La science et la religion sont deux domaines qui doivent rester indépendants.
Lemaître refuse toute tentative de concordisme, même venant du pape. Pour les mêmes raisons, il repousse l’inquisition athée qui souligne les désaccords entre la science et la Bible. A un journaliste qui lui fait remarquer que la Bible enseigne que la création a été accomplie en six jours, Lemaître répond :
« Et alors ? Il n’y a aucune raison d’abandonner la Bible parce que nous croyons à présent qu’il a peut-être fallu mille millions d’années pour créer ce nous pensons être l’univers. La Genèse veut juste nous apprendre qu’un jour sur sept doit être consacré au repos, au culte, à la vénération. – conditions indispensables au salut. Si la théorie de la relativité avait été utile au salut, elle aurait été révélée à saint Paul ou à Moïse. A l’évidence, ni saint Paul ni Moîse n’ont eu la moindre idée de la théorie de la relativité. Les auteurs de la Bible sont tous, à des degrés divers – et certains plus que d’autres-éclairés sur cette question du salut. Pour ce qui est des autres questions, ils étaient aussi sages ou ignorants que leurs contemporains ».
L’abbé Lemaître est nommé chanoine honoraire en 1935
Il a été choisi membre de l’Académie Pontificale des Sciences en 1936, il en est devenu le Président en 1960.
Rigueur et poésie
Les publications de Georges Lemaître sont très remarquables, non seulement en raison de la profondeur et de l’originalité des idées qui sont présentées, mais aussi en raison des la qualité littéraire de ces écrits, adaptée à celle des conférences publiques qu’il donnait fréquemment. Le style de Lemaître est un modèle de rigueur et de lyrisme mêlés. Il porte la trace d’années d’études en humanités gréco-latines. Il n’en résulte pas toujours une lecture facile : la précision mathématique du fond s’y oppose souvent, mais une certaine poésie y est toujours présente.
Cette qualité de la forme a-t-elle nui à la crédibilité du fond ? Ce serait très regrettable, mais c’est, hélas, assez probable, tant il est rare que la valeur de fond d’un texte scientifique profondément original se hisse au niveau d’une œuvre littéraire. Le terme de vulgarisation est associé à un réflexe méprisant de la part des milieux spécialisés. Lemaitre lui donne son titre de noblesse. En voici un exemple ;
Conclusion d’un article de Georges Lemaître paru en 1948 dans la revue des Questions Scientifiques sous le titre :
« L’hypothèse de l’atome primitif »
Nous ne pouvons pas terminer cet exposé, sans considérer un moment l’origine même que notre théorie donne à l’univers l’instant initial, la fragmentation initiale. L’instant où naissait l’espace avec un rayon partant de zéro, l’instant où naissait la multiplicité dans la matière.
Cette origine nous apparaît, dans l’espace-temps comme un fond qui défie notre imagination et notre raison, en leur opposant une barrière qu’elles ne peuvent franchir. L’espace-temps nous paraît semblable à une coupe conique. On progresse vers le futur en suivant les génératrices du cône vers le bord extérieur du verre. On fait le tour de l’espace en parcourant un cercle normalement aux génératrices. Lorsqu’on remonte par la pensée le cours du temps, on s’approche du fond de la coupe, on s’approche de cet instant unique , qui n’avait pas d’hier, parce qu’hier, il n’y avait pas d’espace.
Commencement naturel du monde, origine pour laquelle la pensée ne peut concevoir une pré – existence, puisque c’est l’espace même qui commence et que nous ne pouvons rien concevoir sans espace. Le temps semble pouvoir être prolongé à volonté vers le passé comme vers l’avenir. Mais l’espace peut commencer, et le temps ne peut exister sans espace, on pourrait donc dire, que l’espace étrangle le temps, et empêche de l’étendre au-delà du fond de l’espace-temps.
Mais cette origine est aussi le commencement de la multiplicité. C’est un instant où la matière est un seul atome, un instant où les notions statistiques qui supposent la multiplicité ne trouvent pas d’emploi. On peut se demander si dans ces conditions la notion même d’espace ne s’évanouit pas à la limite et n’acquiert que progressivement un sens au fur et à mesure que la fragmentation s’achève et que les êtres se multiplient.
Devons –nous nous plaindre que nos notions les plus familières s’évanouissent lorsqu’elles s’approchent du terme ultime qu’elles ne savent pas dépasser ? Je ne le pense pas.
« Je ne le pense pas ». Passant du « nous » au « je », pour la première fois, à la dernière phrase de ce long article, c’est le métaphysicien qui s’exprime.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Lema%C3%AEtre
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Extrait de
D’un chanoine à l’autre – De Copernic à Lemaître Des « Somnambules » parlent aux veilleurs
Par André Girard
238 pages, 18,50 euros (11,10 au format PDF)
http://www.edilivre.com/d-un-chanoine-a-l-autre-de-copernic-a-lemaitre-20cf04801d.html#.VUHrNdrtlBc
ISBN : 9782332851994