Plusieurs changements significatifs sont intervenus depuis trois ans. Le président a pu nommer en 2016 et en 2017 deux nouveaux juges à la Cour suprême. Ses prédécesseurs en avaient fait autant : sur les neuf juges, deux ont été nommés par Clinton, deux par Obama, deux par George W. Bush. Un juge a encore été nommé par George Bush père. L’équilibre s’établit donc désormais à quatre juges dits « progressistes » contre cinq juges réputés « conservateurs ». Rien n’est cependant acquis. Un juge, le président actuel de la Cour, serait plutôt vu comme « centriste » et susceptible de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
La Cour va être mise à l’épreuve d’ici juin 2020 sur plusieurs dossiers délicats : la réglementation des armes, l’immigration, les droits des LGBT, la liberté religieuse et l’avortement. Ses décisions peuvent avoir un impact sur l’élection du 3 novembre. Une réélection de Trump lui permettrait de nommer un ou deux nouveaux juges, deux des juges actuels ayant plus de 80 ans. La proportion passerait ainsi à sept contre deux. S’il était battu, ces deux remplacements, effectués par un président démocrate, ne feraient que maintenir l’équilibre actuel, les deux sortants étant progressistes.
Fenêtre d’opportunité
Juridiquement, une fenêtre d’opportunité se présente donc pour revenir sur la fameuse décision Roe contre Wade du 22 janvier 1973 qui incidemment fut prise à sept voix contre deux. Celle-ci autorisait l’avortement jusqu’à vingt-deux semaines. C’est là un point qui a toujours fait débat aux États-Unis. Rares sont les législations à travers le monde qui se risquent à autoriser un avortement quand le cœur du fœtus commence à battre, soit au-delà de six semaines. Une dizaine d’États américains ont récemment adopté des lois, certaines réduisant les délais, comme la Louisiane à six semaines, le 29 mai 2019, à l’initiative d’un gouverneur démocrate. Une précédente loi de la Louisiane de 2014 requérant que le médecin pratiquant un avortement exerce dans un hôpital à moins de cinquante kms, ce qui ne serait le cas que pour un seul médecin et une seule clinique dans l’État, viendra le 4 mars devant la Cour suprême. L’Alabama, le 15 mai, a approuvé une loi excluant tout avortement au-delà des six semaines quel qu’en soit le motif, y compris viol et inceste, et criminalisant les médecins qui en pratiqueraient.
Ces réformes législatives reflètent une certaine évolution dans l’opinion. Des statistiques montrent que 65% des avortements ont lieu à moins de huit semaines, 91% à moins de 13 semaines. Un sondage Pew en 2018 révélait que si 58% des Américains restaient favorables à la légalisation du droit à l’avortement, 37% prônaient l’interdiction. Les proportions antérieures étaient plutôt 70/30. Cependant, même parmi les opinions favorables, une majorité favorisait un raccourcissement des délais. Outre l’immense majorité des Républicains, une minorité de Démocrates rechigne à l’absolutisme pro-avortement de la plate-forme de leur parti. Leur favori, l’ancien vice-président, catholique, Joe Biden, tente maladroitement de biaiser. Au total, les oppositions au mouvement de fond exprimé par la Marche pour la vie tardent à prendre de l’ampleur.
Le nombre des avortements est en recul : 862 000 en 2017 contre plus d’un million encore en 2010. Il faut ajouter que le nombre des naissances est également en recul : 3,79 millions en 2018 contre plus de quatre millions jusqu’en 2010. La diminution provient surtout des adolescentes avec un taux de naissances de moitié par rapport à 2000. Le taux de fertilité américain est désormais de 1,7 contre 1,87 en France. Il n’a pratiquement pas bougé depuis 1973 (il était du double jusqu’en 1960).
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement
- Étroitesse d'esprit chez les progressistes laïques
- Le curieux amour des progressistes pour l’Islam