« Le goût du ciel » - France Catholique
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« Le goût du ciel »

Romancier roumain de langue française, Virgil Gheorghiu fut ordonné prêtre orthodoxe il y a 60 ans. On lui doit notamment La Vingt-cinquième heure.
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«L’homme se trouvera enchaîné par la société technique pendant de longues années. Mais il ne périra pas dans les chaînes. La société technique peut créer du confort. Mais elle ne peut pas créer de l’Esprit. Et sans esprit, il n’y a pas de génie. Une société dépourvue d’hommes de génie est vouée à la disparition. La société technique, qui prend la place de la société occidentale et qui va conquérir toute la surface de la terre, périra elle aussi. »
Il y a chez l’auteur de ces lignes – Constantin Virgil Gheorghiu – quelque chose de Bernanos. La grande œuvre de cet écrivain roumain, La Vingt-cinquième heure, paraît en 1949, quatre ans après l’essai de Bernanos, La France contre les robots.

Un monde asservi par la technique

Témoins d’un temps d’apocalypse, tous deux lancent un même avertissement : il n’y a pas d’un côté « le monde libre » et de l’autre « l’enfer communiste », il n’y a qu’un monde asservi par la technique, soumis à deux matérialismes qui, débarrassés de Dieu, conduisent l’homme à sa perte, chacun à sa manière, violente à l’Est, plus pernicieuse à l’Ouest car soumettant l’homme à l’illusion qu’il peut maîtriser son destin. Dans la préface qu’il a donnée à la première édition de La Vingt-cinquième heure, le philosophe Gabriel Marcel voit la source de ce mal dans la perversion de l’idéalisme dont les grands représentants, de Platon à Kant, comptent pourtant parmi les plus vives intelligences : « Il y a tout lieu de penser que l’idéalisme a tendu à devenir maléfique à partir du moment où il a perdu le contact avec la Révélation, où il s’est coupé de la doctrine johannique du Verbe, où il s’est orienté vers une divinisation de l’homme par l’homme – et non vers l’assomption par l’homme d’une Grâce qui descendait à sa rencontre. » C’est donc la grâce qu’il faut accepter, avec Dieu qu’il faut renouer, pour recouvrer sa liberté et redevenir pleinement homme.

C’est bien à quoi Virgil Gheorghiu (1916-1992) a employé sa vie, malgré les vents contraires : elle ressemble à celle de ses héros ballottés au gré de l’histoire, qui n’épargna pas la Roumanie. Né dans les Carpates, il est le fils d’un prêtre orthodoxe dont la paroisse est aussi vaste que pauvre. Il devra renoncer au séminaire, faute d’argent. L’avant-guerre le trouve à Bucarest : il y vit de petits emplois, en poursuivant des études de lettres et de philosophie. Marié en 1939 à une avocate juive, il juge prudent de quitter la Roumanie dont le régime a rejoint le camp de l’Axe. À la Libération, il sera néanmoins interné avec sa femme dans une prison américaine. On lui reproche d’avoir servi, comme diplomate en Croatie, un pays allié de l’Allemagne jusqu’en 1944.

En 1948, il s’installe en France, où il publie La Vingt-cinquième heure, traduite en plus de trente langues. La vingt-cinquième heure, c’est l’heure qui suit la fin du jour, celle qui survient quand tout est accompli et qu’on n’y peut plus rien changer. Gheorghiu y raconte les mésaventures kafkaïennes d’un paysan moldave pris tour à tour pour un juif par les fascistes roumains, pour un aryen par les nazis et pour un nazi par les Américains, tous acharnés à réduire l’homme à des catégories dont ils ont délimité les contours.

C’est finalement le 23 mai 1963 que Virgil Gheorghiu sera ordonné prêtre de l’Église orthodoxe, à Paris – lui qui, depuis sa naissance, avait « pris le goût du ciel » en contemplant, enfant, le visage de son père, qu’il compare aux icônes vénérées par les orthodoxes : « En ouvrant les yeux sur une icône, j’ai reçu en même temps une invitation au Ciel. À cause, peut-être de cette invitation, la préoccupation unique de ma vie a été le voyage au ciel. »

À la vingt-cinquième heure succède, malgré tout, le matin de Pâques. Quand tout est accompli.