LE RÊVE AU POUVOIR ? - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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LE RÊVE AU POUVOIR ?

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Les troupes égyptiennes se tiennent prêtes à être passées en revue par le roi Fahd d’Arabie saoudite alors qu’elles prennent part à une assemblée des forces de la coalition internationale réunies contre Saddam Hussein pendant l'opération « Tempête du désert ».

Les troupes égyptiennes se tiennent prêtes à être passées en revue par le roi Fahd d’Arabie saoudite alors qu’elles prennent part à une assemblée des forces de la coalition internationale réunies contre Saddam Hussein pendant l'opération « Tempête du désert ».

© D. W. HOLMES

« Voici (m’affirme, aguicheuse, une publicité journalistique) voici la réponse aux dix questions que vous aimeriez poser à Saddam Hussein. » Qui ? moi ? J’ai beau chercher, je ne vois pas ce que je pourrais demander à M. Saddam Hussein. En y réfléchissant, je me rappelle une autre publicité que je retrouve tous les matins sur ma boîte de sucre et qui me promet, si je participe à un concours ennuyeux « Trente séjours à la montagne dans les Stations olympiques et Deux cents lunettes de soleil ». Et tous les matins, je me demande, perplexe, ce que je pourrais faire dans Trente stations olympiques, affublé de mes deux cents lunettes, fussent-elles de soleil. Dans quelques années – vite passées, c’est un vieil homme qui vous le dit – personne ne se souciera plus de la guerre du Golfe et de ses morts1. Qui se souvient du « saillant Koursk » en 1991, ou de la « poche d’Anzio » ? Il doit y avoir là, pourtant, de beaux cimetières militaires2. De quoi parlera-t-on encore dans quelques années ? Si j’en juge par une vieille anthologie, de la réforme de l’orthographe et de la perversion de la langue par les mots étrangers ? Il y a exactement quatre siècles la dispute faisait rage. Un poète un peu oublié (Vauquelin de la Fresnaye) se déclarait pour la réforme : Comme on voit tous les ans les feuilles s’en aller. Ainsi le vieux langage et les vieux mots périssent. Et comme jeunes gens les nouveaux refleurissent. Que dis-je, quatre siècles ! En note, l’auteur de l’anthologie signale que ces vers sont une traduction du latin. Et de citer Horace : Et invenum ritu florent modo nata, vigentque3 Voilà une querelle solide, toujours vivante après deux mille ans. J’ignore (et n’ai nulle envie de savoir) ce qu’en pense M. Sadam Hussein. De la Loi à la guerre Depuis les Romains l’Occident a pris l’habitude d’appeler droit des gens, ou droit universel, toute coutume occidentale mise en forme par des juristes et déposée dans les archives de l’État. Et voilà peut-être pourquoi le Golfe est à feu et à sang. Car derrière les allégations contradictoires des uns et des autres il y a d’abord des sentiments aussi confus que profonds et invétérés : des sentiments inconciliables produisent la haine, qui produit la guerre. Saddam Hussein n’est pas d’accord avec un de ses ministres : il tire son pistolet, l’abat et reprend la discussion. Quel barbare ! disons-nous. Je suis bien d’accord. Il ne faut pas révolvériser ses contradicteurs4. Mais une déclaration de guerre dûment mise en forme par des diplomates et envoyant au massacre des centaines de milliers de jeunes gens ne me paraît pas très différente sur le fond. Notre bon roi Louis XI, pour sa part, considérait qu’il était plus moral d’assassiner ses adversaires que faire ravager leurs États par son honorable armée. Je ne dis pas qu’il avait raison. Je me demande seulement si le vrai désir des peuples n’est pas de vivre en paix, et s’ils sont bien d’accord pour régler leurs différends en s’entre-massacrant légalement. Dans les pays où se fait la présente guerre en tout cas l’histoire nous apprend que la coutume sur ce point est pour le moins incertaine. Les peuples de la région se font souvent la guerre, et ils ont tort. Souvent aussi cela se règle, par l’assassinat : est-ce tellement différent ? Il existe aux États-Unis une école de juristes, les « libertarians » qui définit l’État comme une maffia en situation de monopole. La société humaine, d’après eux, est un conglomérat de maffias rivales. Quand une maffia élimine ses rivales sur un certain territoire elle appelle ce territoire Nation, se donne à elle-même le nom d’État et produit un formalisme écrit appelé « la Loi » dont le seul but est de confier à des organismes reconnus – la justice et la police – la persistance de sa domination. On n’est pas étonné de trouver de tels juristes en Amérique où tout existe5. Personne ne les prend très au sérieux6, mais quand on voit comme maintenant des peuples entiers voués à la haine réciproque, est-il déraisonnable de penser que les « libertarians » posent un problème digne de réflexion ? Malheur au vaincu ? Posons comme principe qu’il est mal de haïr. Et demandons-nous sincèrement s’il est raisonnable, quelle que soit la Loi, que des peuples puissent se tromper au point d’être collectivement la proie de ce sentiment déraisonnable. Il doit bien exister quelque cause digne d’être étudiée à l’origine de ce mal. Le souvenir de la Shoah est là pour nous rappeler qu’un peuple tout entier peut se tromper, et qu’il ne suffit pas de dire qu’il a été égaré par de mauvais bergers. Nous savons maintenant que la haine antisémite des nazis est née des erreurs politiques du traité de Versailles : nous avons en 1919 traité le peuple allemand comme collectivement coupable. Qu’en serait-il maintenant du Japon et de l’Allemagne si en 1945 nous avions répété la même erreur ? « Ni vainqueur ni vaincu », voilà peut-être la règle d’or7. Le temps de l’imagination Quand les armes se tairont sur le Golfe, notre premier devoir sera de panser toutes les horribles blessures du Proche Orient, en Israël, en Irak, au Liban, au Koweït. Pour la première fois depuis qu’il y a des guerres, l’un des belligérants représente la communauté des peuples. On rêve d’une mobilisation générale des hôpitaux pour soigner tous les blessés, d’un bout du monde à l’autre, sans distinction, sans discrimination. Pourquoi ne serait-ce qu’un rêve ? En quelques semaines, pendant le dernier automne, nous avons vu la plus formidable des armadas former dans le désert une ville d’un demi-million de soldats. Le même effort est concevable pour réparer les destructions et rendre les rescapés à la vie. C’est ce qu’au fond chacun désire. Mais il y faudra beaucoup d’imagination8 Aimé MICHEL Chronique n° 481 parue initialement dans F.C. – N° 2293 – 8 février 1991. Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre Rospars du 25 novembre 2019

 

  1. Cette « guerre du Golfe » est celle qui opposa en 1990 et 1991, l’Irak de Saddam Hussein à une coalition de trente-cinq États sous commandement des États-Unis, à la suite de l’invasion du Koweït par les troupes irakiennes les 2 et 3 août 1990. Cette première guerre du Golfe, à ne pas confondre avec celle de 2003 qui lui succéda, a au moins trois origines. La plus ancienne est que l’Irak considère que le Koweït fait partie de son territoire et que la frontière qui l’en sépare (qui ne date que de 1922) résulte d’un arbitraire britannique, réduisant son accès au Golfe persique à la mince embouchure de ses deux fleuves. La seconde origine, plus pressante, est qu’en 1990, l’Irak souffre d’une dette considérable (due en grande partie à la terrible guerre avec l’Iran 1980-1988, voir note 11 de n° 389) contractée principalement avec l’Arabie saoudite et le Koweït. La troisième cause, circonstancielle, est un entretien avec l’ambassadrice des États-Unis à Bagdad, le 30 juillet, qui laisse penser à Saddam Hussein que les États-Unis n’interviendront pas s’il envahit le Koweït. C’est une erreur. Dès le début les troupes américaines commencent à affluer dans les États de la péninsule arabique pour protéger l’Arabie saoudite d’une éventuelle attaque (opération dite Bouclier du désert). Saddam Hussein aggrave son cas en prenant en otage et « boucliers humains » plusieurs centaines de ressortissants occidentaux. Fin novembre, le Conseil de Sécurité des Nations-Unies exige à une large majorité le retrait des troupes irakiennes (plus de 500 000 hommes et 2 400 chars) et autorise le recours à la force. En janvier 1991, au moins 500 000 militaires américains, 100 000 saoudiens et une centaine de milliers de britanniques, syriens, égyptiens et français, ainsi que les militaires de 28 autres nations sont sur zone. Le 16 janvier, l’opération Tempête du désert est déclenchée. Une intense préparation aérienne de plus d’un mois détruit les moyens de transmission et les défenses anti-aériennes de l’Irak, et cloue son aviation au sol. L’opération terrestre commence le 23 février et ne dure que quatre jours. Le 26 février, les Irakiens commencent à se retirer du Koweït mais pratiquent la politique de la terre brulée en incendiant les puits de pétrole, ce qui provoque des effets météorologiques à 500 km à la ronde (dont une chute de température de 10 °C), des marées noires et des pollutions du sol. Les troupes irakiennes en repli sur l’autoroute Bassorah-Bagdad sont détruites, ce qui provoque une controverse et conduit le président George Bush père à mettre fin aux opérations avant que la coalition n’atteigne Bagdad si bien que Saddam Hussein sauve sa vie et reste au pouvoir. Les pertes du côté de la coalition sont connues : 138 morts et 3 000 blessés par accidents lors des préparatifs d’août à janvier, 240 morts, 238 blessés, 81 disparus et 13 prisonniers lors des combats (3 morts français). Par contre les pertes irakiennes sont l’objet d’estimations contradictoires : 20 000 morts selon le premier ministre irakien (19 février 1991), entre 25 000 et 50 000 morts selon un universitaire américain (2002) mais dix fois moins selon un militaire français (2001), à comparer aux 87 000 soldats irakiens faits prisonniers et aux « désertions massives » au moment de l’attaque terrestre. Les bombardements auraient fait moins de 5 000 victimes chez les civils selon le général français Maurice Schmitt, Chef d’État-Major des armées. Mais il faut tenir compte des effets indirects sur la population en raison des destructions d’infrastructures (eau potable, électricité, hôpitaux, etc.) et de l’embargo du pays qui a paralysé sa reconstruction par la suite. Il en est résulté une augmentation du taux de mortalité infantile de 3% en 1989 à presque 10% en 1997 ainsi que des cas de choléra (aucun en 1990, 1 300 en 1994) et de typhoïde (1 600 en 1990, 24 000 en 1994 selon l’OMS). Un million d’enfants en seraient morts. Même si certaines sources estiment que ces chiffres ont été exagérés par les autorités irakiennes, il est clair que la population irakienne a payé au prix fort la mégalomanie de son dictateur.
  2. Le « saillant de Koursk » est pourtant l’un des principaux tournants de la Seconde Guerre mondiale. La ville de Koursk est située en territoire russe à une centaine de km de la frontière avec l’Ukraine, approximativement à égale distance (400 km) de Moscou au Nord et de Kiev à l’Ouest. Après leur attaque surprise en juin 1941, les troupes allemandes fortes au départ de trois millions d’hommes, connaissent de grands succès mais l’Armée rouge ne s’effondre pas. En 1942, les Allemands poursuivent leur avancée mais les Soviétiques résistent mieux. En janvier-février 1943, sur le front Sud, l’Armée rouge remporte la grande bataille de Stalingrad (voir note 5 de n° 461) puis passe à l’offensive en attaquant au centre. Cette attaque est contrée en février-mars 1943 par le général von Manstein à la bataille de Kharkov (180 km au Sud de Koursk). Avec la fin du gel et l’embourbement des routes non pavées, le front se stabilise selon une ligne de plus de 1 600 km allant de Leningrad à Rostov (400 km au Sud-Ouest de Stalingrad), mais avec un saillant prononcé au centre, où les Soviétiques enfoncent un coin de 150 km vers l’Ouest sur une longueur Nord-Sud de 170 km avec en son centre la ville de Koursk. C’est un terrain plat avec quelques collines, coupé de petites rivières ; un cinquième des forces soviétiques y sont rassemblées. Le plan de von Manstein est de prendre le saillant en tenaille, en attaquant par le nord et le sud de manière à l’isoler puis le détruire. Après bien des hésitations de Hitler, l’attaque est lancée le 5 juillet 1943 avec 900 000 hommes, 10 000 canons, 2 700 chars et 2 000 avions. Ils se heurtent à 2 millions d’hommes, 19 000 canons, 3 300 chars et 2 700 avions. La bataille est gigantesque, au sol et dans les airs, acharnée, impitoyable (dans les deux camps on exécute les prisonniers). Elle dure 48 jours et se solde par un échec de la Wehrmacht, d’abord au nord puis au sud. Hitler décide lui-même d’arrêter l’offensive le 13 juillet. Finalement, Kharkov est repris par les soviétiques et les Allemands doivent se replier. Dès la fin de l’été 1943, l’Armée rouge a l’initiative et la Wehrmacht ne peut plus que se défendre en reculant. Y a-t-il de beaux cimetières dans le saillant de Koursk ? Je ne sais. Même les pertes humaines sont mal connues, par manque d’accès aux archives allemandes et désaccords entre historiens sur les pertes soviétiques. On parle de 56 000 morts ou disparus et 200 000 blessés côté allemand, 250 000 morts et 600 000 blessés côté soviétique. Quant à la « poche d’Anzio », elle est si bien oubliée que le texte imprimé de F.-C. était « poche d’Auzio » ! À la fin de 1943, les Alliés débarqués en Italie du sud se heurtent aux défenses allemandes de la ligne Gustave. Churchill propose un plan : attaquer en force au sud pour fixer les troupes allemandes et débarquer à Anzio, à une cinquantaine de km au sud de Rome, pour les prendre à revers et foncer sur Rome. Une fois le plan accepté par Roosevelt et Staline, l’attaque au sud commence le 16 janvier 1944 (bataille du Mont Cassin) et le débarquement d’Anzio suit le 22 janvier : 36 000 hommes et plus de 3 000 véhicules prennent rapidement pied sur les plages avec des pertes minimes. Mais le général américain Lucas qui dirige l’opération préfère sécuriser ses positions plutôt que de foncer sur Rome. Churchill est furieux car cela laisse le temps aux Allemands de constituer une ligne de défense autour d’Anzio et de faire pleuvoir sur les assaillants une pluie d’obus, mais sans pouvoir les rejeter à la mer. Cibles faciles, les hommes se terrent le jour et ne sortent que la nuit. Fin janvier, les tentatives américaines de rompre les défenses allemandes échouent. Le 16 février, les Allemands lancent une offensive conséquente mais elle s’enlise. Fin février, le général Lucas est relevé de son commandement. L’offensive alliée ne reprend qu’à la mi-mai, tandis que les Allemands commencent une retraite en bon ordre. C’est la fin de la poche et Rome est libérée le 4 juin. Il y a à Anzio un beau cimetière (https://europeremembers.com/fr/destination/cimetiere-de-la-bataille-danzio/) de 2 316 tombes de soldats du Commonwealth (dont 1917 Britanniques et 68 Canadiens). Mais ce n’est là qu’une fraction des morts estimés à 7 000 côté allié et à 5 000 côté allemand.
  3. Ces vers du poète latin Horace sont extraits de son Épitre aux Pisons sur l’art poétique : Ut silvae foliis pronos mutantur in annos, Prima cadunt ; ita verborum vetus interit aetas, Et juvenum ritu florent modo nata, vigentque. Quand, dans le cours de l’année, les forêts se dépouillent de leurs feuilles, les premières venues tombent les premières, ainsi passe la génération des vieux mots : d’autres qui viennent de naître, sont florissants de jeunesse et de vie. (Traduction en vers français de O.-F.-X. Chanlaire, professeur de rhétorique au Collège royal du Puy, 1841, disponible en livre Google). Je me suis amusé à proposer ces trois vers au traducteur Google de latin en français. Voici le résultat : « Afin d’accélérer le changement des feuilles de la forêt pendant des années, La première chute; il meurt de vieillesse, Verdir jeune mode maintenant, vous vigentque. » Apparemment l’intelligence artificielle a encore beaucoup de progrès à faire en poésie latine !
  4. On raconte bien des choses sur la vie de Saddam Hussein. Il serait né en 1937 d’une mère pauvre qui ne le désirait pas et d’un père dont on ne sait s’il a abandonné sa mère ou s’il est mort pendant sa grossesse. Prénommé Saddam par sa mère, ce qui signifie « bagarreur » ou « qui donne des coups », il est élevé à la dure par le nouvel époux de celle-ci, un paysan pauvre, rustre et illettré qui le maltraite. Vers dix ans, il fugue et est recueilli par son oncle maternel, un instituteur qui sera plus tard Gouverneur de Bagdad et dont il épousera la fille. Cet oncle lui permettra de faire des études et lui donnera une éducation très nationaliste. À 14 ans, Saddam aurait commis son premier meurtre en tuant à coups de revolver un parent qui s’était disputé avec son oncle. Au début des années 50, il rejoint une cellule clandestine du parti Baas (ce qui signifie « résurrection » en arabe), un parti nationaliste panarabe, socialiste et laïque fondé par un chrétien syrien. En 1956, il participe à un coup d’État manqué contre Fayçal III, un roi étranger imposé par les Britanniques. En 1958, le général Kassem renverse Fayçal et l’année suivante, Saddam participe à un attentat contre lui qui échoue à son tour. Blessé à la jambe dans l’opération, il se vante d’avoir extrait la balle sans anesthésie avec une lame de rasoir et d’avoir franchi le Tigre à la nage avant d’aller se réfugier en Égypte. Il revient après la chute de Kassem en 1964 et projette un nouveau coup d’État qui est déjoué. Arrêté et emprisonné, il parvient à s’évader en 1966. En 1968, le pouvoir en place est renversé par des Baassistes et Saddam devient chef des services de sécurité. C’est une position clé qui lui permet d’éliminer ses adversaires sans aucun état d’âme et de devenir le maître effectif de Bagdad et du pays, en vue de menus avantages (en 1969, accompagné de gardes du corps armés, il extorque sa licence de droit revolver à la hanche) et de plus grands. En juillet 1979, Saddam officialise sa domination en devenant président de la République, tandis que son prédécesseur se retire pour « raison de santé ». Il commence, à 42 ans, un règne de 24 ans assis sur la terreur. Deux semaines après sa prise de pouvoir, il convoque de nuit des milliers de cadres du parti pour entendre la confession de trahison obtenue sous la torture du secrétaire du Conseil de commandement de la révolution. Puis Saddam lit lentement la liste des vingt-deux hauts-responsables soupçonnés de faire partie du complot et les invite à sortir par une porte où, dit-il « quelqu’un va s’occuper de vous ». La scène est filmée et tous sont exécutés avant l’aube. (https://www.lemonde.fr/international/article/2003/04/10/saddam-le-feroce_316278_3210.html). La liste des cruautés de Saddam est longue. Outre les opposants enfermés dans des tuyaux et les ministres exécutés en plein conseil, on peut citer le témoignage de Parisoula Lampsos, fille de bonne famille d’émigrés grecs, dont il fait sa maitresse mi-consentante mi-forcée après avoir exilé le mari et confisqué ses biens. Selon elle, Saddam, confortablement installé dans un fauteuil, coiffé d’un chapeau de cowboy, aimait passer les cassettes vidéo de ses ennemis torturés à mort se trainant à ses pieds en implorant pitié. Sa mégalomanie, sa phobie d’être assassiné, sa paranoïa assortie d’une forme de psychose maniaco-dépressive (selon des médecins britanniques l’ayant examiné à sa demande, https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/saddam-hussein-l-imprevisible-despote_496432.html), ne sont pas sans rappeler la personnalité de Staline (voir note 4 de n° 301) qui eut lui aussi une enfance difficile et fut abandonné avec sa mère par un père alcoolique (note 4 de n° 230), mais à la différence du petit Saddam, le jeune Joseph était aimé de sa mère.
  5. L’idée que tout existe en Amérique, le pire mais aussi le meilleur, est développée dans la chronique n° 301, Le Janus américain.
  6. Noam Chomsky, le célèbre linguiste américain d’origine juive ukrainienne et biélorusse, professeur au MIT, bien connu pour ses prises de position anarchistes et socialistes, confirme l’opinion d’Aimé Michel : « la version américaine du “libertarisme” est une aberration – personne ne la prend vraiment au sérieux. Tout le monde sait qu’une société qui fonctionnerait selon les principes libertariens américains s’autodétruirait en quelques secondes. La seule raison pour laquelle certains font mine de la prendre au sérieux, c’est qu’ils peuvent s’en servir comme d’une arme. […] C’est une aberration exclusivement américaine qui n’a rien de très sérieux. » (Comprendre le pouvoir : Tome II, Aden, 2006, pp. 174-175, cité dans l’article Wikipédia sur le Libertarianisme).
  7. La politique des Alliés vis-à-vis de l’Allemagne fut « généreuse et intéressée à la fois » comme l’écrit André Kaspi dans l’Encyclopaedia universalis à propos du plan Marshall. Selon les mots de George Marshall lui-même, dans un discours prononcé à l’Université Harvard en juin 1947, « Il est logique que les États-Unis fassent tout pour aider à rétablir la santé économique du monde, sans laquelle il ne peut y avoir aucune stabilité politique et aucune paix assurée. » Cette logique n’avait pas prévalu en 1919 quand on avait exigé de l’Allemagne de payer des réparations considérables. Les experts américains n’avaient pas oublié que le sentiment d’injustice qui en était résulté avait favorisé la prise du pouvoir par les nazis. Les autorités françaises en étaient-elles également convaincues ? Ce n’est pas si sûr quand on pense aux démontages d’usines qu’elles pratiquèrent en 1946, plus que les Anglais et les Américains, et qui suscitèrent de vives protestations dans la population allemande, avivées par le souvenir de l’occupation qui avait suivi la Première Guerre mondiale. Paradoxalement, deux ans plus tard, le plan Marshall permettait aux Allemands d’acheter des machines neuves, plus performantes que celles que les Français avaient déménagées ! (C. Defrance et U. Pfeil, « L’Allemagne occupée en 1946 », 2006, https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2006-4-page-47.htm). Ces mêmes qualificatifs de « généreux et intéressés » s’appliquent à la politique américaine au Japon. Certes, la volonté de punir, qui motive en Allemagne la politique des 4 D (démilitarisation, décentralisation, décartellisation, dénazification), n’est pas absente, comme en témoignent les procès de Tokyo à l’encontre des criminels de guerre, parallèles de ceux de Nuremberg, ou les profondes réformes affectant tous les domaines de la vie politique, économique et culturelle ; il s’agissait il est vrai d’éradiquer les conceptions féodales, autoritaires et antidémocratiques qui avaient conduit à la guerre et d’empêcher la renaissance d’un militarisme nationaliste. Mais les autorités d’occupation ne pouvaient manquer d’être très préoccupées par l’état du Japon en 1945, avec ses 10 millions de victimes, toutes ses grandes villes détruites (sauf Kyoto et Nara), ses 10 millions de citadins déplacés, le retour de 3 à 6 millions de Japonais des colonies de Chine et de Corée, une production de riz amputée du tiers de son niveau de 1940, 100 000 décès provoqués par la sous-alimentation générale, sans parler du cortège de maux sociaux (chômage, prostitution, abandon d’enfants, grèves). Devant le risque de famine qui fait craindre à un ministre japonais une dizaine de millions de morts pendant l’hiver, les États-Unis décident à leurs frais une aide alimentaire massive de 47 kg par habitant sous forme de farine, sucre et corned-beef (l’archipel compte alors 74 millions de bouches à nourrir). À partir de 1948, les préoccupations changent avec la montée de la guerre froide et la prise de pouvoir des communistes en Chine : il s’agit d’une part d’empêcher le Japon de tomber dans le bloc communiste, et d’autre part de reprendre avec lui les fructueux échanges économiques d’avant-guerre. Le démantèlement des grands monopoles industriels et conglomérats financiers japonais s’arrête. Le traité de San Francisco de 1952 scelle la fin de l’occupation. En 1953, le Japon retrouve son niveau économique de 1939. Par contraste, il n’y aura jamais de traité de paix signé avec les Soviétiques et il faudra attendre 1957 pour que les 10 000 prisonniers de guerre japonais détenus en Sibérie puissent revenir au pays. Quelles qu’aient été les motivations du général Douglas MacArthur (1880-1964) qui fut le dirigeant effectif du Japon de 1945 à 1951, il faut lui reconnaitre un réel talent d’administrateur, conforté par sa brève expérience dans la Rhénanie occupée en 1918-1919. Le « shogun blanc » comme l’appelaient les Japonais, peut-être aidé par sa totale absence d’ambition politique, a su éviter tant l’arrogance des vainqueurs que l’humiliation des vaincus et instaurer la démocratie sans détruire les traditions et la culture nippone (par exemple, il a maintenu l’empereur menacé de destitution), en ne tombant pas dans les innombrables pièges qui menaçaient tant l’occupant que l’occupé. Il eut une vision de l’avenir, vision qui a pu faire en partie défaut à Clemenceau.
  8. Même si les armes se sont momentanément tues, comme souvent, « ce que chacun désire » ne s’est pas réalisé, l’imagination n’a pas pris le pouvoir, les blessures du Proche-Orient n’ont pas été pansées et l’Irak n’a pas été reconstruit. Pour cela, il eut fallu au minimum que l’imprévisible Saddam Hussein cède la place à un pouvoir plus sage qui ne soit plus une menace pour son peuple et pour ses voisins. Cette condition préalable n’étant pas réalisée, il était sans doute inévitable que les choses tournent mal. On pourrait croire à lire ce qui précède que Saddam Hussein n’a été qu’un bourreau pour son peuple mais ce n’est pas exact car, sous sa dictature, l’Irak est sorti du sous-développement. En 1972, la nationalisation des compagnies pétrolières lui permet de profiter de l’augmentation des prix du pétrole. Le pays se modernise, réforme son agriculture, assure son autosuffisance alimentaire, construit des routes, électrifie villes et campagnes, s’industrialise ; l’illettrisme est éradiqué, 95% des filles sont scolarisées, l’enseignement supérieur est de qualité. Le niveau de vie de la population (17,5 millions d’habitants en 1990) s’améliore beaucoup et dépasse celui de tous les autres pays arabes. Ces résultats sont surtout à porter au crédit de la société irakienne, car ailleurs les revenus pétroliers n’ont pas toujours porté de tels fruits. L’avenir parait donc brillant mais les décisions d’entrée en guerre contre l’Iran en 1980 puis contre le Koweït en 1990 vont tout compromettre. Lorsque les combats cessent en février 1993, le pays est en ruine et l’interdiction des importations-exportations et des transactions financières (à l’exception de celles à « fins strictement médicales et alimentaires ») décidé en août 1990 par le Conseil de sécurité est maintenue. Les conditions pour lever ce blocus sont la reconnaissance de la frontière Iran-Irak, la reconnaissance de sa dette extérieure, le dédommagement des dégâts dus à la guerre, le renoncement aux missiles balistiques et autres armes de destruction massive. Face aux refus du régime irakien, ces sanctions sont strictement appliquées jusqu’en 1995 et réduisent les échanges de l’Irak avec l’extérieur à seulement 5% de sa valeur avant-guerre. Les effets négatifs sur la population sont inévitables. Un rapport d’agences humanitaires de l’ONU prévient pourtant que « les civils innocents, et surtout les plus vulnérables, ne sauraient être les victimes d’événements indépendants de leur volonté… Il est impératif que les besoins essentiels de la population civile de l’Irak soient satisfaits d’urgence ». Ceci conduit le Conseil de sécurité à assouplir les sanctions : c’est le programme Pétrole contre nourriture, signé en 1996 avec le gouvernement irakien. Il ne concerne pas que les produits alimentaires mais aussi le traitement des denrées, les médicaments, l’eau et l’assainissement, l’électricité, l’agriculture et l’irrigation, le logement, les transports et les télécommunications, l’éducation, les pièces de rechange et le matériel destiné à l’industrie pétrolière. Sur le papier cela semble bel et bon mais la pratique est différente, les torts étant partagés entre le Conseil de sécurité et régime irakien. Un mémoire de maitrise de l’université Laval fournit des précisions intéressantes à ce sujet (http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/hei/fichiers/mriessaimichaellessard.pdf). Selon ce mémoire, le programme n’aurait pas atteint ses objectifs pour des raisons complexes. « L’incapacité pour la très grande majorité de la population irakienne de pouvoir s’acheter une quantité suffisante de nourriture, et encore moins se procurer des médicaments de manière privée, rendait la population extrêmement dépendante du programme humanitaire, dont les rations alimentaires distribuées par le régime irakien dans les 15 gouvernorats du Centre et du Sud de l’Irak. Autrement dit, l’économie de la société irakienne fut en grande partie réduite à un vaste programme de pénuries et de blocages bureaucratiques et politiques (tant onusiens qu’irakiens). Les lourdeurs bureaucratiques, voire parfois des blocages purs et simples, ont eu des effets meurtriers. Les pénuries de chlore liquide, produit chimique le plus répandu mondialement pour purifier l’eau, constituent l’exemple le plus patent. Étant donné que le Comité des sanctions considérait ce produit comme pouvant servir à de fins militaires, son importation était bloquée. L’Irak a donc subi des pénuries de chlore néfastes pour la santé ; les maladies transmises par l’eau étant la cause première de décès chez les enfants irakiens. L’UNICEF a donc dû mettre en place un système extrêmement ardu et complexe pour contrôler chacun des contenants de chlore gazeux. » Malgré ces efforts, « les pénuries de chlore et le manque d’accès à une eau potable sont demeurés des problèmes graves. » Cette situation provoque une controverse mondiale. En 1999, Chine, France et URSS militent pour la levée des sanctions mais États-Unis et Royaume-Uni refusent tout assouplissement. Les sanctions ne seront finalement levées qu’en 2003, après qu’une coalition américano-britannique aura envahi l’Irak en violation de la charte de l’ONU, mais ceci est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons à l’occasion de la prochaine chronique. En tout cas, les leçons de l’embargo contre l’Irak ne semblent pas avoir été retenues, car une politique comparable est appliquée actuellement contre l’Iran avec, probablement, le même vain espoir que le peuple malheureux renversera ses dirigeants.