À chaque époque, sa crainte de la fin des temps. Le XXIe siècle ayant surmonté sa peur d’une apocalypse nucléaire, il se retrouve désormais face à celle d’une apocalypse climatique… À chaque fois, prophètes et détracteurs s’affrontent, à grand renfort de prédictions, pour annoncer une fin du monde qui rimerait avec la fin de l’homme. Si la fin des temps n’est pas étrangère à la foi catholique, au point qu’il s’agit du cap qu’elle s’est fixé, ses modalités sont bien différentes : à la mort de l’humanité se substitue l’attente du Jugement dernier. Depuis deux millénaires, cette fin des temps se retrouve consignée en un récit brûlant de 22 chapitres, le Livre de l’Apocalypse, idéalement placé à la fin de la Bible, que saint Jean introduit ainsi : « Révélation de Jésus-Christ, que Dieu lui a confiée pour montrer à ses serviteurs ce qui doit bientôt advenir » (Ap 1, 1).
« Moi, Jean, votre frère »
L’apparente différence de style entre la langue grecque employée dans l’Apocalypse, assez brute, et celle, plus délicate, du quatrième Évangile, ont, parmi d’autres raisons, poussé les exégètes à débattre depuis un siècle de l’attribution du livre : l’auteur, qui écrit « Moi, Jean, votre frère » (Ap 1, 9), est-il l’évangéliste, ou bien un disciple gravitant dans l’entourage de ce dernier ? Même si la question s’est posée dans les premiers temps de l’Église, la Tradition a tranché, en faisant de l’apôtre saint Jean l’auteur de ce récit, s’appuyant notamment sur les auteurs qui, très tôt, y ont reconnu la plume johannique : saint Justin de Naplouse dans son Dialogue avec Tryphon et saint Irénée, dans son Contre les hérésies, tous deux écrits au IIe siècle.
Ainsi, saint Jean entame la rédaction de l’Apocalypse, cette « révélation » qu’il reçoit « par l’envoi de [l’]ange [de Dieu] » (Ap 1, 1) sur l’île de Patmos, en mer Égée, en Grèce actuelle, au large des côtes de l’actuelle Turquie, probablement aux alentours de 94-96. En cette fin de règne de l’empereur Domitien, les persécutions contre les chrétiens font rage et l’apôtre note qu’il se trouve à Patmos « à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus » (Ap 1, 9). Ne pouvant bénéficier, comme saint Paul, de l’avantage d’une citoyenneté romaine, il y mène en toute vraisemblance un exil, loin de tout traitement de faveur.
L’exil à Patmos
Le contexte de la rédaction de l’Apocalypse reste flou. Saint Jean a-t-il reçu les visions dans une grotte, où il les aurait couchées sur papier en un texte adressé aux sept Églises d’Asie Mineure ? Menait-il une existence surveillée et rythmée par les travaux forcés sur cette île désolée, le forçant à écrire ce qu’il avait vu en de rares moments de répit ? Quelle que soit l’hypothèse retenue, ces rugueuses conditions de vie pourraient expliquer les variations de style entre l’Apocalypse et le quatrième Évangile, composé à Éphèse alors que l’apôtre n’était pas persécuté.
« L’Apocalypse de saint Jean compte autant de mystères que de mots » relevait saint Jérôme dans une lettre adressée à saint Paulin, entre le IVe et le Ve siècle. Aujourd’hui encore, les prêtres ressentent parfois une certaine appréhension au moment de prêcher sur l’Apocalypse, quand le texte figure dans la liste des lectures, tant sa richesse le rend délicat à manipuler. Par la puissance de ses images d’abord, qui marquent l’imagination au point d’avoir irrigué l’iconographie chrétienne et populaire depuis 2000 ans : la Mort chevauchant un cheval verdâtre, la Bête marquée d’un « 666 », la Femme ayant la Lune sous ses pas et le Soleil comme manteau, l’adoration de l’Agneau, la Jérusalem céleste… Délicat aussi car il évoque l’achèvement de l’histoire du Salut : la « parousie », c’est-à-dire le retour du Christ en gloire.
Un récit pour aujourd’hui
Reste enfin la question de l’intention et de la temporalité de l’Apocalypse. « Heureux celui qui lit, heureux ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui est écrit en elle, car le temps est proche » (Ap 1, 3) écrit saint Jean. Alors, qu’est-ce que l’Apocalypse ? Une feuille de route de la fin des temps, une prophétie dont on doit attendre l’application littérale ? Un simple récit symbolique écrit sur une île grecque au Ier siècle ? La réponse tient sans doute dans la tension qui parcourt toute l’Écriture sainte : un texte toujours actuel – car de toute éternité – dont la richesse est loin d’avoir été épuisée.
Pour aller plus loin :
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