En présentant hier Fabrice Hadjadj, conférencier de carême à Notre-Dame de Paris, Mgr Aupetit, l’archevêque, a fait remarquer que la cathédrale n’était pas le Salon de l’agriculture, mais qu’il y avait un rapport direct entre ce qui allait être dit par le philosophe et les soucis très concrets de nos agriculteurs. Certes, il fallait consentir à grimper un peu sur des hauteurs pour saisir de quoi il était question, car Fabrice Hadjadj n’était nullement dans la situation d’Emmanuel Macron affrontant directement le grand malaise des exploitants agricoles, avec le casse-tête des solutions à apporter à un modèle économique en pleine tourmente. D’ailleurs, à ce terme d’exploitant, il préfère sans aucun doute celui de paysan, bien qu’il soit tombé depuis longtemps en désuétude.
C’est, en effet, en 1967 que le sociologue Henri Mendras publiait un ouvrage mémorable, sous le titre La fin des paysans. C’était la fin d’une civilisation qui était annoncée avec son remplacement par une autre, technicienne celle-là. La société industrielle devait absorber en quelques années le secteur qui lui résistait dans la mesure où il restait le dernier carré de la civilisation traditionnelle, avec ses mœurs et surtout son rapport à la nature. Précisément, c’est ce rapport à la nature, en ce qu’elle constitue la création sortie des mains du créateur que Fabrice Hadjadj entend célébrer, en partant de l’exemple privilégié des abeilles qui nous offrent ce don si précieux de la douceur du miel. Accordons que le langage employé est plus celui des poètes que celui des économistes. Mais n’est-ce pas la réalité même qui nous oblige à revenir à la nature comme don du créateur, dans sa fraîcheur première ?
Le recours aux abeilles met d’ailleurs en évidence l’opposition radicale qu’il peut y avoir entre une conception instrumentale de la nature et une conception théologico-écologique, tentons le néologisme. N’est-ce pas Mandeville qui, en 1705, avait publié La fable des abeilles pour mettre en évidence les fondements d’une économie purement libérale ? Car de la ruche, il retenait l’idée d’un monde ne fonctionnant que dans le pur cynisme. Le contraire même des abeilles observées par les poètes. Bien sûr, nous n’allons pas résoudre les questions graves de notre agriculture en distribuant Les bucoliques de Virgile, Porte de Versailles. Mais il y a tout de même un lien à établir, propre à nous faire réfléchir.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 26 février 2018.