Le 17 juin 1899, Mère Aimée de Songuis, supérieure de la Visitation à Caen, écrit aux sœurs de Léonie, carmélites à Lisieux. La troisième de la famille Martin vient à nouveau d’entrer au monastère, après deux essais infructueux comme visitandine. Mais le regard porté par la Supérieure se veut rassurant : « Notre chère petite Sœur est bien, bien heureuse… Soyez donc sans inquiétude, notre très aimée Sœur est bien dans sa voie, nous le constatons chaque jour davantage. Elle prend l’esprit de notre sainte vocation avec une très grande facilité et fera une bonne, une très bonne religieuse. Depuis trois semaines surtout, il y a en elle une véritable transformation. Votre chère petite sainte (Thérèse) n’y est certainement pas étrangère. »
De son côté, six ans plus tard, le 1er octobre 1905, Léonie confirme elle-même à sa grande sœur Pauline, devenue Mère Agnès de Jésus, son évolution spirituelle remarquable : « Je me regarde comme le petit ânon du monastère et certes mon sort est digne d’envie : que de renoncements, que de pratiques connues de Jésus seul, que d’âmes je peux sauver par ces petits riens qui sont mon humble moisson, toute petite comme moi. Oh ! les âmes de prêtres, surtout, elles ont tout mon attrait… »
Un chemin tortueux
Mais pour en arriver là, quel chemin tortueux a-t-elle emprunté ! Il existe bel et bien un mystère « Léonie Martin ». Qui est-elle, celle qui peina tant à trouver sa vocation ? Troisième de la fratrie Martin, Léonie a quatorze ans lors du décès de sa mère, à Alençon en 1877. Pour son père Louis, elle est « Léonie qui continue à être bonne ». Zélie, sa mère, la cite pour sa part dans un tiers de ses 217 correspondances, faisant référence à elle tantôt comme « ma petite Léonie », ou encore « ma Léonie », comme pour signifier son amour inconditionnel de mère. Mais parfois ce sera aussi : « Ma pauvre Léonie ». Un qualificatif qui semble traduire une triple réalité.
D’abord la compassion maternelle pour une enfant dont Zélie voudrait voir le comportement et l’intelligence s’éveiller. Elle écrit six mois avant sa mort : « Je veux bien que Dieu ne m’enlève pas mon mal et en mourir, mais qu’il m’accorde assez de temps pour que Léonie n’ait plus besoin de moi » (CF 195, mars 1877). Ensuite, l’impuissance d’une maman à éduquer son enfant, c’est-à-dire à l’élever au-delà d’elle-même, de ses limites, pour lui permettre d’avancer dans la vie avec des bases humaines et spirituelles solides.
Enfin, la foi sans mesure en la puissance divine et en l’intercession de la Vierge Marie. À cet égard, profonde est la demande de Zélie à sa propre sœur, Marie-Dosithée, visitandine au Mans et proche de la mort : « Je lui ai dit : Aussitôt que tu seras en Paradis, va trouver la Sainte Vierge et dis-lui : « Ma bonne Mère, vous avez joué un drôle de tour à ma sœur en lui donnant cette pauvre Léonie ; ce n’était pas une enfant comme cela qu’elle vous avait demandée ; il faut que vous répariez la chose… » » (CF 182, janvier 1877).