« À travers cette prière, nous te demandons cette grâce : Seigneur, fais descendre sur terre cette eau si précieuse. Bénis aussi tous ceux qui travaillent pour faire fructifier la terre. »
La prière prononcée le 7 mai par l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Dominique Rey, n’a pas eu qu’un écho dans les cieux : après la procession organisée par la paroisse de Draguignan, dans le Var, la pluie est en effet tombée sur une terre qui manque cruellement d’eau depuis plusieurs mois. Sa supplique a aussi été largement relayée par les médias, surpris du succès populaire de cette initiative, conclue par une bénédiction des tracteurs : plusieurs centaines de personnes s’étaient rassemblées ce jour-là derrière les statues de saint Hermentaire, sainte Roseline, Notre-Dame de Bargemon, Notre-Dame du peuple et saint Roch (lire entretien).
Tout aussi « médiatisées », d’autres processions ont eu lieu récemment avec succès pour demander la pluie, notamment près de Perpignan. Ces manifestations s’inscrivent dans une tradition que l’Église a pratiquée pendant des siècles, avant qu’elle ne tombe en désuétude au détour des années 1960 : les rogations – du latin rogare, « prier ». Leur origine remonte à saint Mamert. Au Ve siècle, l’évêque de Vienne décréta trois jours de prières et de processions à travers la campagne avant l’Ascension, prêtres et fidèles demandant à Dieu de bénir les travaux des champs et de les protéger des calamités naturelles. Le pape Léon III rendit les rogations obligatoires dans toute l’Église au IXe siècle.
« Fidèles aux traditions de nos anciens »
On pourrait être tenté d’expliquer ce renouveau par des raisons strictement matérielles : après tout, rien de plus légitime que de souhaiter qu’il pleuve pour irriguer les cultures ! Ce serait négliger le souci spirituel des participants, dont témoignait une Dracénoise dans Var-Matin, le 8 mai : « Même si nos prières n’aboutissent pas, ce n’est pas grave. L’essentiel, c’est la communion autour de valeurs partagées » – autrement dit, la joie de prier ensemble Dieu, la Vierge et les saints, en s’affirmant « fidèles aux traditions de nos anciens », comme le proclamait fièrement l’affiche réalisée pour inviter aux rogations de Draguignan.
Cette expression de la piété populaire ne manque pas de stupéfier ceux qui la croyaient démodée. Pourtant, bien d’autres manifestations témoignent de sa vivacité, et même de son renouveau. Certaines sont solidement enracinées, comme les pardons en Bretagne ou les ostensions de reliques en Limousin. D’autres événements sont de création récente, comme le « M de Marie » : la statue de Notre-Dame de France, pèlerinant de Lourdes à La Salette, a déplacé des foules de fidèles. Sur le même modèle, se déroulera une « procession eucharistique en calèche » sur les routes du Var, du 4 au 9 juillet.
« Non pas ma volonté, mais la tienne »
Il faut encore citer l’attachement à des pratiques de piété plus intimes et néanmoins populaires : porter une médaille, recourir à l’eau bénite, conserver des images pieuses… Il n’est pas question de prêter à ces objets des pouvoirs magiques mais de placer humblement son existence sous le regard de Dieu, confiants dans la Providence : « Il s’agit d’oser confier ses désirs à l’Éternel en se tenant toujours prêt à dire : Toutefois, non pas ma volonté, mais la tienne », résume Frédéric Guillaud. Ce dont témoigne à sa manière la Dracénoise interrogée par Var-Matin : « Je suis ici pour défendre l’humilité. L’humilité par rapport à la Création, à la nature. » Les papes ne s’y sont pas trompés. Contre les prétentions de théologiens parfois pressés de réduire la foi à un lot de concepts, ils ont toujours souligné les vertus évangélisatrices de la piété populaire, réévaluant constamment son importance. Pour Paul VI, elle traduisait « une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître ». Jean-Paul II voyait dans la piété populaire « une ressource spirituelle extraordinaire pour l’Église ». Aujourd’hui, François n’hésite pas à la définir comme « le système immunitaire de l’Église » contre la mondanité, « un trésor »… qu’il enrichit lui-même en allant, à Sainte-Marie-Majeure, offrir un bouquet de fleurs à la Vierge Marie, chaque fois qu’il revient d’un voyage apostolique.