« L’Église doit retrouver le sens de l’adoration » - France Catholique
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« L’Église doit retrouver le sens de l’adoration »

Depuis deux siècles, l’Église affronte la modernité et doit lutter contre différentes hérésies, comme l’américanisme et le modernisme. Leurs effets se font encore sentir aujourd’hui. Entretien avec l’abbé Joël Guibert, auteur de nombreux livres de spiritualité.
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© P Deliss / Godong

À quoi peut-on attribuer la crise actuelle dans l’Église ?

Père Joël Guibert : Les analyses de la crise de l’Église en restent souvent à la surface. Il faut aller plus loin, plus profond pour expliquer la déliquescence actuelle de l’Église catholique dans les sociétés dites développées. On ne remédiera à rien, ni dans le diagnostic, ni dans le traitement de la maladie, tant que l’on ne regardera pas en face le fondement de la crise, qui est théologique. Les crises morales dans l’Église, quelles que soient les époques, trouvent toujours leur origine dans une crise doctrinale. Lorsque la vérité devient relative, à plus ou moins long terme, les comportements se relâchent.

Comment ce relativisme s’est-il imposé ?

Sans prétendre être exhaustif, il me semble que la crise actuelle puise dans un mélange de deux hérésies modernes : l’américanisme et le modernisme. L’historien Paul Vigneron dit que ces deux hérésies peuvent être synthétisées ainsi : avec l’américanisme, c’est « soyons plus actifs ! » et avec le modernisme, c’est « soyons plus intelligents ! ».

Qu’est-ce que l’américanisme exactement ?

Nous sommes en 1872. Un prêtre de 54 ans originaire de New York, converti du protestantisme, voyage en Europe pour se refaire une santé. Il s’appelle Isaac Hecker, et dans un petit mémoire qu’il écrit au fil de ses rencontres, il conclut que la formation donnée aux catholiques en Europe ne correspond absolument pas aux besoins de ce temps : trop de « piétisme » imprègne leur spiritualité, l’initiative individuelle est réprimée et il constate un manque d’audace et d’énergie qui empêche les « succès » politiques et apostoliques. Influencé par la pensée d’Hecker, un archevêque du Minnesota, Mgr Ireland (1838-1918), va répandre sa pensée en France, impressionnant par l’optimisme de son discours : il préconise de délaisser la piété et de promouvoir l’action, l’esprit d’entreprise. Il affirme même que la prière est souvent un refuge pour la mollesse et la lâcheté, le catholique d’alors – affirme-t-il – est beaucoup trop résigné à ce qu’il croit être la volonté de Dieu.

Ainsi, au nom de l’efficacité apostolique, il remet en cause les fondements de la spiritualité, de la prière et de la Croix : c’est cela l’américanisme, dont Léon XIII a fait explicitement une hérésie dans la lettre apostolique Testem benevolentiæ nostræ (1899).

En quoi promouvoir l’action avant tout est-il mauvais ?

Cet état d’esprit procède d’une conception faussement optimiste de la nature humaine, qui laisse transparaître une méconnaissance du péché originel. Cela n’est pas sans conséquence ! L’américanisme entraîne l’oubli de la gravité du péché mortel et vide la conception du Salut de sa dimension d’expiation, de réparation. Il aboutit également à un grand silence sur la vie éternelle, puisque l’important, ce sont les œuvres ici-bas.

La volonté d’être en phase avec le monde, ses méthodes et son « bougisme », est telle que l’on préconise d’épouser son « progressisme ». L’apostolat est alors très marqué par l’activisme, l’obsession envers l’efficacité, la polarisation sur les œuvres extérieures. La référence devient l’esprit d’entreprise, le marketing, l’organisation, le « process ». Cela a pour conséquence un dédain envers la vie intérieure et la juste « passivité » devant la grâce, et surtout un oubli de la Croix et de la mortification.

Quant au modernisme, de quoi s’agit-il ?

Le modernisme cherche à « adapter la religion catholique » aux besoins intellectuels, sociaux et moraux du temps présent, comme le disait Alfred Loisy, dont la publication de L’Évangile et l’Église, en 1902, a participé à lancer la crise moderniste. On voit très clairement la grave ambiguïté qui se trouve à la racine du modernisme : la Bible, la foi de l’Église doivent se placer sous le rationalisme et le scientisme pour qui la seule vérité qui vaille est la science dégagée de tout surnaturel. Selon saint Pie X, le modernisme se résume en deux expressions, deux attitudes mentales, corruptrices de la foi catholique : agnosticisme et immanence vitale.

Retrouvez l’entretien complet dans le magazine.