Saint Michel a-t-il vraiment touché le crâne de saint Aubert, visible dans un superbe reliquaire en la basilique Saint-Gervais d’Avranches ? Le trou observable à l’arrière du crâne semble donner corps à la légende : le doigt angélique aurait fortement appuyé sur la tête du prélat pour lui intimer l’ordre de lui obéir.
Aubert aurait en effet rêvé à trois reprises que saint Michel lui demandait de lui consacrer un sanctuaire au sommet du Mont-Tombe. L’évêque d’Avranches a l’habitude de s’y recueillir. Réputé charitable et sage, il aime échanger avec les solitaires qui mènent une vie érémitique sur l’austère rocher. Mais ses songes lui font craindre d’être le jouet d’une illusion du Malin. Alors, par deux fois, il ne s’exécute pas.
La demande de saint Michel est pourtant explicite. Dès la première vision, le 16 octobre 708, il évoque la construction d’un sanctuaire au Mont-Tombe « afin d’y être honoré et réclamé comme il l’est au Mont-Gargano », en Italie. Le Mont-Gargano est le premier lieu demandé par saint Michel, par trois fois en 490, 492 et 493, pour être honoré en Occident ; depuis, le sanctuaire est très fréquenté par les pèlerins.
Après la deuxième vision nocturne qui confirme le premier songe, Aubert demande un signe pour être sûr de la volonté de l’archange. En guise de réponse, Aubert aurait été rudoyé vertement par saint Michel qui aurait appuyé son doigt sur le crâne du prélat d’une façon autoritaire. C’est alors que l’archange exigea, outre l’édification du sanctuaire, la présence d’Aubert sur le chantier jusqu’à ce qu’il fût achevé.
Le Mont-Tombe change de nom
La tradition veut qu’Aubert célébra la première messe en ce lieu seulement un an après la première vision, le 16 octobre 709. Pour la dédicace du sanctuaire, des clercs d’Avranches se rendirent au Mont-Gargano afin d’obtenir de l’abbé des reliques de l’archange : un morceau de manteau rouge qui aurait été laissé sur l’autel par saint Michel et un fragment du rocher où serait apparue l’empreinte de son pied. Puis Aubert établira sur le Mont une collégiale de douze chanoines de son diocèse afin d’accueillir les pèlerins.
Le Mont-Tombe prendra alors le nom de « Mont-Saint-Michel au péril de la mer » car la traversée à pied pouvait être dangereuse pour ceux venus rendre un culte à l’archange. Aubert rendit l’âme en 725 et fut enseveli sur le Mont, conformément à son souhait. Ses ossements et son crâne auraient été retrouvés au XIe siècle par les bénédictins qui avaient pris possession du lieu en 965. C’est à cette occasion que les moines remarquèrent le trou sur le crâne qu’ils attribuèrent à la marque de l’archange.
Depuis, rien ne contredit l’authenticité de la relique. En 2019, l’université de Lyon et le centre de recherche sur les isotopes de Groningen aux Pays-Bas ont daté le chef d’Aubert comme appartenant à un Mérovingien d’environ 60 ans ayant vécu entre 660 et 770. Et le trou ? La perforation crânienne pourrait être due à un kyste épidermoïde, une affection bénigne formant une bosse du vivant du malade. Sans doute saint Michel avait-il appuyé sur la tête d’Aubert un peu trop fort…