Carême: au désert - France Catholique
Edit Template
Année sainte 2025 : la porte de l'espérance
Edit Template

Carême: au désert

Copier le lien

Le désert est l’endroit le plus dénudé et aride de la terre. Il lui manque les deux sources essentielles à l’épanouissement de la vie: l’eau et la végétation. Il est maigrement peuplé, et n’est généreux envers personne. C’est un lieu privé d’espoir, n’évoquant que la mort. C’est l’endroit idéal pour faire carême.

Chaque année, imitant notre Seigneur, nous nous retirons dans le désert pour quarante jours — période liturgique consacrée à la conversion personnelle et à la préparation pour célébrer les grands mystères de notre rédemption. Mais pourquoi faut-il faire précéder la contemplation de l’espérance finale par six semaines en un lieu qui en est privé? Comment un tel espace peut-il faire naître la foi ?

La réponse se trouve dans cet autre mystère qui nécessita l’Incarnation et fut vaincu à Pâques: le péché. Benoît XVI écrivait: « le désert, image contraire du jardin, devient lieu de réconciliation et de guérison. » La mort — symbolisée par le désert — est la conséquence du péché, résultat de notre propre choix à l’encontre de Dieu.

Pour nous réconcilier avec Dieu il fallait que la mort fût vaincue, et le péché expié. Et pour celà « Celui qui n’avait pas connu le péché, Il l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu.» (2 Co, 5:21).
Tout en étant rachetés par le sacrifice du Christ, nous devons toujours lutter pour vaincre le péché présent dans nos vies. Ce défi perpétuel prend un nouvel élan lors du carême, quand nous brandissons l’arme spéciale du jeûne pour « …dépouiller le vieil homme qui va se corrompant… pour vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtir l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité.» (Ep, 4:22 – 24).

Comme l’enseigne Dom Prosper Guéranger, grand-père du Mouvement Liturgique, « le jeûne est une abstinence que l’homme s’impose volontairement en expiation du péché. » Le péché apporte la peine et la mort au corps et à l’âme, et donc ce n’est que lorsque l’âme mobilise la force du corps contre le péché par le jeûne que le péché peut être vaincu.

L’ultime expiation du péché fut la cause de la pire souffrance du corps et de l’âme du Fils innocent de Dieu sur la croix. Imitant le Christ nous infligeons à nos corps et nos âmes la souffrance du jeûne.

C’est là le paradoxe du péché et, en même temps le cœur de la pratique de notre carême. Créés par l’amour de Dieu et profitant des biens dispensés sur terre, nous risquons d’être pris par ces biens, objets parfois d’un péché d’orgueil, tout comme l’ont été nos parents au paradis terrestre. Renonçant provisoirement par le jeûne à ces biens, nous souffrons physiquement de leur absence comme d’un moyen pour combattre le péché.

Le jeûne fait souffrir, mais de même que l’effort physique amène des douleurs musculaires, il est bien destiné à nous faire souffrir. Et tout comme avec l’effort physique, plus grande sera la peine offerte à Dieu, plus grand sera le bénéfice spirituel en récompense.

Le désert est donc l’emplacement choisi pour le carême non seulement parce qu’il est l’image de la souffrance et des conséquences du péché, mais aussi parce qu’il est le lieu de privation des biens de ce monde. Nous retirant par l’esprit dans le désert nous devenons conscients que les biens matériels ne peuvent nous donner une ultime satisfaction. Notre véritable aboutissement est en Dieu qui, par la résurrection, nous fait sortir du désert et nous mène au paradis éternel.

Mais pour nous distraire de notre pratique du carême le monde fait paraître le désert spirituel comme un jardin mensonger où tant de tentations sont devenues distractions. La permanente invasion des responsabilités, les amusements, et les joujoux électroniques à notre disposition ont repoussé la pratique de notre foi aux limites de nos existences: la privation de chocolat ou de télévision n’est plus qu’un geste parmi tant d’autres dans une vie active au lieu d’une action orientée vers un carême mieux compris centré sur Dieu et notre conversion.

La société et l’Église nous aidaient jadis à pratiquer le carême, participant à la désertification spirituelle: l’empereur Constantin interdisait la pratique des armes le vendredi, Théodose ajournait les procès en cours, le roi Édouard le Confesseur interdisait le port d’arme. Plus de distractions ni de spectacles, plus de chasse ni de sport. L’Église exigeait un jeûne strict pendant les quarante jours de carême et interdisait la célébration des mariages chrétiens.

Ces temps-là sont passés, et ne reviendront sans doute pas dans un avenir prévisible. Le défi que nous devons relever, nous, croyants et pélerins par l’esprit, est de créer nos propres déserts parmi toutes les distractions. Nous pouvons suivre l’exemple de nos grands-anciens catholiques en faisant de notre carême un peu mieux que nous priver d’un aliment préféré : nous pouvons désertifier notre environnement. Par le jeûne et la privation d’amusements chaque jour de carême nous nous unirons au Christ en Sa Passion, conscients avec peine et cependant pleins d’espérance que le seul chemin vers le Dimanche de Pâques passe par le Vendredi Saint.

« Le salaire du péché, c’est la mort » (Rm 6:23) et la mort est la sanction ultime. Ce n’est qu’en nous laissant goûter à la mort par le jeûne que nous pouvons combattre et réparer nos péchés. Ironie divine, la nudité du désert produit un sol fertile pour le repentir de nos fautes et la renaissance par la Résurrection. Nous ne pourrons marcher sur le chemin de la réconciliation et de la guérison que si nous passons d’abord par les tribulations dans le désert.

— –

http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/lent-into-the-desert.html

NDT: : texte français des citations bibliques tiré de la Bible de Jérusalem.

Tableau : La tentation au désert – Briton Rivière, 1898.