Le cardinal Newman : saint, théologien et virtuose de la prose - France Catholique
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Le cardinal Newman : saint, théologien et virtuose de la prose

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L’an passé, en novembre, le Vatican a authentifié un second miracle attribué à John Henry Newman (1801-1890) et le 13 février de cette année, le pape François a donné son approbation à cette authentification. Le cardinal Newman a précédemment été déclaré vénérable, puis bienheureux. Ce second miracle était nécessaire pour que Newman soit promu au rang de saint. On s’attend à ce que sa canonisation soit officialisée avant la fin de l’année.

Nombreux sont ceux qui pensent que Newman, peut-être le plus grand théologien catholique depuis Thomas d’Aquin au 13e siècle, recevra une promotion supplémentaire après avoir rejoint le rang des saints reconnus officiellement. Ils s’attendent à ce qu’il ne se passe pas beaucoup de temps ensuite avant qu’il ne soit compté au nombre des Docteurs de l’Eglise.

Il n’y a pas longtemps, j’ai relu, après une première lecture faite il y a un demi-siècle, « Apologia pro Vita Sua » de Newman, l’histoire autobiographique de ses opinions religieuses jusque 1845, l’année où il a quitté l’Eglise d’Angleterre et est devenu catholique.

La prose de « Apologia », écrite au milieu de la soixantaine, est bien plus maîtrisée que celle de son autre œuvre maîtresse en prose, écrite une douzaine d’année plus tôt : « L’idée d’université ». « L’idée » abonde en épigrammes et en autres formules frappantes. Fréquemment, en vue de renforcer sa pensée, Newman répète ce qu’il veut dire d’une demi-douzaine de façons, chacune exprimée d’une manière nouvelle et saisissante. Le style est riche, peut-être trop riche. Il me fait penser à un bon gâteau au fromage : délicieux, mais à consommer en petite quantité.

A l’époque où il a écrit « Apologia », Newman a élagué son style de ses éléments spectaculaires : l’analogie avec le gâteau au fromage ne s’applique plus. Si vous vous mettez à « Apologia » juste après avoir lu « L’idée d’université », comme je l’ai fait la première fois il y a des années, vous pouvez être désappointés par le manque d’étincelles. Le tout est écrit en noir et blanc avec des nuances de gris et non en Technicolor. Comme cela semble terne au début. Mais accrochez-vous un peu, accoutumez-vous à sa mélodie, et vous prendrez rapidement conscience que vous êtes en présence d’une autre œuvre maîtresse, bien que d’une genre très différent.

Le style est gracieux, tranquille, fluide, mature, comme une rivière calme mais puissante. C’est une merveilleuse combinaison de solennité et d’intimité, tout à fait adaptée au sujet traité : l’histoire des opinions théologiques d’un homme doté en parties égales d’une haute intelligence et d’une grande ferveur religieuse.

Dans son ouvrage précédent, vous avez l’impression d’un écrivain luttant pour avoir un impact sur le lecteur, et y réussissant brillamment. Dans le dernier ouvrage, vous avez l’impression inverse – un écrivain qui a renoncé à chercher des effets, qui maintenant écrit sans effort mais qui est cependant incapable d’écrire une phrase boiteuse. (Bien sûr, il faut toujours se rappeler que le summum de l’art est de faire oublier sa présence.)
Donc, comme je le disais, j’ai récemment relu « Apologia » et je l’ai lu pour bien plus que son style ; je l’ai lu tout autant pour son contenu, son message. Quelle était la grande préoccupation théologique de Newman ? Positivement parlant, c’était de trouver la vérité religieuse. Au plan négatif, c’était de résister à quelque chose qu’il appelait le « libéralisme » dans la religion.

Et que voulait-il dire par libéralisme religieux ? Il voulait dire le style de religions anti-dogmatique ; un style qui considère la religion comme uniquement matière de sentiment et de conduite, non de doctrine. Dans le christianisme libéral, il ne peut y avoir d’hérésie, parce qu’il n’y a véritablement ni vérité ni erreur, du moins aucune dont nous puissions nous sentir sûrs.

Il n’y a pas de critère objectif par lequel nous puissions juger que cette religion-ci est vraie et que cette autre est fausse. Tout est subjectif, rien n’est objectif. Toutes les croyances sont égales. Toutes les religions sont égales.Quelle que soit la religion (ou l’absence de religion) que vous adoptez, ce n’est qu’une question de préférence personnelle. Le libéralisme équivaut à un déni qu’il y ait une révélation divine.

Newman était convaincu, fort justement, que le libéralisme religieux grandissait à son époque. C’est cette conviction qui les a conduits, lui et ses amis, à lancer ce qu’on appellerait par la suite le mouvement d’Oxford – une tentative de résistance au libéralisme et de réaffirmation du principe dogmatique dans l’Eglise d’Angleterre.

Ils ont fait cela en essayant de ranimer, tant par leurs écrits que par leur influence personnelle, les croyances et les pratiques du christianisme antique et médiéval. Ils voulaient « catholiciser » l’Anglicanisme – bien que sans le « romaniser ». Ils avaient l’intention d’être anglo-catholiques et non catholiques romains.

C’est cette lutte contre le libéralisme qui a finalement conduit Newman à Rome. L’anglicanisme, a-t-il décidé à contrecœur, était une cause perdue, contaminée irrémédiablement par le protestantisme. Et, de la façon dont Newman voyait les choses (il avait l’habitude de voir loin), le protestantisme conduisait finalement au libéralisme religieux, et le libéralisme, en retour, conduisait à ce que l’on appelait à son époque soit « rationalisme », soit « infidélité », c’est-à-dire l’agnosticisme et l’athéisme. En dernière analyse, il soutenait qu’il n’y avait pas de point de chute entre l’athéisme à une extrémité et le catholicisme – le catholicisme romain – à l’autre extrémité.

Etant donné que le libéralisme est en croissance de nos jours chez les catholiques, c’est peut-être exactement le bon moment pour nous souvenir de Newman. Espérons que sa canonisation inspire un mouvement de « retour à Newman ». Et une déclaration faisant du grand cardinal un Docteur de l’Eglise.


David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.

Illustration : « Le cardinal John Henry Newman » par John Everett Millais, 1881 [National Portrait Gallery, Londres]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/03/22/cardinal-newman-saint-theologian-prose-stylist/