ÉTRANGE AUJOURD’HUI QUI ASPIRE À L’INNOCENCE - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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ÉTRANGE AUJOURD’HUI QUI ASPIRE À L’INNOCENCE

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Souvent, oublieux du passé, je ne vois dans ce temps qu’un cauchemar crépusculaire. Quelle malédiction transforme les progrès de notre savoir en naufrage moral ? Par quelle défaillance collective tant de peuples malheureux cherchent-ils leur salut vers un horizon où de plus grands malheurs les attendent ?1 Pourquoi faut-il que nous ne puissions voir ce qui crève les yeux ? Pourquoi faut-il que, par exemple, les peuples d’Amérique du Sud oscillent sans cesse entre la tyrannie d’un homme et celle d’un parti ? Comment avons-nous su inventer vingt moyens d’installer le stalinisme et aucun d’en sortir ? Pourquoi faut-il que l’Occident use de sa liberté pour se vautrer, plutôt que pour se mettre debout ? Mais souvent aussi je me demande si ce regard angoissé que nous portons sur le monde n’est pas plutôt la marque d’une vision collective plus sensible et sincère. J’ai dans ma bibliothèque des collections de revues et de journaux antérieurs à 1848, comme l’Illustration ou le Musée des Familles. L’image de la France que l’on y trouve est celle-là même que nous avons apprise à l’école : 1830, c’est Hernani, le début du Romantisme, le changement d’un roi par un autre, et l’actualité connue par la France d’alors ne savait rien de la France réelle. Voici des exemples. En 1832, la municipalité de Lille est alertée par quelques cas de choléra dans le personnel des manufactures. Elle charge un service appelé l’Intendance Sanitaire d’enquêter sur les origines de cette épidémie. Le froid rapport rédigé par ce service officiel fait frémir. Ces ouvriers vivent dans des quartiers « remplis de mille ordures », il n’y a pas de lit dans leur unique chambre familiale où, « sur de la paille humide et pourrie », règne une effroyable promiscuité. Il n’y a pas d’eau dans les immeubles. Les enfants qu’on voit errer dans les ruelles « fétides », se tenant par la main, sont tout le jour abandonnés à eux-mêmes, car « les parents sont à la fabrique » et personne, dans ces quartiers n’atteint l’âge où l’on est grand-parent. Ces enfants sont « maigres, chétifs, vieux et ridés ; leur ventre est gros et leurs membres émaciés… leur cou est couturé (?) ou garni de glandes. Leurs doigts sont ulcérés… », etc. L’Académie des Sciences morales et politiques charge l’un des siens, le médecin Louis-René Villermé2, d’« étudier les classes pauvres ». Ses statistiques montrent que, par exemple dans le département du Haut-Rhin, la moitié des enfants d’ouvriers du tissage meurent avant deux ans. Sautons vingt ans et prenons une autre région de la France « prospère ». En 1859 (selon les registres d’état civil de Rouen compilés par Jules Simon), pour environ 3 000 enfants inscrits, 1 100 sont morts dans leur première année. Beaucoup d’enfants sont abandonnés, notamment quand les parents eux-mêmes meurent. Sur 100 enfants recueillis à l’hospice, 83 meurent avant l’âge d’un an. Quand la France était un pays du Tiers monde On pourrait poursuivre ad nauseam la description de ce tableau (l’histoire moderne en épluche les données avec beaucoup de soin)3. Il en ressort que la France brillante du temps où Alexandre Dumas écrivait Les Trois Mousquetaires était un pays du Tiers Monde, plus la science et l’Administration, et moins le soleil. Or cet état de la France (et de tous les pays occidentaux) était ignoré de la minorité instruite. Non pas volontairement passé sous silence mais bien ignoré4. L’Illustration publie, comme s’il s’agissait d’un moderne reportage dans quelque pays lointain, une série d’articles sur les maçons parisiens. On y lit qu’ils viennent presque tous du Limousin, ne savent pas parler français, vivent entre eux dans des sortes de dortoirs, n’ont aucune assurance contre les accidents et la maladie, ne peuvent échanger de nouvelles avec leur famille laissée au pays qu’à l’occasion de l’arrivée des apprentis et du départ des vieux : vers 1840, les ouvriers de Paris, tout français qu’ils sont, subissent un sort plus inhumain que nos modernes O.S. nord-africains. On n’en voit de trace dans les « mass media » de l’époque que tout à fait exceptionnellement. Encore est-ce sous la forme de récits exotiques, et par goût du pittoresque. À la même époque, rappelons que, hors d’Europe, l’esclavage, ou plutôt la traite ! était toujours une activité fructueuse et massive ; que la Chine, broyée au contact de l’Occident, allait de massacre en famine et révolte ; que les aristocrates russes jouaient leurs « ânes » (leurs serfs) aux cartes. Notre époque nous donne une impression de crépuscule d’abord parce que, pour la première fois dans l’histoire, les hommes commencent à voir les choses telles qu’elles sont. Puissions-nous voir les temps passés pour nous rendre courage ! Pourquoi les historiens ne nous disent-ils pas notre chance de vivre en ce temps ? Les Khmers rouges ont massacré la moitié de leur peuple, mais c’était sous le regard horrifié du monde5. Le stalinisme vit toujours, mais il a dû mollir. Même Hitler a dû déguiser l’holocauste et profiter du chaos qu’il avait déclenché, universellement tenu pour un chaos provisoire. Hérodote se trouve maintenant en livre de poche : lisez Hérodote quand le temps présent vous paraît dur à porter ou lisez seulement l’histoire et surtout la fin d’Israël telles que les conte la Bible. Même Hitler et Staline n’ont jamais eu l’idée de s’élever à eux-mêmes des stèles disant, comme ce fut pendant des millénaires l’usage en Mésopotamie : « Moi, Untel, le plus Grand, le plus Glorieux, j’ai détruit tant de villes, j’ai conquis et vendu leurs femmes et leurs enfants, j’ai massacré tout le reste, j’ai crevé les yeux et coupé les mains de tous ceux qui s’étaient levés contre moi… »6 Devant une vie devenue spectacle Je ne prétends pas que la descendance de Caïn se soit, dans le fond de l’âme, améliorée. Nous le savons bien, que le Royaume n’est pas de ce monde. Mais je dis que l’Histoire, qui n’est pas faite par les hommes, leur devient plus compatissante à mesure que passent les siècles et que s’accomplit le Grand Dessein qui nous dépasse. L’Histoire n’est plus seulement un coupe-gorge. Elle tourmente de plus en plus notre conscience, elle exerce toujours davantage notre patience, mais c’est que notre peau devient plus tendre. Peut-être serions-nous aussi cruels que les peuples anciens si nous étions dans leur état. Mais « les morts enterrent les morts » et cet état n’est plus le nôtre. La grande différence entre notre âge et tous les autres, c’est qu’il est devenu un spectacle. Notre vie est devenue spectacle. Dans sa fameuse Lettre à d’Alembert, Rousseau à qui nous devons tant d’idées fausses fait une remarque profonde : il n’est pas bon, dit-il en substance, que l’homme montre le secret de son âme aux innocents, car ce secret est un poison et les pervertira. Rousseau a beaucoup fait pour empoisonner l’âme moderne en montrant les secrets d’une âme malade dans les premiers livres de ses Confessions7. C’est à qui, depuis lors, inventera le poison le plus pervers pour effarer le badaud. Et finalement qu’en advient-il ? Que dans les pays où ce jeu a poussé le plus loin, les nôtres, notre Occident, se lève une obscure nostalgie d’innocence. C’est cette soif d’innocence qui nous tourmente. Comme Hésiode, et sous l’effet de la même ignorance, nous nous croyons de plus en plus méchants. Et assurément nous restons fils de Caïn. Mais du péché partagé dans l’universel spectacle où nous vivons, naît et grandit le besoin d’un grand changement intérieur. C’est ce besoin non assouvi qui nous accable. Me suis-je trompé quelque part en y réfléchissant ? Peut-être pas ! Et alors ne trouvez-vous pas étrange que, pour la première fois, les hommes apprennent à se voir tels qu’ils sont quand rien ne les retient d’être tels qu’ils se veulent, et que l’envie leur vienne de crier : « Assez » ? Peut-être bien ! Peut-être ne savons-nous pas reconnaître ce que nous voyons pour la première fois, bien que nous soyons depuis longtemps avertis. Peut-être nous trompons-nous de crépuscule…8 Aimé MICHEL http://www.france-catholique.fr/S-abonner-a-France-Catholique.html Chronique n° 365 parue dans F.C. – N ° 1872 – 29 octobre 1983 [|Capture_d_e_cran_2014-11-10_a_12-28-10.png|]
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 3 août 2015

 

  1. Ce texte a été écrit en 1983 mais c’est comme si rien n’avait changé. Les « peuples malheureux » sont toujours là, comme nous le rappellent la tragique actualité des migrants qui chaque jour traversent la Méditerranée au péril de leur vie. De 1978 à 1984 c’étaient les boat people fuyant le Vietnam qui faisaient l’actualité quotidienne : essentiellement des commerçants d’origine chinoise victimes de la nationalisation de leurs activités (mars 1978) dans un pays menacé par les Khmers rouges et attaqué par les armées chinoises (février 1979). Certes, les déplacements de population ne sont pas un phénomène nouveau, que l’on pense par exemple, en France, à l’exil des protestants suite à la révocation de l’édit de Nantes ou aux émigrés après la Révolution, qui allèrent les uns et les autres enrichir les pays voisins, mais ils ont pris une ampleur particulière au XXe siècle. Ce furent d’abord les guerres balkaniques de 1912-1913 qui chassèrent Grecs, Turcs et Bulgares, puis la Première Guerre mondiale qui déplaça Polonais, Baltes, Hongrois, Allemands, Arméniens surtout – on estime leur nombre à 600 000 –,et la Révolution d’Octobre qui força un million de Russes à l’exil. La montée du fascisme provoqua l’afflux de réfugiés venus d’Allemagne et de Sarre puis d’Autriche et, à partir de 1943, d’Espagne. La Société des nations tenta d’y répondre en créant en 1921 un Haut-Commissariat aux réfugiés, confié à un explorateur célèbre, le Norvégien Fridtjof Nansen. La Seconde Guerre mondiale marqua un paroxysme avec trente millions de personnes déplacées entre 1939 et 1945. La plupart furent rapatriées avec l’aide des Nations unies mais plusieurs centaines de milliers de réfugiés refusèrent d’être rapatriés tandis que de nombreux autres arrivaient des pays de l’Est ou des zones d’occupation soviétique. Ainsi fut créée en 1949 le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dont l’administration était financée par l’ONU mais dont les actions dépendaient des contributions volontaires des États-membres. Ce HCR était le résultat d’un compromis entre les pays de l’Est hostiles à une protection internationale des réfugiés, les non Européens qui pensaient que le phénomène allait disparaître, et les Européens bien moins optimistes. La suite de l’histoire montra que c’étaient ces derniers qui avaient raison car le phénomène qui était considéré comme purement européen prit une extension mondiale. Il y eut la décolonisation (Algérie, Afrique australe, colonies portugaises d’Afrique ; sur ces dernières et le contexte au Portugal même voir la chronique n° 215, Pluralisme normalisé – La Révolution des Œillets vue de France, 23.07.2012) suivi des atteintes aux droits de l’homme des pays décolonisés. Il y eut la permanence des conflits armés provoquant d’énormes mouvements de population (exode de 10 millions de Bengalis en Inde lors de la guerre en l’Inde et le Pakistan en 1971 ; exode de 3 millions d’Afghans en 1980 à la suite de l’invasion soviétique, voir la chronique n° 371, De la résistance française à la résistance afghane. Ah ! que l’histoire est rebelle – Qu’est-ce que le stalinisme ? 06.07.2015 ; Afrique australe, Amérique centrale..). Il y eut enfin la pauvreté, la famine, les catastrophes provoquées par la désertification ou la déforestation, tandis que le changement climatique en cours laisse présager une aggravation de ces causes… Le problème des réfugiés est, par excellence international. Ainsi, les réfugiés de la mer, jadis de la mer de Chine, aujourd’hui de la Méditerranée, doivent être sauvés conformément aux droit et usages maritimes ; plusieurs États sont concernés : l’État d’origine (quand il existe encore), l’État du pavillon, l’État où le navire effectue sa première escale après le sauvetage et, le cas échéant, l’État qui offre une possibilité de réinstallation. Traditionnellement régis par le droit d’asile, d’origine religieuse puis philosophique, les réfugiés, avec l’avènement des États-nations, ont progressivement relevé du droit international. Aujourd’hui le statut des réfugiés est fixé par une convention des Nations unies de juillet 1951, complétée en 1967, et 102 États ont signé l’un ou l’autre de ces deux traités. Pour obtenir le statut de réfugié, quatre conditions sont requises : que le demandeur ait franchi une frontière; qu’il ait été persécuté (ou qu’il risque de l’être); que cette persécution porte atteinte à ses droits fondamentaux; qu’il ne puisse de ce fait se réclamer de la protection de l’État où il réside ou dont il a la nationalité. C’est fort limitatif mais, en pratique, l’ONU a rapidement invité le HCR à assimiler les réfugiés de guerre ou de violences aux réfugiés stricto sensu. Les femmes qui constituent la majorité des réfugiés, souvent victimes d’agressions, de viols ou contraintes à la prostitution, ainsi que les enfants, surtout non accompagnés de leurs parents, posent des problèmes spécifiques. La règle principale (non écrite) du droit international des réfugiés est le principe fondamental de non-refoulement : il interdit le renvoi d’une personne, y compris par la non-admission à la frontière, dans un État où sa vie et sa sécurité pourraient être en danger. Toutefois, il faut souligner que les migrants économiques, qui recherchent un travail qu’ils n’ont pas dans leur pays d’origine ou de meilleures conditions de vie, ne peuvent prétendre au bénéfice d’une protection internationale car ils sont censés bénéficier de la protection de l’État dont ils ont la nationalité. Les pays riches sont particulièrement vigilants sur ce point en raison de leurs difficultés économiques et des réactions xénophobes de leurs populations. Il faut reconnaître que le système de protection et d’assistance internationales aux réfugiés, s’il a le mérite d’exister, se révèle souvent défaillant et se trouve aujourd’hui en crise profonde. Le HCR ne dispose pas des moyens nécessaires à la mise en œuvre de véritables solutions durables. L’arrêt des persécutions, troubles, guerres, etc., est seul capable de mettre fin aux flux de réfugiés mais il échappe évidemment à son action. La meilleure solution, une fois la paix revenue, serait le rapatriement volontaire des réfugiés. Est-ce utopique ou exceptionnel ? Non, selon Pierre Bringuier, qui est secrétaire général de l’Institut français du droit humanitaire et des droits de l’Homme et auteur de l’article « Réfugiés » de l’Encyclopædia Universalis. En effet, les réfugiés ont souvent fini par revenir dans leur pays d’origine. Ce fut le cas de la grande majorité de la population déplacée en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale et de celle du Bangladesh après la guerre indo-pakistanaise.
  2. Villermé (1782-1863), médecin de formation, se fait connaître par son mémoire de 1820 sur « les prisons, telles qu’elles sont et telles qu’elles devraient être, par rapport à l’hygiène, à la mortalité et à l’économie ». Entre 1820 et 1830 il fait œuvre de statisticien en publiant plusieurs mémoires sur la mortalité à Paris. Il y « renverse un topos immémorial et fondamental de la culture universelle (l’impuissance de l’argent face à la mort) » en établissant au contraire « l’existence d’une relation directe entre l’aisance (donc l’argent) et la longévité ». (Ce travail audacieux est mal accueilli à l’époque en raison d’un conflit de génération, « hypothéquant l’avenir d’une statistique expérimentale qui trouvera en Angleterre de meilleures conditions de développement », B.-P. Lécuyer et E. Brian, Math. & Sci. Hum. n°149, 38: 31-60, 2000). En 1834, l’Académie des sciences morales et politiques, dont il est membre, lui demande d’observer la situation des ouvriers. De février 1835 à août 1837 il parcourt la France, notamment du Nord et de l’Est, pour « interroger la misère sans l’humilier, observer l’inconduite sans l’irriter » dans le principal secteur d’activité industrielle, le textile. En 1839, il présente à l’Académie son Tableau sur l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. « En l’absence de tout mouvement syndical, il s’attache à dénoncer les abus du libéralisme. À propos du travail des enfants, il obtint un résultat important. Il écrivait en effet, pour donner un exemple stimulant, qu’“en Autriche, grâce à la sollicitude du gouvernement, on ne peut embaucher les enfants dans les manufactures avant l’âge de huit ans accomplis, et pour une durée qui ne doit pas dépasser dix heures par jour”. La situation en France était pire. Peu après la publication du livre de Villermé, la loi de mars 1841 intervint, limitant à huit heures par jour le travail des enfants de huit à douze ans. C’était une victoire pour celui qui avait étudié avec tant de cœur et de sincérité la condition des ouvriers. » (Jean Fourastié : Les écrivains témoins du peuple, J’ai Lu, 1964, p. 261). Vingt ans plus tard, en 1856, dans son poème Melancholia, Victor Hugo décrivait encore sombrement le sort des enfants d’usine et s’interrogeait déjà sur le sens du progrès : Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ? Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ? Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ; Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement Dans la même prison le même mouvement. Accroupis sous les dents d’une machine sombre, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre (…) Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre, Qui produit la richesse en créant la misère, Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil ! Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? » Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l’homme ! Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
  3. Aimé Michel a fait ce tableau saisissant de cette France pays du Tiers-Monde dans le chapitre 5 intitulé « La longue marche » de Histoire et guide de la France secrète, Encyclopédie Planète, 1968. « (…) nos mémoires, y écrit-il, ont perdu le souvenir des cinq générations citadines à qui nous devons notre délivrance et qui nous ont portés sur leurs épaules à travers l’enfer de la révolution industrielle. » Voir également la chronique n° 205, Sociologie du crime (07.11.2011). Toutefois, pour bien comprendre la révolution industrielle, cette phase du développement économique où il a fallu forger à main d’hommes, donc péniblement, l’univers de machines que nous connaissons, il faut la mettre en regard d’une autre révolution parallèle, décalée dans le temps, la transition démographique. Cette période d’amélioration des techniques et des conditions de vie d’une part croissante de la population a permis la survie d’un plus grand nombre d’hommes. Auparavant cette frange de la population mourait en bas âge ou lors des famines et épidémies récurrentes. Le maintien en vie de cette frange a été longtemps précaire et ses conditions de vie ne se sont durablement améliorées que sous l’effet conjugué de l’augmentation de la productivité agricole et de la diminution de la natalité. Cette période n’a donc pas été marquée par la paupérisation d’un peuple supposé préexistant, comme on pourrait le croire et comme on n’a pas manqué de le dire, mais par la survie d’une fraction de la population qui jusqu’alors n’atteignait pas l’âge adulte. Paradoxale situation où le progrès technique se traduit par une dégradation transitoire des conditions de vie de certains. Retenons qu’en ces matières les apparences sont souvent trompeuses. (Pour un autre point de vue sur la transition démographique, voir la note 5 de la chronique n° 229, La prévision mise en échec par la prévision – À propos d’une étude de F. Meyer et J. Vallée sur la croissance à long terme, 13.10.2014).
  4. Même appréciation chez Jean Fourastié : « On s’étonne de trouver la littérature des périodes noires indifférentes à des faits dont l’évocation nous bouleverse aujourd’hui. Ronsard parle de roses, de printemps et d’amour au moment où ses contemporains subissent la famine. Au temps de la Fronde [1648-1652], on trouve l’esprit précieux des ruelles, les salons de Mme de Rambouillet ou de Mlle de Scudéry, les sonnets, les exercices de galanterie, le Roman Comique de Scarron… » (Les écrivains témoins du peuple, J’ai Lu, 1964, p. 51). Fourastié a décrit avec précision dans plusieurs livres les conditions de vie de « l’ancêtre inconnu du lecteur d’aujourd’hui » et l’a illustré, dans le livre cité ci-dessus, de textes saisissants. En voici un dû à un certain Girardet de Noseroy en 1652, semblable à bien d’autres écrits en d’autres temps et d’autres lieux : « La postérité ne le croira pas ; on vivait des herbes des jardins et de celles des champs… Les charognes des bêtes mortes étaient recherchées… Enfin on en vint à la chair humaine… On découvrit dans les villages des meurtres d’enfants faits par leur mère pour se garder de mourir et des frères par leurs frères. » (p. 61). En France la dernière famine date de 1709. C’est donc l’une des dates les plus importantes de son histoire. Qui s’en souvient ? Notre mémoire collective oublieuse du passé ne garde guère, sinon dans quelques contes pour enfants, le souvenir des angoisses de ces périodes de pain cher qui se muaient ici et là en disettes et en famines pures et simples que la médiocrité des transports ne permettait pas de soulager. Oui, heureux temps que le nôtre.
  5. Les Khmers rouges ont été les maîtres du Cambodge, rebaptisé Kampuchea démocratique, d’avril 1975 (ils prennent Phnom Penh le 17) à janvier 1979 (les Vietnamiens les en chassent le 7). Durant ces 44 mois le régime khmer rouge, mu par une idéologie extrême, provoque la mort de 1,7 millions de personnes, soit plus de 20 % d’une population de moins de 8 millions d’habitants. En 1979, la population de Phnom Penh n’est plus que de 20 000 habitants alors que, grossie par l’arrivée de nombreux réfugiés, elle en comptait 2 à 3 millions en 1975 (sur cet épouvantable « auto-génocide », voir la note 3 de la chronique n° 224, Les vivants et la mort – Les bonnes et moins bonnes idées de M. Ziegler, 20.08.2012). Ce ne fut pas un accident de l’Histoire mais l’aboutissement de la logique infernale du communisme bien expliquée par Alain Besançon sur l’exemple de l’URSS (voir la note 6 de chronique n° 339, Utopiste qui veut faire mon bonheur, t’es-tu regardé dans un miroir ? – Comment l’illusion de savoir mua la philanthropie marxiste en son contraire, 10.11.2014).
  6. On trouve encore chez César le récit détaillé du triste sort qu’il se vante d’avoir fait subir à certaines villes gauloises qui avaient, dit-il, « trahi sa confiance ».
  7. Aimé Michel tenait l’influence de Rousseau pour particulièrement néfaste. Il s’en est plusieurs fois expliqué, par exemple dans la chronique n° 305, Anniversaire 1778-1978 : Voltaire et Rousseau – Le railleur contre le faiseur de système (12.08.2014). Dans la chronique n° 339 citée ci-dessus il mettait Rousseau dans le même sac qu’Hitler et Staline.
  8. On trouvera des réflexions complémentaires sur ce thème dans la chronique n° 332, La providence et les microscopes… – Certaines ignorances sont providentielles (07.04.2014).