfants, il a souvent été absent de sa famille. Et confie aimer saint Joseph, qui a beaucoup aidé cet ancien officier de marine quand il partait en mission pour six mois à l’autre bout du monde. « J’ai une forte dévotion à saint Joseph. Je l’associe à toutes mes aventures d’homme, de père de famille et d’époux. La bonne nouvelle, c’est que Joseph, par son silence et sa discrétion, nous aide à être des hommes debout et des pères justes. » Il se dit inspiré dans sa mission de père : « Saint Joseph nous aide à devenir des saints. » Hubert rend aussi hommage à sa femme, qui lui a permis de rester présent auprès des siens même lorsqu’il était loin. Il insiste enfin sur l’humilité et sur le pardon, « carburant de la vie ».
Le mot de la fin revient à l’aumônier de la Marche de Saint-Joseph, le père Jean-Philippe Fabre, vicaire à la paroisse Notre-Dame-d’Auteuil, à Paris, et enseignant à l’école Cathédrale. Pour lui, le thème de cette 9e marche, « Juste et saint ! », est ce qui caractérise Joseph, et c’est l’ambition des pères de famille : « Il s’agit d’abord de s’ajuster à Dieu, puis à sa famille, et à la société. » Dès lors la sainteté de Joseph est bien concrète : « C’est une sainteté de chasteté et d’humilité. » Voilà pourquoi saint Joseph rejoint les pères de famille d’aujourd’hui dans leurs fragilités, explique encore le prêtre : « La sainteté n’est pas d’être parfait, c’est d’ouvrir ses failles à la miséricorde de Dieu. Et le saint par excellence, c’est Jésus Lui-même. »
—
Photo : © François-Régis Salefran