Les gardes d’Auschwitz - France Catholique
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Les gardes d’Auschwitz

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Quand on visite Cracovie et Auschwitz deux jours de suite on ressent une sorte de coup de fouet existentiel. On vit au plus près l’une des réalisations culturelles les plus belles de l’humanité et le théâtre de l’un de ses plus grands crimes.

A Cracovie, vous voyez la gloire dont la nature et le génie de l’homme le rendent capable. A Auschwitz, vous rencontrez l’horreur dont cette nature et ce génie le rendent capable. Ce sont deux leçons importantes. Vous pouvez vous tromper grandement en affirmant l’une sans l’autre.

Je n’ai pas grand-chose à dire sur Auschwitz –et rien en particulier sur les prisonniers ; je ne possède ni la sagesse ni le talent nécessaires pour parler de leurs souffrances. Des horreurs de cette magnitude demandent un certain genre de silence de ceux d’entre nous qui les voient à une distance sans risque. Seuls ceux qui étaient là peuvent parler avec autorité. Je ne l’oserais pas.

Mais j’espère que l’on me permettra deux observations, non pas sur la souffrance des prisonniers, mais au sujet des gardes. En effet ce qui manque aux présentations généralement excellentes d’Auschwitz, c’est quelque chose au sujet des gardes. Cette lacune va être corrigée, me dit-on, dans une future exposition.

Pour le moment, il existe un livre intéressant recommandé par notre guide – The Private Lives of the Auschwitz SS/La vie privée des SS d’Auschwitz – qui contient des récits écrits par les domestiques polonais qui travaillaient dans les maison des gardes nazis.

Avant la guerre, il y avait une petite ville rurale polonaise calme à l’endroit du camp. Elle a été débarrassée de ses citoyens polonais, rebaptisée « Auschwitz» par les Allemands et les maisons ont été données aux officiers allemands qui – après avoir quitté leur « travail journalier » qui comprenait la déshumanisation et l’extermination systématique de centaines de milliers d’hommes de femmes et d’enfants innocents – rentraient chez eux le soir pour passer du temps en famille avec leurs femmes et leurs enfants.

Lisez les récits de Private Lives, et vous vous rendrez compte que, loin d’être le type d’Hannibal Lector que nous imaginons souvent, en réalité la plupart de ces hommes rentraient du travail et faisaient ce que font beaucoup de pères de famille. Ils parlaient à leurs femmes, jouaient avec leurs enfants, promenaient leur chien et s’occupaient des courses, du budget et des rapports avec la nourrice ou la cuisinière.

Je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce qui avait pu traverser l’esprit et l’âme de quelqu’un qui allait à la messe ou à l’église tous les dimanches, lisait la Bible fidèlement, et puis partait le matin suivant faire ce que les gardes faisaient à Auschwitz. Le potentiel humain de cécité morale sélective est tout simplement à couper le souffle et devrait servir d’avertissement constant.

Auschwitz montre que nous pouvons prendre le pire des maux pour le bien qui consiste à faire son « devoir ». Quand nous ne percevons pas la réalité comme Dieu la perçoit, et la voyons plutôt à travers une lentille bureaucratique ou idéologique, la réalité est complètement faussée. Nous ne voyons pas ce qui est juste devant nous – une personne, créée à l’image de Dieu – et au lieu nous voyons ce que nous pensons que cette personne représente.

A Auschwitz, j’ai appris deux détails que je ne connaissais pas auparavant. D’abord, lorsqu’il est devenu évident pour les Allemands qu’ils perdaient la guerre, les massacres dans les camps n’ont pas diminué ; ils ont augmenté.

De plus en plus de ressources ont été détournées de l’effort de guerre et utilisées pour tuer le plus de Juifs possible – comme si la seule considération était : « Pourrons-nous finir le travail avant d’être forcés de nous rendre ? »

Deuxièmement, alors que les Russes avançaient vers le camp, les Allemands ont fait sauter tous les crématoriums et incendié les deux entrepôts contenant les montagnes de chaussures, lunettes, valises, ustensiles de cuisine, et châles pour la prière qu’ils avaient pris aux Juifs quand ils descendaient des trains.

Peu de choses rappellent d’une façon plus sinistre l’ampleur des meurtres à Auschwitz-Birkenau que de voir cette montagne de chaussures et de valises – les valises toutes marquées du nom et de la date de naissance de leur propriétaire, comme s’ils partaient pour un camp d’été (on leur disait qu’on les changeait d’emplacement) ; certaines chaussures ne sont pas plus grandes que celles que l’on trouverait sur un bébé.

Parfois, lorsque les étudiants défendent leur relativisme moral, ils disent des choses telles que « les Nazis devaient avoir leurs raisons. » (Oui, ils en avaient. De mauvaises.) Ou ils demandent : « Mais si cela leur semblait juste ? » (Eh bien, ils avaient tort, n’est-ce pas ?)

Mais à propos des Allemands qui brûlaient les entrepôts et dynamitaient les crématoriums : cela signifie que les Allemands eux-mêmes savaient très bien que ce qu’ils faisaient était mal. S’ils avaient été fiers de leurs actions, vous vous attendriez à ce qu’ils annoncent au monde leurs « exploits » à grands cris – comme pour dire, devant toute opposition : « Nous savons que vous y êtes opposés. Nous savons que vous étiez trop timides pour faire ce qu’il fallait. Mais nous ne l’étions pas. »

Au lieu de cela, ils ont essayé de le cacher. C’est pourquoi les meurtres ont été commis dans des endroits vides en Pologne et non dans les grandes villes d’Allemagne. C’est pourquoi ils ont caché ce qu’ils faisaient sous des euphémismes verbaux.

Ces officiers allemands vivaient avec leurs familles comme si de rien n’était ; un jour de plus au bureau. Mais au fond, ils savaient.

Nous devrions chercher à comprendre quelle déformation du cœur et de l’âme de l’homme pouvait rendre ce détachement possible.

Méfiez-vous des gens qui disent : « Nous sommes engagés dans une noble tâche , mais dissimulent ensuite ce qu’ils font aux autres ou le cachent sous des euphémismes verbaux. Que cachent-ils, peut-être même à eux-mêmes ?»

Notre première obligation en tant qu’êtres humains libres est de voir la réalité clairement, de dire la vérité telle qu’elle est, et d’agir conformément à la vérité entière sur la dignité humaine. L’aveuglement moral des gardes d’Auschwitz devrait nous apprendre ce dont nous sommes capables quand nous ne le faisons pas.

https://www.thecatholicthing.org/2019/04/10/guarding-auschwitz/