Jusqu’au début du siècle, la science croyait pouvoir tout expliquer en combinant espace et temps. Mais voici qu’elle découvre des phénomènes qui se déroulent hors de ces dimensions. Exemple ? Le défi à la raison de la lumière.
JUSQU’AU début de ce siècle, la science entière visait un but, un but unique : tout expliquer par l’espace et le temps. C’est-à-dire découvrir des équations qui combineraient quatre mesures et quatre seulement : trois d’espace (longueur, largeur, profondeur) et une de temps.
Elle y est presque arrivée à la fin du XXe siècle ! Lord Thompson l’a même écrit dans une phrase célèbre 1. Henri Poincaré, prophétisant prudemment l’évolution prochaine de la science, n’y voyait que la continuité de ce que l’on avait fait jusqu’alors.
Trente ans plus tard, trente seulement ! Niels Bohr énonçait textuellement que les phénomènes fondamentaux dont la science étudie les effets ne se déroulent « ni dans le temps, ni dans l’espace », qu’ils sont « inaccessibles et transcendants » 2. C’est-à-dire exactement le contraire de ce que tout le monde avait cru jusqu’alors.
Malicieuse lumière
Nous voici en 1981 : qu’est devenue la science ?
Elle a découvert une formidable masse d’idées et de faits nouveaux, tellement complexes et étonnants qu’aucune synthèse n’est plus possible (ou plutôt – que le passé nous rende prudents !), ne semble imaginable dans un avenir proche.
Pour en mesurer la difficulté, donnons quelques exemples.
En 1900, la lumière était une vibration. De même que le son est une vibration se propageant dans l’air, la lumière (et toutes les autres ondes électromagnétiques telles que les ondes radio) était une vibration se propageant dans l’éther. Qu’était-ce que cet éther ? On n’en savait rien, mais on espérait le savoir bientôt.
En 1981, la lumière se propage comme une onde et se manifeste sous la forme d’une apparition locale d’énergie infiniment brève, dans un espace apparemment infiniment petit.
Ce n’est pas clair ? Essayons autrement : tant qu’elle se propage, la lumière est exactement comme si elle n’existait pas, car rien ne peut la déceler ; et quand on la décèle, elle a cessé de se propager et n’est plus de la lumière mais de l’énergie. Ce n’est toujours pas très clair !
Troisième tentative. La lumière est (voir plus haut) quelque chose qui se manifeste comme une apparition locale d’énergie ; cette apparition obéit à des lois : avant de se produire en un point donné, elle s’est propagée dans l’espace, mais sans qu’on puisse dire où ; non point parce qu’il serait « difficile » de dire où, mais parce que cela serait faux, car ce n’est pas de l’énergie, ou grain d’énergie (le corpuscule appelé photon) qui se propage, mais une onde de probabilité, qui remplit tout l’espace jusqu’au moment de l’apparition locale d’énergie. Comment, tout l’espace ? Oui, tout, mais chaque endroit de l’espace étant plus ou moins « probable » 3. Est-ce à dire qu’on ne sait pas où est le photon, mais qu’on a plus ou moins de chance de le trouver ici ou là ? Pas du tout, puisque je vous ai dit que ce n’est pas un photon (grain d’énergie) qui se propage, mais une onde : on le sait, car une onde et un grain ne se propagent pas du tout de la même façon. Mais une onde de quoi, enfin ? Quel est le milieu qui vibre ? Réponse : il n’y a pas de milieu qui vibre puisque ce qui se propage n’est qu’une entité mathématique, une abstraction, une possibilité de calcul.
Comment une abstraction peut-elle se propager ? Question oiseuse répondent après Bohr les physiciens dits « orthodoxes », car je peux calculer tout ce que j’expérimente et expérimenter tout ce que je calcule : le reste n’est donc que propos dénué de sens, bruit de mots.
Le lecteur me permettra-t-il de lui casser la tête en allant un peu plus loin ? Cela vaut le détour, comme dit Michelin, car nous arrivons aux tout derniers développements de la physique, à l’expérience historique qu’Alain Aspect est en train de faire à l’université d’Orsay (a) 4 .
Convenons donc de dire que deux objets sont « corrélés » s’ils se partagent un gâteau, de sorte que si j’examine l’objet n° 1 et trouve qu’il possède les trois quarts du gâteau, je sais, sans examiner l’objet n° 2, que celui-ci possède un quart du gâteau.
Appliqué à la lumière, cela signifie qu’on sait envoyer deux ondes corrélées, se partageant donc une sorte de gâteau appelé polarisation. Ces deux ondes sont détectées en deux points différents. En détectant l’onde n° 1 (qui dès lors devient un photon), on constate, premier fait plutôt surprenant, que l’on peut dans une certaine mesure choisir la part du gâteau dévolue à ce photon. Choisir la part qui a été dévolue ? Comment peut-on choisir quelque chose qui aurait été déterminé avant le choix ? Nous répondons (voir plus haut), en plein accord avec la physique orthodoxe : propos dénué de sens, bruit de mots. Et ce n’est pas tout car, conséquence non moins stupéfiante, si nous choisissons trois quarts du gâteau pour ce photon-ci, il en découle que l’autre onde, étant corrélée, produira un photon muni d’un quart de gâteau, et ce à n’importe quelle distance ! 5
Un petit coup de Nuits-Saint-Georges
Si mon patient lecteur a bien voulu me suivre, il aura remarqué que ce qui est inimaginable dans cette expérience, ce ne sont pas les faits, mais leur explication. Illustrons la difficulté en la transposant parmi des objets familiers. Supposons que vous et moi ayons un ami commun et qu’il nous envoie à chacun une bonne bouteille, à l’un de Nuits-St-Georges, à l’autre de St-Émilion. Elles sont corrélées, car si j’ai les Nuits, vous avez le St-Émilion. Je reçois le colis et, avant de l’ouvrir, je choisis que ce sera du Nuits (b). C’est en effet du Nuits. Deuxième fait évident (à condition que j’ai choisi le premier) vous avez le St-Émilion. Comment comprendre ce miracle ? Réponse de M. Olivier Costa de Beauregard, suivi de tous les physiciens qui s’en tiennent fermement aux équations, c’est-à-dire à l’orthodoxie : avant le choix, il n’y a que l’onde, la détermination se fait au moment de la détection (ou du choix). Donc, avant d’ouvrir le paquet, ce n’est ni du Nuits ni du St-Émilion ? Avant d’ouvrir, il n’y a qu’une onde de probabilité, présente partout dans l’espace. On a beau chercher, on ne voit rien de miraculeux, simplement un paquet qu’on ouvre et une bouteille avec son étiquette (c). Ce qui refuse d’entrer dans une cervelle humaine, du moins la mienne, c’est l’onde.
Il y a aussi, bien entendu, l’aspect invisible des faits : à savoir que si je trouve en ouvrant le paquet une bouteille de Nuits, c’est que je l’ai choisie. L’interprétation de ce fait-là provoque en ce moment des disputes fort aigres. On dispute aussi pour savoir si ce choix qui détermine quelque chose à distance peut transmettre un signal. Presque tous les physiciens pensent que non, et j’avoue là aussi ne pas encore avoir compris pourquoi. Quelques physiciens disent aussi ne pas comprendre, ce qui ne prouve rien. 6
Vers une nouvelle physique
Reste le plus troublant. M. Aspect, je l’ai dit, est en train de réaliser sur ces problèmes une expérience de première grandeur. Mais dès avant l’expérience, les physiciens ont réfléchi sur ses résultats possibles. Or, quels qu’ils soient, ils seront destructeurs, car ce qui est en jeu, selon certains, c’est la légitimité, soit de la physique quantique, soit de la relativité. Il faudrait, selon M. Vigier, de l’Institut Henri Poincaré, abandonner l’une ou l’autre, ou les métamorphoser profondément. 7
En d’autres termes, ce seraient les fondements de la science la plus solide, la physique qu’il faudrait revoir. Et à ce prix, des découvertes nouvelles, encore plus extraordinaires que celles qui ont créé notre environnement, s’ouvriraient devant nous. Il me semble que notre incapacité à les prévoir et la certitude qu’elles se produiront sous peu nous font toucher du doigt la destinée elle-même que nous appelons Providence. 8
Aimé MICHEL
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(a) Il n’existait pas jusqu’ici de vulgarisation de cette expérience : c’est fait, cf. Science et vie n° 766, juillet 1981. L’article ne fait pas encore état des premiers résultats : ils semblent confirmer la mécanique quantique (et donc violer les inégalités de Bell).
(b) On ne peut, hélas, choisir les deux.
(c) Le lecteur qui voudra saisir la fine pointe de ces énigmes physiques en trouvera l’exposé très clair et mis à la portée de tout esprit curieux dans le livre de M. Costa de Beauregard : « La physique et les pouvoirs de l’esprit », vrai chef-d’œuvre de réflexion. L’éditeur est : Le Hameau éditeur, 15, rue Servandoni, 75006 Paris.
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Chronique n° 341 parue dans France Catholique-Ecclesia – N° 1807 – 31 juillet 1981 Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 17 août 2015
Chronique n° 341 parue dans France Catholique-Ecclesia – N° 1807 – 31 juillet 1981 Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 17 août 2015
- On attribue souvent à William Thomson, plus connu sous le nom de lord Kelvin, une phrase telle que « La physique est achevée, si ce n’est l’ombre de deux petits nuages, le rayonnement du corps noir et les résultats de l’expérience de Michelson » ou bien « Il n’y a plus rien de nouveau à découvrir en physique. Tout ce qu’il reste à faire, ce sont des mesures de plus en plus précises. » En réalité ni l’une ni l’autre n’ont été prononcées par lui sous cette forme. Seule la fin de la première phrase est à peu près juste au moins quant à son sens (pour la citation exacte voir la chronique n° 156, Le physicien dans le laboratoire – Entre pessimisme et espoir, 13.06.2011, note 2). Quant au début de la première phrase et à la seconde sur l’achèvement de la physique il semble bien qu’elles ne soient tout simplement pas de lui (sur ce point voir la chronique n° 287, Le pithécantrope et le jardin – La Révélation est forcément un mystère sinon elle serait dépassée dans vingt ans, 26.08.2013, note 4).
- J’ai recherché l’origine de ces citations d’allure si moderne de Niels Bohr, malheureusement sans succès.
- Ajoutons, pour ne pas accroître inutilement la perplexité du lecteur, que cette probabilité n’est pas nécessairement la même en tout point de l’espace. Ainsi on peut favoriser certaines directions de l’espace, au moyen de miroirs par exemple, et y accroître beaucoup la probabilité d’y détecter les photons émis par la source (la lampe). Toutefois avec une source ponctuelle émettant de la lumière dans toutes les directions, les ondes émises sont sphériques et la probabilité de détecter un photon est la même en tout point d’un écran supposé sphérique centré sur cette source. Cependant, chaque onde correspondant à un photon ne se manifestera qu’en un seul point de l’écran. C’est dans cette situation très simple que se manifeste avec le plus de clarté l’étrange non-localité quantique. En effet lorsque l’onde sphérique atteint l’écran, toute son énergie qui était répartie partout dans l’onde va se trouver instantanément localisée en un seul point de l’écran, celui imprévisible à l’avance où l’on détecte le photon. Ce phénomène est indépendant de la distance entre la source et l’écran. Ainsi, lorsque vous regardez une étoile, Sirius par exemple qui se trouve à une distance 8,7 années-lumière, votre rétine se comporte comme un écran : l’onde émise il y a plus de 8 ans par Sirius forme alors une sphère de 8,7 années-lumière de rayon qui se réduit instantanément en un photon en un point de votre rétine, comme si cette immense distance n’existait pas. Et c’est encore la même chose si vous regardez la galaxie Andromède qui se trouve à plus de 2 millions d’années-lumière ! Einstein, dès la 5e conférence Solvay de 1927, avait déjà repéré cette grave difficulté de la physique quantique qui suggérait une action instantanée à distance en complète contradiction avec la théorie de la Relativité. Cependant, il fallut attendre les expériences décisives d’Orsay avec des paires de photons intriquées pour que la réalité de ces effets non-locaux soit explicitement reconnue. L’exemple de l’étoile a un autre intérêt : il montre que la non-localité ne se manifeste pas uniquement dans les conditions particulières de particules intriquées mais qu’elle est également présente dans des phénomènes impliquant une seule particule. La non-localité (ou non-séparabilité) régit tous les phénomènes quantiques. En ce sens c’est la nature entière qui est non-locale, non divisible en entités séparées. C’est une conclusion de grande portée dont on est sans doute loin d’avoir tiré toutes les conséquences.
- C’est la quatrième fois en six ans qu’Aimé Michel attire l’attention de ses lecteurs sur ces expériences, désormais effectivement « historiques » mais dont à l’époque personne ne parlait en dehors d’un petit cercle de spécialistes. La première fois c’est en septembre 1975 dans la chronique n° 218, La physique en proie aux particules monopoles – Nous ne savons rien au regard de ce qui reste à découvrir (27.03.2012) même si Alain Aspect n’y est pas encore nommé. Il est nommé la seconde fois, en novembre 1977 dans la chronique n° 294, Sur le seuil de la nouvelle physique – Une lettre de Olivier Costa de Beauregard (24.3.2014) et il l’est à nouveau en mai 1978 dans la n° 310, Le nouveau « paradoxe du comédien » – L’interprétation philosophique de la physique quantique (02.06.2014). C’est au cours de ces six années qu’Aspect conçu et réalisa avec son groupe les expériences qui seront publiées en 1981 et 1982 dans Phys. Rev. Lett. J’ai conté les circonstances historiques qui ont conduit à réaliser ces expériences dans les notes des chroniques n° 285, La dernière serrure – Un monde en dehors de l’espace et du temps, mise en ligne le 20.01.2014, n° 286, Qu’est-ce qui n’est pas dans le temps ni l’espace et qui est infini ? – Le désaveu de la physique qui ne serait que physique (17.03.2014) et n° 336, Cactus dans la physique : et si le temps était réversible ? – Théorème d’Einstein-Podolsky-Rosen et problèmes irrésolus en physique (15.06.2015). On trouvera également quelques autres indications dans les chroniques n° 282, Le quark piégé – Une nouvelle physique sans espace, ni temps (27.05.2013, note 6) et n° 340, Il faut tourner sept fois sa langue avant de dire que c’est absurde – L’insuffisance du raisonnement purement verbal et la nécessité de la vérification (12.05.2014, note 6). Il existe aujourd’hui de nombreux livres et articles vulgarisant les expériences d’Orsay. On peut citer notamment le livre de Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, Le cantique des quantiques. Le monde existe-t-il ? (La Découverte, Paris, 2007) et celui de Nicolas Gisin, L’impossible hasard. Non-localité, téléportation et autres merveilles quantiques (Odile Jacob, Paris, 2012). Alain Aspect lui-même est un excellent vulgarisateur comme on pourra en juger par ses nombreuses conférences disponibles sur Internet. J’ai donné quelques liens dans Le nouveau « paradoxe du comédien » (cité ci-dessus) ; en voici quelques autres : https://www.youtube.com/watch?v=tWeGIxnbcHk ; http://www.dailymotion.com/video/xpb1fb_alain-aspect-einstein-et-les-revolutions-quantiques_tech ; http://www.canalacademie.com/ida658-Alain-Aspect.htm (ces deux dernières sont des introductions à la physique quantique). Rappelons encore http://www.canal-u.tv/video/universite_toulouse_ii_le_mirail/la_physique_quantique_a_l_epreuve_de_l_experience_alain_aspect.12026 qui est une réflexion sur la méthode scientifique et la vérité en physique avec l’exemple des controverses sur la fusion froide, etc.
- La caractéristique essentielle des expériences quantiques est qu’elles montrent des évènements corrélés qui ne peuvent pas s’expliquer par un lien matériel ou la propagation d’un signal dans l’espace-temps. On peut aujourd’hui décrire le cœur de l’expérience d’Alain Aspect au moyen d’une comparaison plus simple que celle utilisée par Aimé Michel dans cette chronique (où l’emploi du terme « choisi » est juste mais pas essentiel et complique un peu les choses). Supposons qu’Alice lance une pièce dans son laboratoire à Avignon et enregistre à chaque lancer le résultat obtenu, pile ou face, et que son collègue Bob fasse de même dans son laboratoire de Brest au même moment. Chacun constate que la série obtenue est parfaitement aléatoire et comporte autant de piles que de faces. Pourtant, lorsqu’Alice et Bob se rencontrent ils constatent un fait très surprenant : leurs deux séries sont inversées, chaque fois que la pièce est tombée sur pile à Avignon elle est tombée sur face à Brest et inversement ! Autrement dit les deux séries sont parfaitement corrélées. On ne peut pas expliquer ce résultat par un signal envoyé d’Avignon à Brest par exemple parce que les lancers étant simultanés ce signal devrait voyager plus vite que la lumière. On ne peut pas l’expliquer non plus par une programmation à l’avance du lancer des pièces (à cause du fameux théorème formulé par John Bell). Autrement dit les corrélations quantiques observées ne peuvent pas s’expliquer par des chaînes causales observables dans l’espace-temps. Mon ami le physicien et philosophe zurichois Antoine Suarez, collaborateur de Nicolas Gisin, auquel j’ai emprunté la comparaison précédente, tire d’intéressantes conséquences de ces expériences quantiques et de leur interprétation actuelle. « Les corrélations quantiques, écrit-il, sont l’exemple par excellence d’un résultat expérimental qui ne peut pas s’expliquer par des influences matérielles. On peut en conclure que ce qu’on voit n’est pas fait à partir de ce qui est visible (“le visible provenant de l’invisible”, en accord avec Hébreux 11:3). Ainsi, sur la base des observations disponibles, pour des raisons de cohérence, on doit admettre l’existence d’un domaine non-matériel inaccessible à l’observation directe. (…) Une barrière mentale (…) joue un rôle important dans la crise actuelle de la foi chrétienne : le préjugé qu’il est impossible que des principes spirituels tels que Dieu, les anges et l’âme humaine gouvernent le monde visible. Comme vous le voyez, les expériences quantiques peuvent aider à surmonter cette barrière. » (http://www.zenit.org/en/articles/is-science-compatible-with-free-will-part-1, Rome, juillet 2013)
- Aimé Michel était en fort bonne compagnie en ne comprenant pas pourquoi la non localité quantique ne permet pas de transférer instantanément de l’information à distance ! En effet il a fallu beaucoup de temps à de nombreux physiciens pour comprendre les raisons de cette impossibilité. Il y eut de 1975 à 1982 des tentatives de réaliser pratiquement un dispositif de communication instantanée fondé sur la non-localité. La plus aboutie fut la proposition de Nick Herbert dans un article intitulé « FLASH – Un communicateur superluminique fondé sur une nouvelle sorte de mesure quantique » qu’il soumit à la revue Foundations of Physics en janvier 1981. Dans ce dispositif de type EPR un des deux photons corrélés passe dans un amplificateur laser produisant de multiples copies dont les polarisations linéaires et circulaires sont ensuite mesurées simultanément. Une demi-douzaine de rapporteurs (et Richard Feynman lui-même) s’avouèrent incapables de trouver où était l’erreur. Seuls GianCarlo Ghirardi et Tullio Weber de Trieste trouvèrent le point faible mais sans insister : la physique quantique interdisait selon eux la production de copies identiques du photon dans le tube amplificateur, si bien que l’appareil proposé ne fonctionnerait pas. Leur avis se trouva noyé dans la masse. Le rédacteur-en-chef du journal constatant la perplexité et le désaccord entre les rapporteurs suivit la majorité et décida finalement d’accepter l’article d’Herbert qui parut en décembre 1982. Les premiers à publier l’objection de Ghirardi et Weber furent cependant deux élèves de Wheeler, Bill Wooters et Wojciech Zurek, en octobre 1982. Ce fut Wheeler qui leur suggéra de soumettre leur article, aujourd’hui célèbre, à Nature et qui en trouva le titre « A single quantum cannot be cloned » (un quantum unique ne peut être cloné). Ce résultat, extrêmement important en physique quantique, connu sous le nom de « théorème de non clonage » stipule qu’on ne peut pas produire une copie d’un photon (ou d’un électron) qui soit rigoureusement dans le même état que le photon (ou l’électron) originel. Ce théorème interdit la construction d’un amplificateur parfait et d’un télégraphe instantané mais, en contrepartie, il permet de réaliser un système de cryptage quantique d’une parfaite sécurité. Un système de communication instantanée (ou simplement envoyant un signal plus vite que ne le ferait la lumière) violerait la relativité d’Einstein et provoquerait des paradoxes. Par exemple, vu sous le bon angle, un signal superluminique voyagerait à rebours du temps : un message serait donc reçu avant d’être envoyé ! Par contre, si aucun message n’est communiqué, le paradoxe disparaît.
- La prévision de Jean-Pierre Vigier ne paraît pas s’être réalisée, tant les physiciens quantiques que relativistes se sont accommodés d’une non-localité qui ne permet pas le transfert instantané d’information à distance. Une « coexistence pacifique » s’est établie entre les théories des uns et des autres. Les contradictions frontales entre elles ont été écartées laissant toutefois irrésolue la question de leur synthèse en une théorie générale (voir à ce propos la note 4 de la chronique Cactus dans la physique : et si le temps était réversible ? citée plus haut). Comme l’écrit le physicien genevois Nicolas Gisin : « L’absence de communication évite à la physique quantique d’être en conflit direct avec la relativité. Certains parlent de coexistence pacifique, une terminologie surprenante pour parler des deux piliers de la physique d’aujourd’hui. Il n’en reste pas moins que ces deux piliers reposent sur des fondements qui sont en totale opposition. La physique quantique est intrinsèquement aléatoire, la relativité profondément déterministe ; la physique quantique prédit l’existence de corrélations impossibles à décrire à l’aide de variables locales, alors que tout en relativité est fondamentalement local. » (L’impensable hasard, op. cit., p. 80).
- Aimé Michel pensait que des découvertes « extraordinaires » allaient être faites « sous peu ». Près de 35 ans plus tard cet espoir est-il définitivement déçu ? Rien n’est moins sûr et c’est Alain Aspect lui-même qui l’écrit dans la préface du livre de Nicolas Gisin cité ci-dessus : « Loin de moi l’idée qu’il y ait des lois physiques à tout jamais intouchables – bien au contraire, je suis intimement convaincu que toute théorie physique sera tôt ou tard supplantée par une théorie embrassant un champ plus vaste. Mais certaines d’entre elles sont si fondamentales que leur mise en cause demandera une révolution conceptuelle d’une ampleur inouïe, dont nous avons eu quelques exemples dans l’histoire de l’humanité mais dont on sait bien qu’elles sont tellement exceptionnelles qu’on ne peut les envisager sans souligner leur caractère extrême. » Nous voilà donc prévenu !