L'Église est catholique - France Catholique
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Marie, secours des chrétiens
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L’Église est catholique

L’Église est catholique, c’est-à-dire universelle, car elle est envoyée en mission par le Christ à tout le genre humain. Entretien avec le Père Laurent Guimon, qui a passé six ans au Bénin.
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Grande procession lors de la fête du Christ-Roi.

Grande procession lors de la fête du Christ-Roi.

© laurentguimon.wixsite.com

Vous avez été chapelain à Versailles pendant seize ans, à Notre-Dame des Armées. Pourquoi êtes-vous parti en Afrique ?

Père Laurent Guimon : Notre-Dame des Armées est une belle paroisse, très pratiquante. J’en ai été le chapelain, après le Père Denis Le Pivain. J’étais très heureux d’y exercer mon ministère, mais la dimension missionnaire me manquait un peu. J’avais cela dans le cœur. Avec le Père Bruno Bettoli, nous faisions du porte-à-porte pour annoncer le Christ dans les communes que regroupe Saint-Quentin-en-Yvelines, dont Trappes fait partie. Notre-Dame des Armées finançait aussi la mission du Père Le Pivain, parti au Bénin : nous avons aidé à la construction de l’église, du presbytère… En 2010, j’y suis allé trois semaines pour l’inauguration d’une école primaire de garçons. Finalement, j’y suis parti en 2016 et j’en suis revenu cette année.

Qu’avez-vous appris au cours de cette mission ?

Une leçon, capitale : il faut faire confiance au Saint-Esprit ! Souvent, on se dit : « Je vais semer dans les pleurs ; d’autres, après moi, récolteront dans la joie. » Ce n’est pas la meilleure façon d’aborder la mission. Il ne suffit pas de semer, il faut partir dans l’intention de moissonner. L’Esprit Saint est déjà à l’œuvre, il a préparé les cœurs. C’est lui qui fait le boulot, lui qui nous guide. L’Esprit Saint, c’est le Paraclet. Dans le théâtre grec, le paraclet, c’est le souffleur, celui qui rappelle aux acteurs leur texte. Il nous révèle ce qui nous était dissimulé, ou que nous ne savions pas voir. Quand Jésus reçoit le baptême, il a vécu trente ans caché. L’Esprit Saint descend sous la forme d’une colombe et la voix du Père se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, écoutez-le. » Le Christ est Sauveur depuis sa conception, l’Esprit Saint nous le révèle. Dans la mission, nous comprenons vite que Dieu nous a précédés, qu’il a travaillé les cœurs.

L’avez-vous constaté au Bénin ?

Absolument ! Au Bénin, il était admis depuis longtemps que l’ethnie des Bariba, de confession musulmane, ne pouvait pas être convertie. Cela paraissait impossible. Or, quand il est arrivé il y a dix ans, l’archevêque de Parakou, Mgr Pascal N’Koué, a dit : « Allons-y ! » Il a fait édifier un centre de pèlerinage marial où trône une statue de la Vierge habillée à la manière bariba. Le diocèse organise aussi, chaque année, une procession pour la fête du Christ-Roi car les Bariba, gouvernés par un roi qu’ils élisent, ont une grande révérence pour la royauté. Depuis que l’archevêque a pris ces initiatives, les Bariba se convertissent en nombre ! Il a suffi d’y croire, de ne pas se résigner à « l’impossible »… L’archevêque a su redonner un souffle missionnaire à son diocèse.

Le Bénin, c’est un peu le « Quartier latin » de l’Afrique, il a fourni de nombreux cadres administratifs à l’Afrique occidentale française. Cette élite avait délaissé la brousse. Désormais, un cours d’agriculture est au programme du grand séminaire de Parakou, de sorte que les prêtres sont prêts à aller évangéliser la brousse : le contact est renoué avec des populations qu’on ne voyait plus.

Vous soulignez le rôle de Marie dans l’évangélisation. Quel secours vous apporte-t-elle ?

Il est étonnant de voir combien les femmes musulmanes sont touchées par la Vierge. Marie semble les attirer à elle ! Quel est son rôle dans l’économie du Salut ? Lourdes nous souffle la réponse. Dans la grotte de Massabielle, la source surgit du côté où la lance a transpercé le Christ ; au-dessus, s’élève l’église dont la Vierge a demandé la construction, et le Saint-Sacrement. La source nettoie la « tutte aux cochons », – lieu sale et obscur –, comme la Croix nous lave de nos péchés.

Marie, elle, apparaît à la place du cœur. Comme si Dieu avait eu besoin d’un visage maternel pour montrer aux hommes son infinie tendresse… J’ai sillonné l’Afrique : le Bénin, le Togo, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Gabon, la République démocratique du Congo (RDC)… Dans toutes les paroisses il y a une reproduction de la grotte de Lourdes. Marie est une femme forte, elle peut nourrir l’Afrique !

Faut-il s’appuyer sur la culture locale pour évangéliser ?

Oui… dans une certaine mesure ! Chaque peuple a son histoire, qu’on ne peut ignorer. En Afrique, il est courant qu’on présente l’Église comme « la famille de Dieu ». Parce que la famille y est une réalité très forte, bien plus qu’en Europe. Cette comparaison a permis d’ancrer l’Église sur ce continent. Un autre exemple, historique : quand ils sont arrivés au Bénin, les premiers missionnaires ont été confrontés au vaudou. Or ses adeptes ne sont pas polythéistes : ils croient en un seul dieu, le fâ, créateur de toutes choses, à qui ils s’adressent par l’intermédiaire d’esprits.

Ce fondement monothéiste a favorisé l’œuvre des missionnaires ; le culte des ancêtres aussi, qui est « embarrassé » de superstitions, de peurs, d’interdits… En les libérant de ces superstitions, le christianisme donne aux Africains une espérance qui n’existe pas dans ces religions traditionnelles. C’est aussi cela le caractère universel de l’Église.

Ne risque-t-on pas de dénaturer la foi en s’adaptant aux cultures locales ?

Il faut prendre garde de ne pas tout mêler. L’inculturation, ce n’est pas la foi qui s’adapte à la culture, c’est la culture qui est transcendée par la foi. Si l’on va trop vite, on risque le contresens. Par exemple, on peut regretter qu’au Cameroun, mais aussi en RDC, les fidèles s’asseyent pour écouter l’Évangile. Parce que s’asseoir, dans leur culture, c’est signifier que la chose est importante. Or, dès le début du christianisme, les chrétiens ont pris l’habitude de se lever au moment de l’Évangile. Pourquoi ? Parce qu’en grec, « se mettre debout » et « ressusciter », c’est le même terme. L’Évangile est une parole qui ressuscite. C’est un symbole qu’il faut conserver. Ne ravalons pas la foi à des habitudes culturelles.

Quels conseils donneriez-vous aux fidèles qui, par nature, sont appelés à participer à la mission ?

Qu’ils aient une vie d’oraison amoureuse forte ! Lorsqu’on est amoureux, on ne peut pas se taire. Les fiancés ont besoin de clamer leur amour, c’est tout naturel. Il y a dans la mission une générosité du cœur qui permet qu’elle se déploie. Dans les Actes des apôtres, Pierre est sommé de se taire quand il est arrêté. Mais lui répond : « Je ne peux pas ! » Il a fait l’expérience du pardon du Christ, de la miséricorde de Dieu : cette « bonne nouvelle », il ne peut pas la taire. Quand un cœur est rempli de l’amour de Dieu, forcément, à un moment, il déborde ! Et là, vous êtes obligé de partir en mission. La générosité du cœur est nécessaire au déploiement de la mission. Le dépouillement aussi. Sans oublier que le Saint-Esprit est là, qu’il a préparé le terrain et que nous venons pour moissonner.

Bon nombre de missionnaires sont morts martyrs. Est-ce une dimension de la mission ?

Les premiers missionnaires sont arrivés au Bénin il y a 160 ans. Beaucoup sont morts de maladie, dans les premiers mois, surtout du paludisme : presque un sur trois. C’était l’une des régions les plus insalubres de l’Afrique de l’Ouest. Ils ne recherchaient pas le martyre mais ils étaient prêts à donner leur vie.

Si le missionnaire n’est pas prêt à aller jusqu’au don de soi par amour, sa mission n’aura pas de fruit. Se donner par amour, comme le Christ sur la Croix, cela bouleverse les cœurs – et les gens comprennent qu’on ne triche pas.