« LE TEMPS DÉPLOYÉ » - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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« LE TEMPS DÉPLOYÉ »

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Une « Brève histoire du temps » du physicien anglais Hawking est en train, comme on dit, de « faire un malheur ». C’est un livre de grand mérite, mais je doute que ce mérite soit la principale cause de son succès. Tout le monde admire et aime les héros, et Hawking, outre un éminent physicien, est aussi un héros, un prodige de courage et de volonté1. Je vais parler ici d’un autre livre sur le temps, écrit aussi par un éminent physicien, mais français, membre de l’Institut Henri Poincaré, et jouissant d’une parfaite santé, alpiniste, ce dont il ne peut que se féliciter sauf quand on en arrive à vouloir atteindre un large public. Monsieur Olivier Costa de Beauregard est peut-être aussi un héros, mais il n’a pas été obligé comme Hawking d’en faire la démonstration pour élaborer ses idées, que les physiciens du monde entier connaissent bien, et le public pas du tout2. Quelques clés pour un livre 1) Le livre s’appelle Le temps déployé, avec ce sous-titre provocateur : Passé, futur, ailleurs, ce qui laisse entendre qu’il y a dans le mystère du temps des zones qui n’appartiennent ni au passé, ni au futur, ni au présent. Si vous vous arrêtez sur cette phrase, vous penserez probablement qu’il y a là du fantastique, de l’inconcevable. Du fantastique, certes. Et pourtant c’est très facile à comprendre. Par une nuit sans lune, regardez une petite étoile, n’importe laquelle, mais petite (plus elle paraît petite et plus elle est loin). Vous la voyez là où elle était quand elle vous a envoyé sa lumière, c’est-à- dire probablement il y a des milliers d’années. Ce n’est pas grave. N’y a-t-il pas quelque instrument, quelque moyen connu des astronomes, capable de vous la montrer là où elle est réellement maintenant ? Justement, c’est le hic : non seulement il n’existe aucun moyen, mais l’univers est fait de telle façon que si un tel moyen existait, même aussi indirect qu’on voudra, tout deviendrait chaotique et s’effondrerait dans une apocalypse universelle, car (c’est ce qu’a découvert Einstein avec sa relativité) il n’y a pas de simultanéité à distance. On ne peut rien dire ni savoir du « maintenant » de la petite étoile : dans le temps, elle est « ailleurs »3. 2) Cependant, dans cet univers où l’on pourrait dire que tout est « ailleurs dans le temps » par rapport à tout le reste, les phénomènes sont causes les uns des autres, et leur causalité s’exerce du passé vers le futur : si je cogne dans un ballon, mon coup de pied (la cause) est antérieur à la trajectoire du ballon (l’effet)4. Le temps est orienté, il s’écoule vers le futur, cela semble évident : M. Costa de Beauregard appelle cela la « flèche du temps ». C’est vrai, mais la réalité est moins simple que la fausse évidence. Par exemple, si vous filmez une voiture en train de rentrer au garage à reculons et si ensuite vous montrez le film en le faisant tourner à l’envers, on verra une voiture sortir du garage normalement et on ne remarquera rien de particulier : certains phénomènes sont symétriques par rapport au temps, il se déroulent exactement de la même façon en direction du futur et (hypothétiquement) du passé. Ce n’est pas grave, dira-t-on encore : il n’y a que quelques phénomènes de ce genre, et si l’on regarde avec attention, etc. Mais là aussi il y a hic, encore plus monstrueux : les phénomènes « gros » où s’écoule notre vie vont presque tous en effet vers le futur, mais tout « gros » phénomène est la somme de nombreux autres phénomènes… Et il se trouve que ces « petits » phénomènes, examinés par la science, sont tous symétriques par rapport au temps : si on déroule leur film à reculons, rien de particulier ne se passe ! Alors que signifient l’écoulement du temps, le passé et le futur ? C’est l’éternel sujet de l’interrogation poétique : M. Costa de Beauregard cite en épigraphe le vers de Lamartine « Ô temps, suspends ton vol ». Pensons aussi à Proust, Ronsard, Villon : « Mais où sont les neiges d’antan ? »5. 3) Eppur si muove : et pourtant « le temps s’en va, le temps s’en va Madame ». Et nous sentons bien que c’est l’univers matériel qui vieillit en nous et nous pousse vers la mort. Alors ? M. Costa de Beauregard étudie avec une profonde sagacité métaphysique le rôle de la statistique, et ce qu’il appelle dans les lois métaphysiques le droit et le fait. Oui, il est vrai que les lois physiques telles que nous les connaissons sont symétriques en droit : le passé est au niveau du « petit » l’image du futur dans un miroir. Mais en fait, le temps s’écoule bel et bien, à cause de ses effets statistiques. Statistiques d’ailleurs très particulières depuis que la physique est devenue quantique. Sur ce point je m’arrêterai là. 4) L’univers « extérieur », étude du physicien, passe comme notre pensée d’un moment à un autre. Ce passage est même l’objet des lois scientifiques, dites différentielles. Mais le physicien ne distingue en aucune façon dans l’univers extérieur un futur en soi et un passé en soi. Tous les instants de l’histoire de l’univers sont équivalents aux yeux de la physique. C’est pourquoi M. Costa de Beauregard parle d’un temps « déployé ». Il a proposé plusieurs fois, pour faire comprendre ce concept apparemment difficile, la métaphore du livre, qui est posé là d’un bloc sur cette table et dont la dernière page n’est différente en nature de la première que pour le lecteur : celui-ci commence par le début et tourne page à page jusqu’à la fin, mais le livre n’en subit aucune modification6. De même, nous parcourons notre destinée physique sans rien changer au monde physique, qui est déployé, sans particularité propre à un futur ou à un présent purement subjectif. M. Costa de Beauregard pense même que parfois, dans le rêve ou d’autres circonstances exceptionnelles, notre conscience peut lire plusieurs pages d’avance : c’est la prémonition, ou la prophétie. C’est aussi son concept auquel beaucoup de ses collègues sont rétifs, mécontents que l’on trouve dans la physique un fondement plausible à des faits que récuse le matérialisme traditionnel (du l9e siècle). 5) L’aspect du livre qui m’a le plus passionné est aussi celui que l’on trouve le plus rarement dans les livres de physique : M. Costa de Beauregard a une connaissance approfondie de l’histoire de sa science, et l’on fait en le lisant une découverte vraiment stupéfiante : c’est que la physique eût pu évoluer beaucoup plus vite si les physiciens avaient su lire correctement les équations qu’ils découvraient ! En trois ou quatre bonds, d’équation en équation, on aurait pu à partir du 18e siècle aboutir très vite au principe de relativité, écrit d’ailleurs d’abord par Lorentz et Poincaré, mais lu correctement pour la première fois par Einstein7. Aussi M. Costa de Beauregard estime-t-il que le vrai auteur d’une grande découverte n’est souvent pas celui qui la fait, mais celui qui l’interprète correctement8. Ainsi en est-il d’ailleurs, dit-il, de la prémonition, dont le principe mathématique a été écrit voilà déjà bien cinquante ans par Brillouin (loi d’équivalence entre la variation de l’entropie et l’acquisition d’informations). Une physique ouverte Je n’ai pas résumé le livre de M. Costa de Beauregard, aussi profond philosophe que physicien imaginatif : je n’ai fait qu’effleurer quelques idées propres, me semble-t-il, à donner envie de le lire 9. Ou plutôt de l’étudier, car ce n’est pas un livre qu’on lit pour se délasser. Écrit avec élégance et souvent avec humour, il ne dispense pas d’un effort de réflexion10. Non qu’il soit réservé aux savants : même ses collègues les plus calés devront souvent s’arrêter et réfléchir. Mais, comme il le dit, l’« honnête homme » non-physicien y trouvera aussi des sujets de méditation inédits et passionnants, même s’il doit se résigner, après effort, à contourner certains passages (a)11. Aimé MICHEL (a) Olivier Costa de Beauregard, Directeur de recherche émérite de l’Institut Henri Poincaré : Le temps déployé, édition du Rocher, collection L’esprit et la matière, Paris 1988. Chronique n° 466 parue dans F.C. – N° 2216 – 28 juillet 1989 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 11 septembre 2017

 

  1. Stephen Hawking est né en 1942. À l’âge de 21 ans, on découvre qu’il est atteint d’une maladie dégénérative des neurones moteurs, la maladie de Charcot ou sclérose latérale amyotrophique. La maladie se déclare en général beaucoup plus tard, vers 50 ans, mais la durée de vie moyenne du malade n’est que de 4 ans environ ; moins de 5 % survivent plus de 20 ans. La survie de S. Hawking est donc tout à fait exceptionnelle. Sa maladie évolue lentement mais elle le laisse de plus en plus handicapé. En 1985, suite à une pneumonie, il perd même la capacité de parler : la trachéotomie qu’il subit lèse définitivement ses cordes vocales. S’il peut encore s’exprimer c’est grâce à un système mis au point par la compagnie Intel : un capteur infrarouge fixé sur ses lunettes enregistre les contractions de la joue et lui permet de sélectionner des lettres sur une tablette installée sur son fauteuil roulant. Le texte qu’il compose peut être alors lu par l’ordinateur avec une voix synthétique étrange mais à laquelle il s’est habitué avec le temps et qu’il préfère conserver. Hawking s’est fait un nom en physique théorique dans les années 70 et 80 par ses travaux sur les trous noirs (il découvre qu’ils émettent un rayonnement) et sur la cosmologie. Depuis les années 1990 il est un ferme partisan de la théorie des supercordes. Il a pris sa retraite de l’université de Cambridge en 2009. Son livre, Une brève histoire du temps, paru aux États-Unis en 1988 avec une préface de Carl Sagan y est resté en tête des ventes durant plus de quatre ans et demi. Après Trous noirs et bébés univers (1993), il a écrit une première suite, intitulée The universe in a nutshell (c’est-à-dire en bref, en résumé), bizarrement traduit L’univers dans une coquille de noix, puis une seconde, Une belle histoire du temps (2005). Plus récemment, il a publié Y a-t-il un grand architecte dans l’univers ? (2011, il pense que non) et La Brève Histoire de ma vie (2013).
  2. Olivier Costa de Beauregard (1911-2007) fut élève de Louis de Broglie mais il s’écarta des idées de ce dernier (voir chronique n° 437). Son œuvre écrite est considérable. Sans même parler de ses articles, on peut en juger par la liste (incomplète) de ses livres : La théorie de la relativité restreinte (Masson, Paris, 1949), La notion de temps. Equivalence avec l’espace (Hermann, Paris, 1963), Le second principe de la science du temps (Seuil, Paris, 1963), La physique moderne et les pouvoirs de l’esprit (Le Hameau, Paris, 1981), Le temps déployé (Le Rocher, Monaco, 1988), Le corps subtil du réel éclaté (Aubin, Saint-Étienne, 1995). Cette œuvre s’étendant sur près de cinquante années a la particularité d’être d’une grande homogénéité : les mêmes idées fondamentales, présentes presque depuis le début, unissent intimement les aspects physiques, historiques, épistémologiques et métaphysiques, l’auteur y mettant à profit sa double formation de physicien et de philosophe (la Notion de temps… et le Second principe… sont ses deux thèses de philosophie soutenues en 1963 ; elles ont été rééditées ensemble sous le titre Le temps des physiciens, Aubin, Saint-Étienne, 1996). Les ouvrages de synthèse de ce genre écrits par des physiciens ne sont pas rares. Citons, entre autres, Cette étrange matière d’Alfred Kastler (Stock, 1976), La Nouvelle physique sous la direction de Paul Davies (Flammarion, 1994), Traité de physique à l’usage des profanes de Bernard Diu (Odile Jacob, Paris, 2000), À la découverte des lois de l’univers de Roger Penrose (trad. C. Delaroche, Odile Jacob, Paris, 2007)… Si on les compare au Temps déployé, livre qui fait l’objet de la présente chronique, les différences sautent aux yeux : la synthèse de Costa de Beauregard est bien plus personnelle, englobante et unitaire que toutes celles que je viens de mentionner. La volonté d’aller au cœur intime des « lois de l’univers » dans leur simplicité fondamentale, en ne les séparant pas de leur contexte historique et humain, sans se laisser influencer par les idées du moment, même si on la retrouve chez les autres auteurs, est chez lui plus prononcée. On y sent l’effort d’un homme d’une rare intelligence et ouverture d’esprit, indifférent aux habitudes de son milieu professionnel, pour rassembler, en jamais plus de 200 pages, les connaissances qu’il juge essentielles en physique fondamentale et en tirer les conséquences scientifiques et philosophiques ultimes. Il résulte inévitablement de ce projet singulier quelques inconvénients pour le lecteur non physicien (et même pour le lecteur physicien plus spécialisé) qui sont souvent la grande abstraction et parfois la difficulté à faire la part des idées classiques et des idées personnelles voire controversées. Je donne quelques indications à ce propos en notes 9 et 10 ci-dessous.
  3. Les idées les plus simples sont souvent les plus difficiles. Par cet exemple de l’étoile, Aimé Michel a l’art de présenter la découverte par Einstein de la « non simultanéité à distance » de manière concrète, frappante et aisée à mémoriser, mais comme il ne peut ôter de notre esprit l’idée fausse qu’il existe un espace et un temps absolus (où la simultanéité à distance relève de l’évidence), nous restons sur notre impression de ne pas vraiment comprendre. Le plus dur n’est pas d’acquérir des idées nouvelles, le plus dur c’est de se débarrasser des idées « évidentes » mais fausses qui encombrent notre esprit ! Il y faut souvent une longue ascèse. En l’occurrence, les idées évidentes mais fausses sont d’une part qu’il existerait un espace absolu et un temps absolu et d’autre part que seuls des obstacles techniques limiteraient la vitesse avec laquelle on peut aller d’un point A à un point B. Ce qui est concevable dans notre imagination n’est pas conforme à la réalité. En effet, comme Einstein l’a montré et comme chacun le sait aujourd’hui, d’une part espace et temps sont indissolublement liés dans une entité nouvelle, l’espace-temps, où temps et espace peuvent s’échanger en partie (voir fin de la note 7), et, d’autre part, aucune particule, aucun signal, aucun effet ne peut voyager de A à B plus vite que la lumière. Cette division en trois parties (passé, futur, ailleurs) devient plus intuitive lorsqu’on a sous les yeux le diagramme de Minkovski. On en trouvera le schéma de principe dans la note 2 de la chronique n° 120, In pulverem reverteris, accompagné de quelques explications qualitatives.
  4. Cet exemple du ballon qu’on frappe du pied illustre bien l’une des principales difficultés que le lecteur non physicien rencontre en lisant ce livre : le caractère abstrait des explications proposées par la physique, si éloigné du concret de notre expérience et de nos explications spontanées. À titre d’illustration, voyons comment Costa de Beauregard considère la relation de cause à effet. Il propose d’« identifier purement et simplement le concept de la causalité physique à celui de la probabilité conditionnelle. Qu’y a-t-il de plus opérationnel que : “Si vous faites ceci, il est probable que cela va arriver” [prédiction], ou bien que : “Si vous trouvez cela, il est probable que ceci soit survenu” [rétrodiction] » (p. 17). Autrement dit : si je donne un coup de pied au ballon il est probable qu’il va se mettre en mouvement. Il ajoute même qu’il s’agit de la « proposition essentielle » de son essai. Cette conception laisse de côté ce qui nous paraît le plus important (le contact du pied avec le ballon) au profit d’une formulation bien plus abstraite en termes de probabilité conditionnelle, mais ce qu’on perd en concret on le gagne en généralité et en pouvoir explicatif. Il faut s’y habituer : la physique moderne s’est fort éloignée de l’idéal mécanique et concret de la science classique – la nature obéit à des lois abstraites et par conséquent la plupart des concepts nécessaires à sa description le sont aussi. Que l’on pense à l’énergie, l’entropie, l’information, les interactions fondamentales, etc.
  5. La thèse de l’univers-bloc, où passé et futur n’existent pas moins que le présent, bien que classique en physique relativiste (voir les chroniques n° 120 et n° 336 et la note 3 de la n° 394) prend une importance particulière dans l’œuvre de Costa de Beauregard parce qu’elle rend possible une causalité rétrograde, c’est-à-dire à rebrousse-temps du futur vers le passé. Cette dernière notion s’appuie elle-même sur le fait que les équations qui décrivent le monde microscopique sont invariantes par renversement du temps, contrairement à celles qui décrivent le monde macroscopique de notre vie quotidienne où se manifeste la « flèche du temps ». Cette possible causalité rétrograde est envisagée par d’autres physiciens et non des moindres comme Paul Davies et Roger Penrose (voir note 4 de la chronique n° 328). Cependant, la plupart des physiciens hésitent à s’engager dans cette voie, comme en témoigne le physicien genevois Nicolas Gisin qui s’exclame « Je n’ai pas de doute que la non-localité de même que la relativité mettent à mal notre concept familier du temps, mais de là à imaginer une causalité inverse qui “remonte” le temps ! ». Pour autant, il ne rejette nullement cette interprétation et suggère même qu’elle est typique des questions que se posent les physiciens contemporains (voir note 5 de la chronique n° 336). Retenons que la causalité rétrograde, si elle n’est pas démontrée, ne peut pas non plus être formellement rejetée en l’état actuel de nos connaissances.
  6. La métaphore du livre se trouve surtout dans Le Second Principe… : « dans l’espace-temps de Minkovski, l’attention à la vie de Bergson serait analogiquement comparable à l’attention à la lecture d’un livre imprimé, les successifs “états tridimensionnels du genre espace” tenant un rôle comparable à celui des feuillets du livre. Et de même que, pour s’assimiler le raisonnement, notre attention est obligée d’étudier continûment le texte dans l’ordre où il est écrit, semblablement, pour s’insérer effectivement dans “l’écriture” du cosmos quadridimensionnel, “l’attention à la vie” serait obligée de “feuilleter” continûment, dans l’ordre de la probabilité croissante, les états tridimensionnels de l’univers » (p. 115 et p. 123, ou Le temps des physiciens, p. 285). « Dans l’ordre de la probabilité croissante » signifie dans le sens où il est possible aux êtres vivants de prédire ce qui va se passer : dans le sens passé-futur il est certain que l’eau bouillante de la baignoire va refroidir alors que, dans le sens futur-passé, n’importe quelle baignoire d’eau tiède peut vous ébouillanter dans les minutes qui suivent !
  7. On trouve cette même idée dans la chronique n° 53, À dix minutes de l’an 4000 : « s’il est vrai que dix minutes de conversation eussent suffi à Archimède pour apprendre le principe des dérivées et une demi-heure leur usage, cela signifie que des connaissances que nos descendants, s’il y en a encore, n’atteindront qu’en l’an 4000 sont à dix minutes de réflexion de notre pensée. » En ce qui concerne les mérites respectifs de Einstein, Poincaré et Minkovski, question qui a été si souvent discutée, voici ce qu’écrit Costa de Beauregard : « La grande découverte de la relativité ne consiste (…) pas dans la simple idée d’adjoindre une dimension de temps aux trois dimensions de l’espace. La grande découverte de la relativité est celle de la métrique de l’espace-temps. Mathématiquement parlant elle revient à Poincaré, qui n’a pas eu l’audace d’en tirer les conséquences philosophiques. Du sens profond et de l’immense portée de ses conséquences, c’est Einstein qu’il faut créditer. Quant à Minkovski, ce fut lui qui cisela l’écrin contenant les Tables de la Nouvelle Loi. » (Le temps déployé, p. 101). Cette « métrique de l’espace-temps », que trouva Poincaré et qu’il exposa dans un article aux Rendiconti di Circolo Matematico di Palermo en 1908, donne la distance spatio-temporelle entre deux instants-points, l’un choisi comme origine (t = 0, x = 0, y = 0, z = 0), l’autre de coordonnées (x, y, z, t) ; elle s’écrit s2 = x2 + y2 + z2c2t2 ; on voit que le temps y est équivalent à une longueur et que le coefficient d’équivalence entre le temps et l’espace n’est autre que c, la vitesse constante de la lumière (ce qui permet de mesurer l’espace avec la même unité que le temps) ; toutefois le signe moins fait que cette distance n’est pas euclidienne (on dit qu’elle est pseudo-euclidienne). Au demeurant, « Minkovski a parfaitement reconnu que c’est à Poincaré qu’il doit l’idée première sur la question. » (La physique moderne…, p. 21). Un peu plus loin l’auteur ajoute : « Einstein semble avoir retrouvé tout seul les formules de Lorentz-Poincaré. Mais ce qu’il a surtout trouvé, c’est leur véritable interprétation, c’est-à-dire qu’elles expriment une transformation partielle de l’espace en temps et du temps en espace quand on change de référentiel. » (p. 23).
  8. À la fin du livre, dans un appendice intitulé « Post-scriptum n° 1 » (p. 174), Costa de Beauregard pose la question : « Qui découvre une théorie ? L’inventeur de la bonne formule ou celui de la bonne interprétation ? » Sa réponse (les deux) est illustrée par quelques exemples. Le premier est celui de la découverte de l’espace-temps (voir note précédente). Il écrit à ce propos : « Il est bien vrai que dès 1900 Larmor, Lorentz, Poincaré avaient “les bonnes formules” de la théorie de la relativité ; et même que le cristallographe Voigt, en 1887, les avait eues en premier. (…) Mais le découvreur de “la bonne interprétation” est indubitablement Einstein. » Un autre exemple est celui de la découverte du quantum d’énergie, généralement attribuée à Planck. Non, affirme l’historien Thomas Kuhn, ce que montre Planck c’est que l’espace des phases (à 6n dimensions : 3n pour les coordonnées d’espace x et 3n pour les composantes de la quantité de mouvement p, où n est le nombre de particules) est une mosaïque de cellules de surface h : « en 1900, il pense que le point représentatif (x, p) erre continuellement de cellule en cellule ; il ne discerne pas que l’énergie est émise ou absorbée en “quanta” ». Ce sont Einstein et Ehrenfest qui ont montré les premiers en 1906 que c’était là une conséquence de la formule de Planck. « S’il en est ainsi, remarque Costa de Beauregard, Einstein devrait donc rafler, après celles de Lorentz et de Poincaré, aussi la mise de Planck… ». Avant de conclure (avec plus d’équité que ne le suggère Aimé Michel) : « la responsabilité d’une “révolution scientifique” est partagée entre les découvreurs de la formule et ceux de l’interprétation – sans oublier, bien sûr, les auteurs des expériences originelles ! »
  9. Effectivement, Aimé Michel n’a pas fait un résumé, tâche presque impossible parce que ce livre est déjà un résumé fort dense. En outre, il est difficile de traduire brièvement les relations qu’établit l’auteur entre les thèmes qu’il traite et qui font l’une des principales originalités de l’ouvrage. Malgré tout, j’aimerais compléter les indications d’Aimé Michel et effleurer à mon tour quatre points sensibles : 1/ La physique de Costa de Beauregard est d’abord une physique de l’information, secondairement de la matière et de l’énergie. C’est un point de vue de plus en plus répandu mais qui, là aussi, se trouve généralisé. Cette conception se fonde sur la classique formule de Brillouin d’équivalence entre l’entropie ΔS et l’information ΔI (voir la chronique n° 283). Il suit de cette formule, ΔS = k ln2 ΔI, où intervient la constante de Boltzmann k, très petite en unités à notre échelle mais non nulle, qu’observer (acquérir de l’information) ne coûte pas cher en néguentropie, mais agir (produire de la néguentropie, donc de l’ordre) coûte très cher en information. L’auteur explique : « le stade pré-cybernétique de la Physique faisait implicitement k → 0 dans cette question, d’où il suivait 1° que l’observation (néguentropie → information) était considérée comme gratuite ; 2° que l’action libre (information → néguentropie) était considérée comme une impossibilité physique et une illusion psychologique. » Cette interprétation revient à rejeter l’hypothèse de la conscience épiphénomène et à accepter sa double face, sensitive et volitive. (Notons qu’un raisonnement similaire à celui-ci est présenté en note 2 de la chronique n° 120 pour la conversion du temps en espace, laquelle fait intervenir la constante c, la célérité de la lumière, comme indiqué en note 7). Ainsi, la conscience, au lieu d’être une anomalie dans le monde physique, se trouve intégrée à l’étoffe même de celui-ci. Bien entendu cette justification de principe reste à compléter par une analyse plus précise en termes neurobiologiques… Costa de Beauregard va même jusqu’à ne pas limiter la « pensée » au cerveau. Il écrit : « la fonction psychique, entendue en un sens large, se manifeste (mais plus ou moins “ensommeillée”) dans un domaine incomparablement plus étendu que celui où le cerveau est matériellement présent ; en fait, dans le domaine entier de la Biologie. » (Second principe…, p. 121). 2/ Le concept de finalité est généralement considéré comme non scientifique en se fondant sur des arguments que Costa de Beauregard conteste. Le premier argument est qu’il ne saurait y avoir de « cause finale » puisque le futur n’existe pas encore, ce que l’auteur rejette car cause initiale et cause finale ont même statut scientifique dans un univers-bloc. Le second est que le paradigme scientifique repose sur le schéma d’un « observateur neutre du développement de la causalité » : il écarte par définition la finalité et ne voit que la causalité, mais n’est qu’une approximation erronée fondée sur k = 0. 3/ Par raison de symétrie l’auteur lit dans la formule de Brillouin la possibilité de principe de la psychokinèse et dans l’univers-bloc à « présent étendu », celle de la précognition. Voici comment il présente cette dernière : « Bergson suppose que seule la pleine conscience, “l’attention à la vie”, est focalisée sur son “instant présent” : le subconscient serait, lui, temporellement étendu, mais vers le passé seulement. À cela le physicien souscrit – sauf en ce qui concerne l’exclusion du futur, qui violerait la “covariance relativiste” » (Le corps subtil…, p. 58). Ailleurs, il précise : « (…) s’il est de la nature même de la conscience d’explorer toujours dans le même sens, de proche en proche et sans lacune, l’épaisseur de la dimension temporelle du cosmos, en traînant après elle ce sillage de mémoire qui est le prix de l’information acquise, le subconscient, lui, qui n’est ni méthodique, ni logique, n’a aucune raison d’être assujetti à la même loi », si bien que rien ne l’empêche d’aller et venir dans la 4e dimension. Il ajoute : « Rien qui soit connaissable ou reconnaissable ne pourra sortir de là en règle générale ; mais l’exemple du livre suggère qu’à l’occasion il pourrait y avoir des exceptions dues, en quelque sorte, au très vif attrait du sujet connaissant vers ce qui lui reste à connaître. Pour l’ensemble de ces raisons théoriques, les phénomènes de “prémonitions de l’inconscient”, inévitablement floues ou inexactes en plusieurs points de l’image, non datables parce que détachées de leur contexte solide, mais pourtant frappantes et ensuite reconnues, ne semblent en rien absurdes a priori à l’auteur de ces lignes. Étudier si en fait elles existent ou non est une autre affaire – et une affaire malheureusement très compromise a priori par trop de charlatans et de faibles d’esprit » (Second principe…, p. 124). 4/ Toutefois, point capital, Costa de Beauregard nie que ces prémonitions contredisent le libre-arbitre : « le calcul des probabilités se plie sans aucune résistance à une formalisation selon le paradigme d’un temps déployé en acte, et réversible par échange passé-futur. Ainsi se trouve réduit à néant un tenace préjugé qui a été inlassablement ressassé comme par un “moulin à prières”, comme quoi la géométrisation spatio-temporelle (…) impliquerait une métaphysique déterministe en conséquence de son image où “tout est écrit”. » (Le temps déployé, p. 14)
  10. Que les écrits de Costa de Beauregard nécessitent un effort de réflexion, on l’aura compris à ce qui précède. Qu’ils nécessitent en plus, surtout en ce qui concerne les idées présentées dans la note précédente et d’autres semblables, ouverture d’esprit et tolérance ne surprendra non plus personne tant elles sont loin de faire l’unanimité. De fait, nombre de propositions de Costa de Beauregard s’éloignent du matérialisme actuellement majoritaire dans les milieux académiques et lui valent des critiques mordantes dans les milieux les plus engagés dans la défense de cette orthodoxie. Nous en avons déjà rencontré deux exemples dans la chronique n° 344 où je résume en note 8 les critiques d’une philosophe rationaliste, D. Terré, et où Aimé Michel signale les attaques, « au ton hargneux et blessant » à l’égard du physicien, d’un « follicule étranger à la physique » (il s’agit très probablement la Revue (n° 105, 1981) de l’Association Française de l’Information Scientifique, AFIS, une association d’obédience rationaliste, matérialiste et athée dont l’astrophysicien J.-C. Pecker fut président de 1999 à 2001). Comme je l’ai déjà souligné, l’accusation d’irrationalisme à l’encontre de Costa de Beauregard ne tient pas car toutes ses prises de position sont solidement argumentées et ancrées dans les théories physiques les mieux reconnues. Un point de vue plus équilibré est fourni par Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod dans Le cantique des quantiques (La Découverte, Paris, 2007), ouvrage très lisible dont les derniers chapitres résument quelques aspects de la pensée de notre illustre physicien. Les auteurs y présentent un éclairant tableau sur les principales interprétations de la physique quantique, et les noms de physiciens connus qui les ont soutenues, fondé sur deux critères : philosophique (matérialisme, idéalisme, et synthèse ou refus de choisir) et physique (avec remise en cause soit de l’espace, soit du temps, soit de l’unicité de l’univers). Costa de Beauregard y est placé dans la case idéalisme avec remise en cause de la notion de temps (toutefois, on peut également soutenir qu’il propose une synthèse du matérialisme et de l’idéalisme). Les auteurs confirment, s’il en était besoin, que « le principal handicap de cette interprétation » est que Costa de Beauregard défende la parapsychologie, « du coup les autres physiciens qui seraient tentés par son interprétation ont peur de passer pour des illuminés » (p. 108). Même Alain Aspect, qui fut un temps son élève, a tenu à manifester son opposition à l’introduction de tout « paranormal » en physique (voir note 4 de la chronique n° 294).
  11. Aimé Michel fait très souvent référence aux travaux d’Olivier Costa de Beauregard : c’est l’un des auteurs qu’il cite le plus (il est mentionné dans une vingtaine des chroniques mises en ligne à ce jour). Ils se sont rencontrés à la fin des années 50 (voir la chronique n° 437), sont devenus amis et ont échangé une nombreuse correspondance. Leur admiration était réciproque. C’est Costa de Beauregard qui, en 1998, m’incita à faire une anthologie des écrits d’Aimé Michel dans F. C. car, me dit-il, « on peut y lire des choses que je n’ai lues nulle part ailleurs ». Pour une biographie de ce physicien singulier, voir le site http://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/olivier-costa-de-beauregard-189336 et l’article de Wikipédia qui lui est consacré. Pour une évocation de l’homme, voir l’article de son ami George Lochak (http://aflb.ensmp.fr/AFLB-321/aflb321m575.pdf). Le lecteur désireux de se familiariser plus avant avec sa pensée pourra consulter, outre les livres déjà cités, le résumé qu’il en a lui-même donné : « Le réel est-il autoporteur » dans le Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires n° 13, mai 1998 (http://ciret-transdisciplinarity.org/bulletin/b13c16.php) et « Non séparabilité et rétrocausation » dans les Annales de la Fondation Louis de Broglie, 28 (3-4): 295-300, 2003 (www.ensmp.fr/aflb/AFLB-283/table283.htm). Ce numéro est un hommage à O. Costa de Beauregard avec des contributions de G. Lochak, H. Barreau, B. d’Espagnat, F. Selleri, etc. Signalons enfin qu’il a présenté ses idées dans un ouvrage technique Time, The Physical Magnitude, Reidel, Dordrecht, 1987, qui s’adresse à des lecteurs avertis. Les éditeurs notent dans la préface de l’ouvrage que les articles de l’auteur « stimulent invariablement ses lecteurs admiratifs (mais souvent irrités) ». Même ces lecteurs avertis devront donc sans doute se résigner à « contourner certains passages » comme le dit Aimé Michel.