Qui sait que Jeanne d’Arc est, selon le mot de Jean Cocteau, « le plus grand écrivain de langue française » ? Jules Laforgue disait d’elle « elle parle un français de Christ » et Robert Brasillach, dans la préface qu’il écrivit en 1932 de la publication des actes de son procès, que « le plus pur et le plus émouvant chef-d’œuvre de la langue française n’a pas été écrit par un homme de lettres. »
Orateur et poète
Est-il inconvenant de placer Jeanne d’Arc parmi les Classiques ? Elle est, bien sûr, beaucoup plus qu’un orateur ou un poète. Mais elle est aussi cela. Ses lettres aux chefs anglais, avant de livrer bataille, pour les supplier de se rendre aux raisons du « Roi du Ciel », sont des chefs-d’œuvre épistolaires que nos enfants, dans les écoles, devraient apprendre par cœur.
Le sommet est la deuxième audience publique du procès de Rouen, le jeudi 22 février 1431, quand Jean Beaupère, l’illustre maître de l’Université de Paris, vient la questionner sur ses voix : « Quand avez-vous commencé à ouïr ce que vous nommez vos voix ? » Jeanne répond : « Quand j’eus l’âge de treize ans, j’eus une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner. »
Avec cette seule phrase, le lecteur peut méditer très longtemps, sur l’humilité de Dieu qui vient vers une jeune fille de treize ans pour « l’aider à se gouverner », et sur la maîtrise de cette jeune fille qui sait en si peu de mots caractériser l’intention du Créateur auprès de sa créature. « Pour m’aider à me gouverner. » Toute la tendresse de Dieu est contenue dans cette phrase.
Le plus beau quatrain de la langue française
Jeanne continue : « Et la première fois j’eus grand peur. » Ce qui signifie que cette voix était bien extérieure à elle, qu’elle n’était pas une voix intérieure. Car les voix intérieures n’ont jamais fait peur à personne. On les écoute ou on les fait taire.
Et puis vient ce que le poète franco-chinois Francois Cheng appelle « le plus beau quatrain de la langue française », le quatrain sans rimes, mais non sans rythme, que seul un poète pouvait saisir dans toute sa plénitude :
« Et vint cette voix,
Environ l’heure de midi,
Au temps de l’été,
Dans le jardin de mon père. »
Ce quatrain dit tout de Jeanne, jeune fille solaire, née pour la gloire et la victoire. « L’heure de midi, au temps de l’été » est le moment culminant de l’année où la terre ruisselle de soleil, de chaleur, et de lumière. C’est le signe de Jeanne.
« Le jardin de mon père » fait écho, comme dans une chanson où les lilas sont fleuris, à ce qu’elle a dit, la veille, à propos de sa foi, quand l’évêque Cauchon lui a demandé : « Qui vous a appris votre croyance ? » « – J’ai appris de ma mère Pater Noster, Ave Maria, Credo. Je n’ai pas appris d’autre personne ma croyance, sinon de ma mère. »
L’univers de Jeanne est ainsi dessiné, à Domrémy, entre sa mère à qui elle doit tout ce qu’elle sait de la religion, et le jardin de son père où la voix lui est apparue pour la première fois, au plein de l’été.
Le procès est comme un livre mystique
Les minutes du procès que le lecteur attentif peut méditer comme un livre mystique, et parfois un traité de politique élémentaire, souvent comme un sommet de l’injustice judiciaire, sont aussi une source limpide de la langue française au premier jaillissement de son enfance. Elle sort à peine du latin. Elle s’ébroue comme un jeune agneau qui fait ses premiers pas. François Villon naît l’année où Jeanne est brûlée. Le charme ingénu du commencement ne se reproduit jamais. Les juges de Rouen nous l’ont conservé, intact. « Et me disait l’ange, la grande pitié qui est au royaume de France. »
Les historiens et les philologues se sont interrogés sur le mystère de cette langue si belle et si aisée dans la bouche d’une petite paysanne de Domrémy, qui n’était jamais allée à l’école et qui ne savait ni « A », ni « B ». Ils ont imaginé une filiation occulte et clandestine de princesse. Mais de nombreuses princesses de ce temps et d’autres temps n’ont pas parlé aussi bellement. L’explication est plus simple. Pendant six ans, de treize à dix-neuf ans, Jeanne a parlé avec les saints et les anges, et il lui en est resté ce « français de Christ ». Pour elle, « cette voix est belle, et douce, et humble, et parle langage de France ».
Dans l’année qui vient, où nous célébrerons Jeanne la sainte, la politique et le militaire, il ne faudra pas oublier la place éminente du Verbe. « Allez au texte », disait Péguy.
Le texte est là, enchâssé dans la procédure, comme un diamant dans son écrin.
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Répartie inspirée
L’évêque : « Saint Michel était-il nu ? »
Jeanne : « Pensez-vous que Dieu n’ait pas de quoi le vêtir ? »
L’évêque : « Avait-il des cheveux ? »
Jeanne : « Pourquoi les lui aurait-on coupés ? »
Extrait du procès de Jeanne d’Arc en 1431.
— Jacques Trémolet de Villers, Jeanne d’Arc, le procès de Rouen, Tempus, 416 p., 9 €.
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— Jacques Trémolet de Villers, Jeanne d’Arc, le procès de Rouen, Tempus, 416 p., 9 €.