L’ONG Reporters sans frontière vient de publier son rapport annuel sur la liberté de la presse dans le monde, et ses conclusions sont pessimistes. Cette liberté recule dans nombre de pays et un phénomène nouveau apparaît : les discours de haine et les attaques contre la presse ne sont plus, à présent, l’apanage des seuls États autoritaires. Partout, des journalistes sont stigmatisés, désignés à la vindicte publique. Et certes, quand on entend le président Duterte des Philippines prévenir qu’être journaliste « ne préserve pas des assassinats », on a tout droit de s’inquiéter. Faut-il mettre sur le même pied le président américain Donald Trump qui qualifie les mêmes journalistes « d’ennemis du peuple », une formule qui était chère à Staline, paraît-il.
On pourrait tout de même objecter que la presse américaine continue à s’exprimer librement et ne ménage pas du tout son président. La liberté n’est donc pas, jusque ici, en cause. Elle ne l’est pas non plus en France, en dépit de la déclaration tonitruante de Jean-Luc Mélenchon : « La haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine. » C’est pourquoi je marquerais ma différence avec Reporters sans frontière, lorsque l’ONG considère que ce climat délétère envers la presse sape l’un des fondements essentiel des démocraties. Je commencerai à m’inquiéter lorsque cette hostilité entraînera la peur et, du coup, empêchera la liberté d’expression. Nous n’en sommes, heureusement, pas là.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’inquiéter des conditions actuelles, notamment matérielles qui fragilisent la presse écrite. Il est vrai aussi que nous sommes en présence d’une transformation notable de l’opinion publique, qui réagit désormais fortement aux médias institutionnels par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Ainsi se crée une sorte d’opposition, plus ou moins souterraine, qui pose des problèmes sérieux à la profession journalistique. La lutte contre les fausses nouvelles donne lieu à des répliques plus ou moins bien ajustées, avec la tentation de codifier ce qui relève de l’information légitime et de l’information illégitime. Plutôt que de jeter l’interdit, ne conviendrait-il pas de renforcer la pratique du débat, pour permettre à chacun d’exercer son jugement dans les meilleures conditions ?
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 26 avril 2018.
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