La gauche accuse la droite de racisme ; la droite accuse la gauche d’instrumentaliser le problème. Il n’est pas question, dans ce constat de l’hebdomadaire américain « Newsweek », de la France, mais des Etats-Unis.
L’Amérique est en campagne électorale. Elle s’est passionnée ce mois d’avril au sujet de la mort d’un jeune Noir tué par un vigile d’origine semi-hispanique.
Le président Obama avait été unanimement salué pour son analyse dépassionnée du problème racial aux Etats-Unis lors de la campagne électorale précédente il y a quatre ans, le 20 mars 2008 à Philadelphie. Il avait dû se justifier alors de son admiration pour un pasteur noir de Chicago qui était connu, par ailleurs, pour proférer un discours qualifié de « raciste », c’est-à-dire en l’occurrence « anti-blanc », plutôt fréquent dans des églises noires. C’est le dimanche matin que l’Amérique est le plus ségréguée. Il y a peu de mélange au sein des églises.
Le meurtre de Trayvon Martin a rappelé à tous qu’Obama ne disposait pas d’une baguette magique, que l’Amérique n’était pas entrée sous son mandat dans un monde « post-racial », un « monde sans race ». Un sondage publié par le même hebdomadaire « Newsweek » (16 avril 2012) révèle l’écart persistant entre Blancs et Noirs : seuls 19% des Blancs considèrent qu’il y a un problème racial aux Etats-Unis contre 60% des Noirs. Cela veut dire que 81% des Blancs ne sont pas conscients d’un problème de « racisme », c’est-à-dire que, quelque part, ils sont encore « racistes ».
Les Blancs sont aussi moins nombreux à avoir rencontré du « racisme » à leur égard, alors que c’est monnaie courante pour les Noirs — avec certes de notables progrès. Se poser la question de savoir ce que « blanc » veut dire ne vient pas naturellement à l’esprit si vous n’avez pas vécu dans une société marquée par l’esclavage ou dans certaines banlieues. Dans le cas de la mort du jeune Trayvon, le vigile est lui-même issu de l’immigration sud-américaine et passerait difficilement pour « blanc de souche ». Les tribunaux auront à juger du point de savoir si cet homicide avait ou non une connotation raciale.
Le débat électoral français, ces derniers jours, tend à ressembler à ce qui continue de diviser l’Amérique. C’est un grave recul, car la société française est, de mon expérience à travers le monde, la moins raciale ou « raciste » de toutes. Il est significatif que le prestigieux hebdomadaire « The Economist » (27 avril 2012) ait titré son article consacré au vote Le Pen : « 18% des français sont-ils racistes ? » pour répondre que c’est un peu plus compliqué.
« Raciste » est considéré comme une injure, tout comme « fasciste ». Cela permet d’occulter tout débat, non sur la race considérée en soi, mais sur les définitions ou les classifications raciales, sur les manières d’appréhender le problème, donc aussi sur l’anti-racisme.
J’ai consacré un ouvrage au phénomène sur le plan international, en partant de mon expérience au Rwanda. 1 Ma conviction est que l’on ne peut aborder le problème racial, et donc l’accusation de « racisme », que par un examen de conscience personnel, intime, un tête-à-tête avec soi-même. « Raciste, moi ? ».
Or, avant tout inconscient, « narcissisme des petites différences » excellemment diagnostiqué par le bon docteur Freud, et en dépassant le vécu quotidien, le racisme est inscrit dans l’organisation de notre monde tel qu’il est, le « système-monde », les stratégies, les politiques, c’est-à-dire en raison. Ce n’est pas un phénomène irrationnel, primaire, absurde, immoral, mais bien intellectuel, logique, amoral, « au-delà du bien et du mal ».
Je me permets une citation des toutes premières lignes de l’introduction :
« Le racisme est la chose au monde la mieux partagée. Et la plus durable. Car la plus natu-relle, la plus humaine. Les races, dont on sait qu’elles n’existent pas, disparaîtront peut-être un jour. Quelle sera la dernière à sombrer, la blanche ou la noire ? Mais le racisme, lui, ne disparaîtra pas. Il apparaît objectivement en recul depuis les débuts de l’Humanité, depuis Caïn et Abel. Mais à mesure que la distance se réduit, que la condamnation est universelle, il s’exacerbe, il prend tous les masques possibles et imaginables, il peut devenir fou.
L’antiracisme a bien du mérite, mais son combat est toujours à recommencer. Il ne parvient jamais à ses fins. Quitte à remettre en cause profondément ses méthodes et ses objectifs. »
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