Dans son dernier essai (Le nouveau pouvoir) Régis Debray conteste une formule du philosophe Paul Ricœur, selon qui « l’Europe a entièrement éliminé les rapports de force pour résoudre les conflits ». Et de rappeler que les Yougoslaves, les Irlandais, les Grecs et les Albanais sont très loin de souscrire à un tel optimisme. Et que dire des Catalans, ou même des Espagnols, après la dure journée vécue hier avec l’intervention brutale de la police dans les bureaux de vote de la Catalogne, sur ordre du gouvernement de Madrid ? Il est vrai que, pour reprendre l’expression de l’éditorialiste de Libération, les images qui ont tourné en boucle toute la journée n’ont pas été à l’avantage du pouvoir central. Des policiers qui brisent des portes d’école, à coup de masse, de coupes boulons et tentent de confisquer les urnes, cela fait plus que désordre. On opposera à ces images l’illégalité du référendum et le coup de force des indépendantistes catalans. Reste qu’il y a là un conflit grave, dont beaucoup redoutent qu’il ne fasse tache d’huile à travers l’Europe.
C’est vrai qu’en Belgique, en Italie, en Grande-Bretagne, en France même, existent des tendances séparatistes qui jouent contre l’intégrité des nations. C’est un des paradoxes de notre temps en pleine mondialisation. Alors que le monde s’unifie, notamment avec les flux économiques, le local prend en même temps sa revanche. Ce n’est sûrement pas illégitime, dès lors qu’il s’agit de reconnaître la diversité culturelle du monde, avec les richesses qu’elle comporte. Mais en même temps, l’éventuelle dislocation des nations constituées par l’histoire n’est sûrement pas une bonne nouvelle. Est-il possible de trouver un moyen terme entre la nécessaire unité et ce qu’on appelle la subsidiarité, c’est-à-dire le partage des compétences et des pouvoirs aux différents échelons de la vie sociale et politique ?
Il est très difficile de donner une réponse univoque face à une telle complexité, chaque nation correspondant à une temporalité particulière. Mais en ce qui concerne nos voisins et amis espagnols et catalans, on ne peut que souhaiter un compromis qui sauvegarde la paix d’une nation constituée historiquement avec des régions assumant leurs originalités incontestables.