LA SCIENCE MODERNE ELLE-MÊME A BALAYÉ LE SCIENTISME - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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LA SCIENCE MODERNE ELLE-MÊME A BALAYÉ LE SCIENTISME

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L’arsenal prétendu rationaliste que l’on oppose à la foi en cette fin de siècle perpétue en croyance naïve une pure et simple illusion dont on peut retracer les origines jusqu’aux Grecs, nos maîtres à penser. Cette illusion trouve son expression achevée dans le mot toujours cité de Hegel : « Tout ce qui est rationnel existe, tout ce qui existe est rationnel », ou dans cette autre sentence encore plus frappante d’Einstein : « Ce qu’il y a de plus incompréhensible dans l’univers, c’est qu’il soit compréhensible »1. Remarquons d’abord qu’Einstein, immense génie scientifique, s’exprimait ainsi pour affirmer son espérance que l’on arriverait un jour à réfuter les principes fondamentaux de la physique quantique, qu’il refusait d’admettre. Le public croit que le nom d’Einstein est synonyme de science « moderne ». C’est largement vrai pour toute la partie de la science actuelle qui prolonge la physique des siècles passés, c’est-à-dire pour la macrophysique et tout ce qui découle du principe de relativité. Dans ces domaines, Einstein a fait accomplir à nos connaissances un bond incroyable, que l’on mesure en comparant la physique telle qu’elle était à la mort d’Henri Poincaré (1912) et à celle d’Einstein (1955). Mais Einstein n’est pas le premier des savants modernes, il est le plus tardif des savants de l’époque antérieure, celle de Newton, Descartes et Galilée (a). Il est fondamental de saisir cela si l’on réfléchit au statut de la « raison ». Tout ce qui existe est-il représentable ? Pour Einstein, tout ce qui existe est représentable, tout ce qui se passe en ce monde se passe dans l’espace et le temps2. On appelle parfois cela le « principe de réalité » d’Einstein, non sans abus, me semble-t-il, car énoncé ainsi, un tel principe affirme sans le dire que ce qui pourrait se passer hors du cadre spatio-temporel n’aurait aucune réalité : il vaudrait donc mieux l’appeler « principe de l’espace et du temps ». Or, toute la physique dite quantique (qu’il faudrait bien de l’imprudence pour en vouloir tenter le résumé dans un petit article !) est fondée sur la reconnaissance que les phénomènes fondamentaux ne se passent pas dans l’espace-temps. Bohr, son plus éminent théoricien3, dit textuellement que les phénomènes fondamentaux sont transcendants, inaccessibles à toute description spatio-temporelle. Ceci peut paraître abstrait. Il est pourtant facile de comprendre ce qu’est ce « cadre spatio-temporel » d’où, d’après la physique actuelle, sont absents tous les phénomènes fondamentaux. Pensez à un événement quelconque, par exemple à cette dent que votre dentiste vous a arrachée. Il est évident, il va sans dire que cela s’est passé quelque part et à un moment donné. Si vous me disiez que votre dentiste vous a édenté, mais que cela ne s’est passé ni ici ni ailleurs (c’est cela l’espace), ni aujourd’hui ni dans le passé, ni même dans le futur (c’est le temps), avouez que le propos aurait de quoi surprendre. En rupture avec les « évidences » d’hier Or, c’est ce qu’il faut admettre en microphysique si l’on veut que « ça marche ». Si vous avez encore en tête mon précédent article4, rappelez-vous le passage où il est dit qu’un photon peut influencer et être influencé par d’autres photons qui, ou bien ont cessé d’exister, ou bien n’existent pas encore : ce n’est qu’un cas particulier de ces phénomènes fondamentaux défiant l’espace et le temps. N’allons pas croire que ces phénomènes stupéfiants soient des raretés de laboratoire : tous les phénomènes élémentaires sont dans ce cas, par exemple, tous ceux qui font notre être physique et mental (sauf la conscience5) : quand vos organes transforment votre nourriture en l’assimilant pour entretenir votre vie, cela se fait par des transitions électroniques qui échappent au « principe de réalité » ou « d’espace-temps ». Plus angoissant peut-être : c’est ainsi aussi que se font les transitions électroniques qui, dans notre cerveau, sont le support de notre pensée. En ce moment même, tandis que vous lisez ces lignes, cela se passe derrière votre front. Et vous ne pouvez en aucune façon vous le représenter, paradoxe des paradoxes ! (b). Telle est la science moderne, en brutale rupture avec les « évidences » de la science d’hier. C’est, le lecteur s’en souvient, dans un dessein apologétique que j’écris ces lignes6. Est-ce à dire que mon but, renouvelé du jansénisme, viserait à humilier la raison et à l’« abêtir », comme disait Pascal ?7 Point du tout, et au contraire. Il me semble admirable que la raison ait su aller chercher un peu de vérité là même où sa claire vision intérieure l’abandonnait et l’abandonnait totalement, la laissant tâtonner dans les ténèbres. Il est remarquable que la science n’ait jamais progressé si vite ni tant multiplié ses plus profondes découvertes qu’au moment (dans les années 20 et 30, puis de nouveau maintenant) où elle a eu le courage historique de pénétrer dans ces ténèbres et de s’y aventurer hardiment. Mais alors, en quoi tout ceci montre-t-il la modernité de la foi ? En ceci que tous les systèmes idéologiques qui prétendent l’ébranler au nom de la raison et de la science fonctionnent (et ne peuvent fonctionner que) par référence à une science qui n’existe plus. Et même, plus justement, que par référence à ce qu’il y avait d’illusoire dans la science du XIXe siècle. Marxisme, freudisme, sociologisme à la Durkheim ou Lévy-Bruhl, tous ces machins élaborés vers le milieu du siècle dernier, y compris dans les formes plus sophistiquées sous lesquelles ils se présentent maintenant, ne tiennent que dans une vision des choses, balayée depuis longtemps par la science moderne. Marxisme et freudisme, par exemple, ont en commun une structure d’explication par l’évidence qui est le contraire de la méthode scientifique (ce qui explique leur échec, puisque la science devrait être ici le seul critère). Marx et Freud se sont trompés La méthode scientifique en effet ne vise pas à expliquer, mais à prévoir. Et plus exactement, la science n’accorde le nom d’explication qu’à ce qui permet de prévoir. Il ne sert rigoureusement à rien que le marxisme philosophique et le freudisme nous proposent force explications « évidentes », dès l’instant que toutes leurs prédictions se sont révélées fausses. Le test unique était la vérification. Eh bien, nous avons le résultat : cela ne marche pas, n’a jamais marché, et se détraque de plus en plus, au point, malheureusement, de mettre l’humanité en son plus grand péril. On cite toujours le mot de Lénine « les faits sont têtus ». On doit regretter qu’ayant ainsi parlé si bien, il s’en soit allé dans un monde meilleur (je l’espère pour lui). On doit regretter plus encore que tant d’hommes restent enfoncés dans sa croyance destructrice, vrai « opium du peuple »8. Nous examinerons dans d’autres articles en quoi consiste la structure commune du marxisme et du freudisme9. Aimé MICHEL (a) Ce n’est pas le moindre paradoxe du génie d’Einstein qu’il fut aussi l’un des fondateurs de cette physique quantique dont il refusa toujours d’admettre les idées. (b) Il existe une école de physiciens (Louis de Broglie, Jean-Pierre Vigier, David Bohm, Lochak, Andrade Silva) qui espèrent rétablir la représentabilité des phénomènes. Leurs publications montrent que leur physique de remplacement serait de toute façon encore plus compliquée que l’actuelle. Et jusqu’ici, ils n’ont pas trouvé cette physique de remplacement10. Chronique n° 338 parue dans F.C. – N° 1802 – 26 juin 1981 Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 17 avril 2017

 

  1. Cette citation est le plus souvent donnée dans la version donnée ici par Aimé Michel : « Ce qu’il y a de plus incompréhensible dans l’univers, c’est qu’il soit compréhensible ». Toutefois, on en trouve des variantes comme « ce qu’il y a, dans le monde, d’éternellement incompréhensible, c’est qu’il soit compréhensible » (http://www.astrosurf.com/luxorion/relativite-comprehensible.htm#_ftnref2). Instruit par l’expérience à me méfier des citations sans référence j’ai recherché l’origine de celle-ci pour en connaître la formulation originelle. Je l’ai finalement trouvée dans un article d’Einstein intitulé « Physique et Réalité » publié en mars 1936 dans The Journal of the Franklin Institute, vol. 221, n° 3, de mars 1936, d’abord en langue allemande (pp. 313-347, https://people.phys.ethz.ch/ strthom/physik1/hs07/skript/Einstein.pdf), puis en traduction anglaise par Jean Piccard dans le même numéro (pp. 349-382, http://www.kostic.niu.edu/Physics_and_Reality-Albert_Einstein.pdf). La phrase en question se trouve p. 315 : « Man kann sagen: Das ewig Unbegreifliche an der Welt ist ihre Begreiflichkeit. Dass die Setzung einer realen Aussenwelt ohne jene Begreiflichkeit sinnlos wäre, ist eine der grossen Erkenntnisse Immanuel Kants. ». « On peut dire : le mystère éternel du monde est sa compréhensibilité. C’est l’un des grands accomplissements d’Emmanuel Kant d’avoir montré qu’il serait dénué de sens de poser l’existence d’un monde extérieur réel sans cette intelligibilité. »
  2. Avec toutefois une nuance importante qui est que l’espace et le temps ne sont pas séparables car ils peuvent s’échanger l’un en l’autre. Il en résulte qu’on ne peut plus parler comme Newton de l’espace et du temps mais qu’il faut considérer une nouvelle entité née de la fusion des deux, l’espace-temps. Cette notion nous paraît très abstraite et difficile à comprendre, contrairement aux notions d’espace absolu et de temps absolu qui nous semblent concrètes et intuitives. Nous regrettons la clarté des définitions de Newton : « Le temps absolu vrai et mathématique, sans relation à rien d’extérieur, coule uniformément et s’appelle durée ; l’espace absolu, sans relation aux choses extérieures, demeure toujours similaire et immobile ; le mouvement absolu est défini par le déplacement d’un corps d’un lieu absolu à un autre lieu absolu ». En réalité, il a fallu se rendre à l’évidence : cette clarté n’est qu’apparente. En effet, on ne peut pas définir de repère cartésien xyz absolu (un tel repère absolument fixe n’existe pas, voir par exemple la chronique n° 342, en particulier la note 3 sur l’éther luminifère) et pas non plus de temps absolu puisque la simultanéité de deux évènements dépend du mouvement des observateurs. Le seul repère absolument fixe est à quatre dimensions xyzt.
  3. Une photographie illustre l’article dont la légende dit « Niels Bohr, le grand physicien danois, fut l’un des premiers à deviner, à annoncer la fin de la science “classique” ». Un mois après la publication de la présente chronique Aimé Michel revint sur cette question dans la chronique n° 341, Les mésaventures de l’onde et du corpuscule – Les troublantes expériences quantiques d’Alain Aspect (mise en ligne le 17.08.2015), en insistant sur le fait que les termes utilisés « ni dans le temps, ni dans l’espace » et « inaccessibles et transcendants » sont de Bohr lui-même. Malheureusement je n’ai pas retrouvé l’origine de ces citations. Elles ne paraissent pas extraites de son livre célèbre, Physique atomique et connaissance humaine, trad. E. Bauer et R. Omnès, édition établie par C. Chevalley (avec 120 pages d’introduction et 320 pages d’annexes), Folio Essais n° 157, Gallimard, 1991. Quoi qu’il en soit, la plupart des physiciens s’accordent à reconnaître les mérites de Niels Bohr (1885-1962) et la justesse de ses intuitions. Il fut l’un des pères fondateurs de la physique quantique et de son interprétation courante (dite interprétation de Copenhague). Que le réel fondamental ne soit pas « constitué d’éléments localisés immergés dans l’espace-temps » selon les mots du physicien Bernard d’Espagnat constitue une évolution majeure de la physique (voir la chronique n° 285, La dernière serrure – Un monde en dehors de l’espace et du temps, 20.01.2014). Après avoir renoncé à l’espace et au temps absolus, il faut maintenant renoncer à l’espace-temps lui-même pour inclure ce dernier dans une réalité plus vaste. Bien entendu, cette conception rencontre des résistances, notamment dans d’autres disciplines comme la biologie parce qu’elle heurte certains présupposés philosophiques du monisme matérialiste.
  4. Il s’agit de la chronique n° 337, Et si l’intelligence acceptait ses limites Il y a tant de choses que je ne sais pas… – Science et religion sont-elles en guerre à mort permanente ? (21.04.2014).
  5. Cette restriction « sauf la conscience » est d’importance. Aimé Michel ne manque jamais de rappeler le caractère irréductible de la conscience, fidèle en cela à la pensée de Descartes et de Popper comme on l’a vu la semaine dernière en note 7 de la chronique n° 450, Petites et grandes énigmes de l’espace – Pourquoi l’espace a-t-il trois dimensions ? Il présente cette irréductibilité en deux phrases dans la chronique n° 102 (Le lit de Procuste, 04.08.2010) : « Ce fait extraordinaire, que l’on appelle la conscience, n’a pas de place dans la science. Il n’existe et ne peut exister (…) aucun moyen imaginable de distinguer un processus conscient d’un processus inconscient ». La question de la conscience est, à ses yeux, d’importance centrale ; c’est un nœud où convergent de nombreuses lignes de réflexion, si bien qu’elle revient souvent dans ses chroniques, à une époque où elle n’était pas encore à la mode. En témoignent par exemple les chroniques n° 126, Avis désintéressé à MM. les assassins – Les hypothèses les plus certaines ne sont pas de nature scientifique (04.06.2012), n° 286, Qu’est-ce qui n’est pas dans le temps ni l’espace et qui est infini ? – Le désaveu de la physique qui ne serait que physique (17.03.2014), n° 445, L’univers dans la théorie des supercordes – Un « modèle » qui recouvre tout, sauf le plaisir de manger de la tarte à la fraise (13.03.2017), dont les sous-titres (qui sont de mon cru) sont tous des allusions à la conscience. Il s’agit d’une des principales lignes de force de sa pensée comme l’illustre également la chronique n° 328, L’invraisemblable vérité – Dieu, pour créer l’univers, n’a pas pris conseil de M. de Condorcet (16.01.2017), en particulier la note 6.
  6. Je ne crois pas qu’Aimé Michel ait explicitement déclaré ce « dessein apologétique » auparavant, sans doute parce qu’il ne pouvait pas échapper au lecteur. Pour Wikipédia, l’apologétique « entreprend de répertorier les points de compatibilité et d’incompatibilité entre la compréhension du moment de la Révélation et l’état du moment de la Science ». Bien que prudente, puisqu’elle reconnait que la compréhension tant de la Révélation par les apologistes que de la Nature par les scientifiques est imparfaite, donc sujette à permanente révision et amélioration, cette définition n’échappe pas à l’écueil d’être formulée en termes de compatibilité et d’incompatibilité, ce qui est restrictif et invite à la controverse stérile. De ce point de vue, celle de Bernard Dupuy, auteur de l’article « Apologétique » de l’Encyclopaedia Universalis me paraît meilleure et plus proche de l’esprit des présentes chroniques. Elle définit l’apologétique comme « un dialogue non seulement extérieur mais intérieur au croyant : elle cherche à établir les motifs qu’à chaque époque le fidèle reconnaît à sa croyance, en face de sa propre incroyance, et à les communiquer à autrui. »
  7. Ce thème de « l’abêtissement de la raison » bien que précisé dans le paragraphe qui suit sera mal compris de certains des lecteurs, ce qui conduira Aimé Michel à le reprendre dans la chronique n° 345, La divine oasis n’est pas absente mais cachée, que nous publierons dans quelques semaines. L’incise « renouvelé du jansénisme » mérite une explication. Je crois me souvenir que des lecteurs ou certains de ses amis reprochaient à Aimé Michel son « jansénisme ». Faisaient-ils allusion au mépris du « monde », au rigorisme et à la conception austère des exigences chrétiennes défendus par les Jansénistes et bien représentés par Saint-Cyran et Pascal ? Je n’en serais pas trop surpris pour deux raisons : l’inspiration pascalienne d’Aimé Michel, que nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de souligner, et son ancrage dans la « civilisation villageoise » (voir par exemple la note 7 de la chronique n° 422, Les mésaventures de la potion magique – Les peuples entre permanence, agonie spirituelle et refus de l’uniformisation, 31.10.2016). Loin de moi l’idée de résumer en trois lignes la question du jansénisme. Ce mouvement qui doit son nom au Hollandais Jansen ou Jansénius (1585-1638), évêque d’Ypres, ne fut pas homogène. Il se développa à partir du XVIe siècle en réaction à la théologie nouvelle défendue par les Jésuites qui rompait avec le pessimisme de saint Augustin et Thomas d’Aquin. Pour l’augustinisme et le jansénisme, l’homme est incapable de faire le bien sans l’aide divine (la grâce) mais cette grâce n’est pas accordée à tous. Pour les Jésuites au contraire une « grâce suffisante » est accordée à tous les hommes, chacun ayant la liberté de l’utiliser ou non. Sur cette base théologique d’autres éléments vinrent se greffer : outre leur rigorisme, les Jansénistes défendaient le pouvoir des évêques contre le centralisme romain, souhaitaient des offices et des textes (à commencer par la Bible) en langue française, contestaient la monarchie de droit divin, s’opposaient à l’argument d’autorité du pape et du roi et défendaient la liberté de conscience. Finalement, l’évolution moderne leur donna tort sur l’augustinisme mais raison sur le reste…
  8. Le physicien François Lurçat propose dans son livre De la science à l’ignorance (Éd. du Rocher, 2003) une critique du scientisme qui rejoint sur plusieurs points les idées développées par Aimé Michel, en s’appuyant sur les mêmes données scientifiques (du moins en physique) mais aussi sur des philosophes (Edmund Husserl, Hannah Arendt, Leo Strauss) auxquels Aimé Michel ne se réfère pas. Il analyse les origines du scientisme depuis Galilée et ses piliers métaphysiques : le déterminisme absolu et le principe analytique. Il décrit la remise en cause de ces principes en physique quantique par Niels Bohr, dont la pensée, selon lui, « continue à faire l’objet d’un ostracisme honteux » (p. 86) « parce qu’elle contredit frontalement des schémas de pensée profondément inscrits dans la tradition occidentale » (p. 98). Un de ces schémas veut qu’une théorie soit universelle « alors qu’en pratique tout le monde sait que les théories connues sont établies et vérifiées chacune dans son domaine de validité propre » (p. 99). Hier, ces principes ont servi à justifier des idéologies néfastes. « Ces idéologies ont été, l’une frappée d’anathème plutôt que détruite par l’analyse rationnelle (c’est le cas du nazisme) ; l’autre considérée indépendamment des conséquences pratiques de son application, ce qui lui permet de se refaire une vertu (c’est le cas du marxisme). » (p. 21). Aujourd’hui, les prétendues « sciences de l’éducation », fondées sur ces principes, ne font que singer une démarche scientifique et conduisent à la destruction de l’école et à la montée de l’ignorance. Le dévoiement de l’inquiétude responsable en peurs (centrales nucléaires, OGM, effet de serre, etc.), la négation de l’exception humaine par de nombreux biologistes, la volonté de nous affranchir de la culture héritée du passé, sont à ses yeux des symptômes divers d’« une emprise de plus en plus forte du scientisme » qui est « une idéologie, un système irrationnel qui part des laboratoires et des universités et diffuse dans toute la société » (p. 194).
  9. Cette « structure commune du marxisme et du freudisme » fondée sur « l’explication par l’évidence » est présentée dans deux autres chroniques de juillet 1981 déjà mises en ligne : n° 339, Utopiste qui veut faire mon bonheur, t’es-tu regardé dans un miroir ?­ – Comment l’illusion de savoir mua la philanthropie marxiste en son contraire (10.11.2014), et n° 340, Il faut tourner sept fois sa langue avant de dire que c’est absurde – L’insuffisance du raisonnement purement verbal et la nécessité de la vérification (12.05.2014). Au temps d’Aimé Michel, l’explication par l’évidence (ou par le bon sens) n’était pas utilisée seulement par les marxistes et les freudiens mais aussi par les rationalistes de l’Union du même nom (souvent marxistes il est vrai) et bon nombre de théologiens et d’exégètes. Elle reste très largement utilisée de nos jours pour tenter de résoudre les questions pendantes qu’elles soient scientifiques, philosophiques ou politiques… « Rationnel » et « irrationnel » sont des catégories trompeuses quand on veut les utiliser pour décider de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas. L’histoire des sciences montre que le raisonnement seul ne donne pas accès au réel. Il faut y ajouter la vérification empirique par l’observation et l’expérimentation.
  10. Aimé Michel manifeste ici son scepticisme vis-à-vis de cette « physique de remplacement » que des physiciens attachés au déterminisme et à l’esprit de la physique classique espèrent voir se substituer à la physique quantique telle qu’elle est généralement comprise et enseignée de nos jours (voir à ce sujet la note 5 de la chronique n° 342, Au cœur de l’infini labyrinthe, une obscure clarté – Nouvelles réflexions sur les ondes et les particules, la relativité et les quanta, 16.11.2015, et la note 5 de la chronique n° 437, Prince puis duc, révolutionnaireLa mort du physicien Louis de Broglie, 06.02.2017).