Le sommet de février dernier à Rome n’a pas abordé le problème du harcèlement et de la maltraitance des adultes par le clergé. Il n’a pas abordé le problème, comme l’a reconnu le pape François, des subcultures gaies au sein du clergé. Il n’a pas beaucoup parlé de la vertu de chasteté. Le sommet de Rome a mis l’accent sur la protection des mineurs contre les agressions sexuelles perpétrées par des membres du clergé, c’est-à dire l’aspect le plus flagrant et le plus largement reconnu de la crise actuelle, qui est aussi la source principale de la perte de crédibilité de l’Église auprès des fidèles. En résumé, le sommet de Rome était un début.
Il existe, bien entendu, de très bonnes raisons de distinguer, à la fois moralement et juridiquement, l’abus d’un mineur et l’abus d’un adulte. Le fait est que l’Église aux États-Unis (bien que ce soit difficile à croire) prend une longueur d’avance sur le reste du monde en ce qui concerne la façon de gérer la maltraitance sexuelle d’enfants comme étant une affaire grave. Mais c’est également le cas (et les huit derniers mois auraient dû le préciser) lorsque l’Église dit qu’elle a une « tolérance zéro» à l’égard de la maltraitance des mineurs sans pour autant avoir la force de dénigrer ou de s’attaquer à la maltraitance de ceux qui viennent d’atteindre l’âge de la majorité. De là en résulte un manque de crédibilité.
Lorsque Theodore McCarrick a été accusé l’été dernier d’avoir abusé d’un garçon de dix-sept ans (la première accusation à son encontre impliquant un mineur), l’Église a agi rapidement. Mais bien sûr, McCarrick était accusé depuis des années d’avoir agressé des séminaristes « adultes » – deux diocèses ont payé des indemnités – et les répercussions pour McCarrick ont été légères et inefficaces. Il fut même autorisé un certain temps à vivre dans un séminaire.
Ce qui nous amène à une autre cause du manque de crédibilité : la réticence de l’Église à prendre en compte le fait que la grande majorité des personnes maltraitées, du moins aux États-Unis, ont été des hommes. Après 2002, la « question des prêtres gays » est devenue une troisième voie ecclésiastique. Aucun évêque ne souhaite être accusé de mener une chasse aux sorcières.
Selon de nombreux témoignages, il existe aujourd’hui un nombre important de prêtres catholiques – et probablement au moins quelques évêques – qui éprouvent de l’attirance envers les personnes du même sexe.
Pendant ce temps, les catholiques qui s’inquiètent d’un « lobby gay » dans l’Église sont souvent considérés comme des idéologues homophobes, car ils suggèrent que les abus sexuels commis par des personnes cléricales pourraient avoir un rapport avec des désirs sexuels désordonnés parmi le clergé. Un rapport de John Jay publié en 2011, concluant qu’il n’existait aucune relation de cause à effet entre l’homosexualité et la maltraitance de mineurs, semblait mettre un frein aux choses. Au moins pendant un certain temps.
Puis vint McCarrick et le rapport du grand jury1 de Pennsylvanie, suivi d’un été d’histoires troublantes d’abus et de subcultures homosexuelles dans des séminaires à Newark, Boston, Philadelphie et Lincoln. La question n’est soudainement plus réglée. Désormais, ce ne sont pas seulement les voix « conservatrices » habituelles qui demandent à l’Église d’examiner de plus près le lien entre le clergé homosexuel et la crise des abus.
En juillet dernier, le journaliste catholique Robert Mickens écrivait dans le Washington Post : « On ne peut nier que l’homosexualité est un élément clé de la crise des abus sexuels au sein du clergé (et maintenant du harcèlement sexuel). Avec un pourcentage aussi élevé de prêtres à orientation homosexuelle, cela ne devrait pas être surprenant. » Mickens ne défendait pas l’interdiction faite par l’Église d’admettre au sacerdoce des hommes aux tendances homosexuelles profondément ancrées. Mickens affirmait le contraire : l’Église avait aggravé la crise des abus en mettant à l’écart ces prêtres et séminaristes là.
Plus récemment, un groupe néerlandais appelé «Groupe de travail des pasteurs gays catholiques» a publié une lettre ouverte au pape François dans laquelle il écrivait: «Nous pensons que la crise majeure actuelle en ce qui concerne [les abus sexuels sur enfants et mineurs] est principalement le résultat de la désapprobation, de la répression, du déni et de la faible intégration de la sexualité, et en particulier de l’homosexualité, de la part de nombreux prêtres et au sein de notre Église dans son ensemble ».
En février, le New York Times a publié un long article sous le titre : « Ce n’est pas un placard. C’est une cage. Les prêtres catholiques gais parlent. » Comme Mickens et la lettre des prêtres néerlandais, le Times insiste sur le fait qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les tendances homosexuelles et la maltraitance d’enfants. Mais comme les autres, l’article du Times concède également qu’il existe de nombreux prêtres homosexuels, que cela a en quelque sorte contribué à la crise actuelle et que la solution ne consiste pas à empêcher les hommes homosexuels de rester dans la prêtrise ou dans les mettre à l’écart, mais plutôt de leur permettre de vivre « librement, ouvertement et honnêtement ».
Ils trouvent des moyens de s’encourager les uns les autres. Ils partagent des livres comme le livre révolutionnaire Construire un pont du père James Martin sur la relation entre les communautés catholiques et les communautés L.G.B.T.. Certains ont signé des pétitions contre des programmes de thérapie de conversion parrainés par une église ou se sont réunis lors de retraites privées après avoir trouvé le moyen de les dissimuler sur leur calendrier. De temps en temps, un prêtre peut même retirer son col et proposer de bénir officieusement le mariage d’un couple homosexuel.
Certains peuvent appeler cela une rébellion. Mais « ce n’est pas une cabale », a déclaré un prêtre. « C’est un groupe de soutien. »
Ces trois pièces représentent un changement de mentalité, qui consiste à nier le lien entre l’homosexualité et la crise des abus, et à tenter de normaliser ouvertement l’homosexualité au sein du clergé. En d’autres termes, des enjeux plus importants ont été soulevés.
Pour sa part, le pape François a réitéré (plus d’une fois) l’interdiction faite par l’Église d’admettre aux séminaires des hommes aux tendances homosexuelles profondément ancrées. Il aurait dit aux évêques italiens : « Si vous avez le moindre doute, il vaut mieux ne pas les laisser entrer. » Il a contrarié des activistes en disant à propos de prêtres et de religieux homosexuels : « Il vaudrait mieux qu’ils quittent le ministère ou la vie consacrée, plutôt que de vivre une double vie. »
Le sommet de février dernier à Rome s’est concentré sur la protection des mineurs contre les abus sexuels. C’était un début. Mais c’était, à bien des égards, très loin de la fin.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/02/28/the-stakes-are-being-raised/
* Image : Des activistes à Dublin, en Irlande, en août 2018 [Clodagh Kilcoyne, Reuters]
Stephen P. White est professeur d’études catholiques au Centre d’Ethique et de Politique Public à Washington.