7- La vocation sacerdotale
Pour délimiter le sujet, il faut d’abord préciser le vocabulaire. Par le baptême, en effet, tout chrétien a vocation à la sainteté (Romains 1,7 et le chapitre 5 de Lumen Gentium). Ce n’est pas de cela que nous allons parler. Nous ne parlerons pas non plus du sens du mot vocation dans le langage courant qui va depuis le choix d’un métier ou d’un style de vie par une inspiration personnelle, jusqu’à des emplois totalement profanes : ne dit-on pas qu’une région est à vocation agricole ? Nous cherchons à cerner cet appel que Dieu adresse à certains de se mettre au service du Royaume dans le ministère presbytéral. Ce qui exclut aussi la vocation religieuse, même si nous découvrirons que ces deux vocations ont beaucoup de choses en commun.
I – Approche biblique
* Dans l’Ancien Testament, les récits de vocation sont nombreux et difficiles à réduire à un schéma unique. Avant de les analyser, chacun avec sa richesse propre, on peut donner comme synthèse la certitude suivant : Tout au long de l’AT, des personnages sont interpellés par Dieu dans une démarche incommunicable qui les distingue de l’ensemble du peuple (A. Légasse).
Nous laisserons de côté l’appel collectif du peuple chois par Dieu, aspect qui va être majoré dans le NT par l’appel universel au salut qui en est une caractéristique.
¤ À l’origine du peuple de l’Alliance, il y a Moïse. Le livre de l’Exode prend soin de nous donner son enfance pour souligner l’importance de son rôle, mais l’affaire se noue au moment du Buisson ardent (Exode 3). L’appel commence par un signe extérieur, le buisson qui brûle sans se consumer, mais c’est dans le dialogue avec Dieu que tout se joue. Dieu se présente, en quelque sorte (Dieu de tes pères…) avant de répondre à la question audacieuse de Moïse Quel est ton nom ? Les autres récits de vocation, bien inscrits dans le cadre de l’Alliance n’auront pas besoin de cette précision. Triple dérobade de Moïse : son indignité (Qui suis-je ?…), son ignorance du nom de Dieu, son incapacité de parler (ch. 4). Dieu y répond à chaque fois par une précision : un signe pour être reconnu par ses compatriotes (à vrai dire le texte ne dit pas clairement quel est ce signe), la réponse de Dieu qui accepte, avec nuance, de dire son nom, trésor inestimable de la révélation du Sinaï, enfin mission conjointe d’Aaron qui saura parler. Cette vocation est en même temps un envoi en mission, conduire le peuple d’abord au désert, puis en terre promise.
¤ L’appel du jeune Samuel, en 1 Samuel 3, est présent à tous les esprits. On y remarquera l’appel direct de Dieu, mais pas tout de suite identifié, le rôle du prêtre Éli pour aider à ce discernement, l’invitation à une totale disponibilité : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute », enfin son rôle futur de premier prophète : « La parole de Samuel fut pour tout Israël comme la parole de Dieu » (4,1).
¤ Moins connu, et très différent, est l’appel d’Élisée par Élie.
(Au retour de l’Horeb), Élie trouva Élisée fils de Shaphat, tandis qu’il labourait avec douze paires de bœufs, lui-même étant à la douzième. Élie passa près de lui et jeta sur lui son manteau. Élisée abandonna ses bœufs, courut derrière Élie et dit : » Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, puis j’irai à ta suite. » Élie lui répondit : » Va, retourne, que t’ai-je donc fait ? » Élisée le quitta, prit la paire de bœufs et l’immola. Il se servit du harnais des bœufs pour les faire cuire, et donna à ses gens, qui mangèrent. Puis il se leva et suivit Élie comme son serviteur. (1 Rois, 19,19-21)
L’appel est extérieur, par le geste d’Élie qui jette son manteau, ce manteau qui lors de son enlèvement sera le signe que sa puissance prophétique passe à Élisée ; la réponse, moyennement spontanée d’Élisée (à rapprocher de l’un des trois appels sans succès de Jésus en Luc 9,61) ; le geste liturgique d’immoler son outil de travail pour concrétiser son changement de vie ; enfin la mention qu’il suivit Élie pour se mettre à son école, et plus tard lui succéder.
¤ Nous connaissons la vocation d’Isaïe dont nous reprenons un élément à chaque messe, lors du chant du Saint, saint, saint…..Là nous sommes en présence d’une expérience qui mêle mystique et liturgie : prêtre du temple de Jérusalem, Isaïe, sans doute au cours de son service liturgique, est saisi par cette radicale différence du Dieu de l’Alliance, qu’il qualifie de trois fois saint, qui contraste avec sa propre expérience de pécheur, qu’il localise sur ses lèvres, lui qui va être qualifié pour parler au nom du Saint d’Israël. La mission est présente dans cette vision, et la réponse est positive : « Qui enverrai-je, qui sera notre messager ? — moi, je serai ton messager, envoie-moi .»
¤ Le contraste est appuyé avec la vocation de Jérémie :
La parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : Avant même de te former dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant même que tu viennes au jour, je t’ai consacré ; j’ai fait de toi un prophète pour les peuples.
Et je dis : « Oh ! Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, car je ne suis qu’un enfant! » Le Seigneur reprit : Ne dis pas : « Je ne suis qu’un enfant ! » Tu iras vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu diras tout ce que je t’ordonnerai. Ne les crains pas, car je suis avec toi pour te délivrer, déclare le Seigneur.
Alors le Seigneur étendit la main, il me toucha la bouche ; et me dit : Ainsi, je mets en ta bouche mes paroles. Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les peuples et les royaumes, pour arracher et abattre, pour démolir et détruire, pour bâtir et planter. (1,1…10)
Le cadre n’est pas précisé, liturgique ou intérieur ? mais il s’agit bien de la voix du Seigneur. Il est ajouté l’idée d’un projet divin, d’une mise à part (consécration) dès le sein de sa mère. La différence notable, avec la réponse immédiate d’Isaïe, est dans la réaction de Jérémie qui met en avant son incapacité. Dieu n’en tient pas compte et le confirme dans son rôle par le geste de toucher la bouche, pour signifier le don de la parole et qui rappelle celui fait en faveur d’Isaïe.
¤ La vocation d’Ézékiel (2,1-10) est présentée dans le cadre d’une vision, mais passe rapidement à l’envoi, avec cette belle image du rouleau de la Parole qu’il faut manger, pour s’en imprégner et la dire aux autres. Pas de réaction du prophète.
¤ Le livre d’Isaïe comporte deux autres récits de vocations qui sont de la plus grande importance, à cause de leur écho dans le NT.
Au chapitre 61, une autre main que les chapitres précédents, nous donne, à la première personne, un récit de vocation : L’esprit du Seigneur est sur moi. Jésus s’appliquera cet oracle lors de sa prédication dans la synagogue de Nazareth (Luc 4).
Ce qu’on nomme les Chants du Serviteur, en Isaïe 42, 19, 50 et 53, mettent en scène un personnage mystérieux. En 49,1, il fait état de son appel dès le sein maternel. La suite du texte confirme cet envoi non seulement pour parler, mais pour agir de façon décisive pour le bien du peuple. Le Christ, implicitement ou explicitement, fera souvent référence à ce personnage. Nous verrons que cet aspect à la foi individuel et collectif apporte une lumière sur la théologie de la vocation.
Si on peut risquer une synthèse, nous dirons que les éléments suivants sont toujours présents : – une initiative divine, dans des cadres variés, liturgiques ou individuels,
– un appel qui n’est pas tributaire des talents personnels. Ce qui permet à certains d’oser se dérober (Jérémie et aussi Amos qui n’était pas prophète, mais bouvier et qui a reçu l’ordre d’aller à Béthel, voir Amos 7, 14 qui fait écho à la phrase du chapitre 3 : Le Seigneur a parlé, qui ne prophétiserait ?).
– l’appel est toujours lié à un envoi : pas de vocation sans mission
– la vocation d’un individu est en lien avec la vocation du peuple, soit parce qu’il doit remettre le peuple en accord avec son Dieu et sa vocation de peuple de Dieu, soit parce qu’il doit participer au rôle sacerdotal du peuple, être le témoin de Dieu pour les autres peuples. C’est ce qui explique le caractère complexe du Serviteur évoqué au paragraphe précédent.
* Les appels dans les Évangiles nous sont familiers. On les trouve en Marc 1,16-20, Matthieu 4,18-22 et Luc 5,1-11. Ils ont en commun l’initiative de Jésus. Marc y insiste en disant ceux qu’il voulait et aussi en précisant qu’il les fit Douze. Remarquer les références appuyées aux appels de l’AT que nous avons étudiés. La mission est présente tant par le jeu de mots sur pêcheurs d’hommes que par l’envoi pour expérimenter avec joie la mission, ce qui se fera plus tard. La mention pour être avec lui revient plusieurs fois. Il faut faire aussi place aux appels qui n’ont pas eu de suite (Luc 9,57-62), scènes ou se mêlent les initiatives soit de Jésus soit des individus qui veulent le suivre, mais qui ont en commun la dérobade devant les exigences du Seigneur. Il faut compléter ce bref tableau par deux phrases capitales : la radicalité du renoncement : Nous qui avons tout quitté pour te suivre (Matthieu 19,27) et la nécessaire participation à la Passion : Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire ? (Matthieu 20,22)
Jean fait une composition plus élaboré de ces appels (1,29-34) : rappel de la présence de Jean le Baptiste, geste complexe de Jésus qui se retourne et interroge, demande des disciples qui cherchent un maître et une demeure, invitation toute simple : venez et voyez , et, en finale, la suite du Christ. Il faudra compléter le tableau par l’appel original de Nathanaël, Jésus lisant dans le secret de son cœur.
Voici quelques éléments de synthèse : appel profondément individuel, lié à une expérience très forte (pêche miraculeuse, mission réussie), lien avec la personne du Christ, abandon des biens et des activités antérieurs. Un autre aspect rejoint ce que nous avons constaté dans l’AT, l’appel individuel n’empêche pas le lien avec un groupe, un collège où s’exercera la mission.
* Dans les Écrits apostoliques, nous pouvons faire deux constatations : la place importante donnée à l’appel tout particulier de Paul (3 récits de conversion dans le Actes + Galates 1,11-24). Lui-même se qualifie plusieurs fois d’appelé et d’envoyé ; en contrepoint l’absence de notation sur un quelconque appel tant pour Timothée ou Tite ou Sylvain, ou pour les presbytes que Tite doit établir en Crête (1,3).
II- Donnée historiques
Dans les écrits patristiques la perspective est un peu brouillée dans la mesure où nous avons des textes d’évêques qui ont tous été moines avant d’être évêques, comme c’est encore la règle dans les Églises d’Orient. Ils ne font guère état de la notion de vocation dans le cas du sacerdoce. Dans son Dialogue sur le sacerdoce, Jean Chrysostome fonde son exposé sur les couples « dignité – indignité » et « honneur – charge ». Augustin, après sa conversion veut vivre une vie retirée (vocation plutôt du genre monastique) à tel point qu’il fuyait les villes où manquait un évêque, pour finalement être rattrapé à Hippone , où il institue d’ailleurs une vie communautaire avec les prêtres. Que dire d’Ambroise acclamé comme évêque alors qu’il n’était que catéchumène. Beaucoup de moines ont été tirés de leur monastère pour assumer une charge pastorale. Ce procédé peut nous apparaître une contrainte, mais on manque d’éléments pour en juger. Ce qui apparaît c’est que l’appel à la prière et à la vie retirée ne semblait pas opposé à la charge pastorale. Mais le détail du recrutement des prêtres nous échappe. On peut cependant noter que l’exigence, très ancienne, de continence, au point que ceux qui étaient mariés devaient abandonner leur épouse, laisse supposer une disposition intérieure assez exigeante. Saint Grégoire, lui aussi d’abord moine, se plaint que sa charge, passablement profane à cause de la déficience de ce que nous nommerions l’État, l’empêche de remplir valablement son rôle de prédicateur et de guide spirituel.
La prolifération des prêtres au cours des siècles du Moyen-Âge avait comme cause la forte demande de messes pour les confréries ou les défunts, d’où le nom d’altaristes donné à ceux qui n’étaient ordonnés que pour cela, sans discernement supplémentaire. Il y eut aussi un réel désir de promotion sociale qui a duré tant que le clergé était un corps reconnu et estimé. En France, on peut dater la fin de cet aspect avec la séparation de l’Église et de l’État en 1905.
D’où les réactions qui ont marqué la volonté de donner à l’état de prêtre dignité et exigence. La réforme grégorienne (Grégoire Vll : 1075-1083) supprime l’investiture laïque. En plus, pour notre propos, elle lutte contre le concubinage des prêtres (terriblement répandu) à tel point que certains pensent actuellement que la continence demandée aux prêtres ne date que de ce pape, alors qu’elle présentée comme une donnée de tradition par le Concile d’Elvire en 306 ! La victoire ne fut pas totale et le Concile de Trente (23° session de 1563) dut appuyer très fort sur la nécessité d’une formation intellectuelle et spirituelle des prêtres (institution des séminaires). Il n’a pas épargné les évêques, trop peu souvent à hauteur de leur charge, par exemple en exigeant qu’ils résident dans leur diocèse. Il a mis aussi en avant la dignité du prêtre. L’École française de spiritualité va en fournir le plus bel approfondissement.
C’est dans ce cadre de la formation des prêtres, surtout au 19° siècle que va s’approfondir l’étude de la vocation. On assiste à une mise en avant de l’appel intérieur, et aussi de l’attrait (influence du Romantisme). D’où le débat dont nous allons faire état.
III – Textes récents du Magistère
* La controverse Lahitton-Branchereau et la constitution Sedes sapientiae de Pie Xll en 1956.
Le différend était le suivant : qu’est-ce qui constitue la vocation ? L’appel intérieur, l’attrait, ou l’appel de l’Église ? Branchereau (1896) privilégiait les signes personnels et subjectifs de la vocation, en particulier l’attrait, mettant au second plan l’intention droite et les aptitudes (idonéité en termes techniques), à tel point que l’appel de l’évêque, apparaissait comme un appendice sans importance. Lahitton (1909) réagit très fort contre ces positions. Il valorise l’appel de l’Évêque, allant jusqu’au bout de la phrase du Catéchisme du Concile de Trente : Sont appelés par Dieu ceux qui sont appelés par les ministres légitimes de l’Église. Le débat fut passionné et on demanda l’arbitrage de Rome. Pie X le fit par une commission cardinalice qui ne désapprouvait pas Lahitton. De corrections en encycliques, la controverse prit fin avec le texte de Pie Xll Sedes Sapientiae qui apparut comme une vision équilibrée et définitive du problème : il y a deux éléments dans la vocation, l’aspect divin, intérieur, fruit de la grâce, accompagné des dons naturels et surnaturels nécessaires, l’aspect ecclésiastique, indispensable, mais non suffisant, qui est celui de l’appel de l’Église.
Ce débat apparut vite dépassé et on jugea la réponse de Pie Xll peu adaptée à la complexité du problème, surtout en ce qu’elle laissait un peu trop dans l’ombre l’aspect ecclésial de la vocation, même si, bien entendu, la vison de la mission n’était pas absente de la conception de la vocation. Absente aussi la notion de durée et de maturation. Enfin ce document semblait marqué par le souci de favoriser l’éclosion des vocations des jeunes adolescents dans les institutions de l’époque, petits séminaires ou juvénats.
* Vatican ll va parler plusieurs fois de la vocation sacerdotale, mais surtout dans le décret Optatam totius sur la formation des prêtres. Nous retiendrons de ce décret un § qui est comme une définition de la vocation :
Action de la divine Providence qui accorde les dons voulus aux hommes choisis par Dieu pour participer au sacerdoce hiérarchique du Christ, et qui charge les ministres légitimes de l’Église d’appeler ainsi que de consacrer par le sceau du Saint-Esprit au culte de Dieu et au service de l’Église, les candidats ayant faits leurs preuves, et dont la capacité est reconnue et qui – en toute liberté et avec une intention droite – demandent à exercer une si haute mission. (§ 2)
Ce texte reprend les précisions apportées par les documents pontificaux précédents. Mais d’autres textes du Concile vont enrichir cette visée. La perspective ecclésiologique qui est la sienne lui fera dire :
La vocation de chaque prêtre existe dans l’Église et pour l’Église : c’est par elle que s’accomplit cette vocation. Il s’ensuit que tout prêtre reçoit la vocation du Seigneur, par l’intermédiaire de l’Église comme un don gracieux, un charisme. Il appartient à l’évêque ou au supérieur compétent non seulement de soumettre à l’examen l’aptitude et la vocation du candidat, mais aussi de la reconnaître. Une telle intervention de l’Église fait partie de la vocation au ministère presbytéral comme tel. Le candidat au presbytérat doit recevoir la vocation sans imposer ses propres conditions personnelles, mais en acceptant aussi les normes et les conditions posées par l’Église elle-même, selon sa propre responsabilité. (Décret sur l’apostolat des laïcs § 3)
En situant la vocation dans la gamme des charismes, ce texte souligne l’enracinement de la vocation dans l’Alliance entre Dieu et les hommes, sans en faire le prolongement idéal de la vie baptismale (contre certains penseurs du 19° siècle). D’autres textes insisteront sur le service du Peuple de Dieu. Un autre décret, Presbyterorum ordinis, revient sur la nécessité de cette vie dialogale pour l’éclosion de la vocation, vie de prière et de confiance en Dieu pour découvrir sa volonté (§ 11). On peut trouver aussi la volonté de mettre à l’écart une vision de la vocation qui serait un dessein préétabli de Dieu (ce qui obligeait à des grands spéculation sur appel et liberté, alors que le Christ dit plusieurs fois si tu veux). Enfin le Concile souligne la place d’une histoire, d’un devenir, dans la maturation de la vocation, même après l’ordination, sans pour autant renoncer à l’aspect définitif de l’état sacerdotal.
* Le dernier texte magistériel d’importance est l’exhortation apostolique de Jean-Paul ll, suite au Synode de 1990 : Pastores do vobis.
Le chapitre 4 est consacré à l’importance du thème de la vocation. Celui-ci est considéré comme connaturel et essentiel à la pastorale de l’Église (§ 34). C’est pourquoi le texte continue en liant fortement le mystère de la vocation au mystère de l’Église (§ 35). Le § suivant,36, est une analyse fouillée de ce dialogue intime entre Dieu et l’individu qui aboutit à la demande du sacerdoce, en répétant que les deux éléments, divin de la grâce et humain de la réponse libre, ne s’opposent pas, à preuve la possibilité de ne pas donner suite à cet appel (Marc 10,22). Le texte poursuit en détaillant les obstacles actuels à l’exercice de cette liberté et en rappelant que les vocations sont l’affaire de tous. Plus loin (§ 44) le pape étudie la nécessité de la maturité affective, et de l’éducation de la sexualité et de l’amour, absolument nécessaires au prêtre appelé au célibat, c’est-à-dire à offrir, avec la grâce de l’Esprit et par la libre réponse de sa volonté propre, la totalité de sa sollicitude à Jésus Christ et à l’Église.
IV – Réflexions théologiques
* Une synthèse autour de deux pôles, l’appel divin et la réponse humaine, comme le proposait Sedes Sapientiae semble incomplète. Elle n’intègre pas, en effet, l’aspect ecclésial et se prête mal à une évaluation dans la durée.
* En proposant trois termes, appel de Dieu, consentement, appel de l’Église, nous sommes plus à même de percevoir le mystère et le cheminement de la vocation, mais ces termes restent encore bien larges pour accueillir tous les aspects.
* Ce sont sans doute quatre termes qui permettront de cerner la richesse et la difficulté du discours sur la vocation.
¤ On ne peut pas ne pas poser au départ l’existence, infiniment variée selon les individus, d’une réalité intérieure et secrète, que nous nommons l’appel de Dieu. Nous l’avons vu par l’expérience des prophètes. Elle est confirmée par le témoignage massif, malgré des fluctuations, de tous ceux qui au cours des siècles se sont lancés dans l’aventure de la vocation. Expérience d’un dialogue, le plus souvent dans la prière, installation d’une certitude, circonstances extérieures (rencontre, modèles..), expérience individuelle ou communautaire forte… la liste est loin d’être limitative de ce qui est finalement la touche de Dieu dans une vie.
Théologiquement, cela suppose que Dieu intervienne dans une histoire, spécialement individuelle, qu’il entre en dialogue avec l’homme, que cet homme, fait pour ce dialogue, est capable d’une réponse libre. Ce sont là les traits caractéristiques qui sont à la base de notre religion révélée. Parler de vocation, c’est donc se situer dans un style de relation entre Dieu et les hommes qui est celui de l’Alliance
¤ L’ébauche de réponse va être alors adhésion personnelle à cette Alliance, en incluant obligatoirement le fait que celle-ci se concrétise par le Christ et son Église. C’est au départ la disponibilité : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. Cela continuera par un approfondissement du visage de celui qui appelle. Une meilleure connaissance du Christ qui fait retentir cet appel. Le désir de se consacrer à lui plus totalement que dans une vie baptismale ordinaire. Faire du Seigneur son véritable compagnon de route. En particulier, ce sera la découverte et l’approfondissement du rôle de l’Église qui donne et favorise cette connaissance du Christ. Cet aspect ecclésial sera lui-même multiforme : personnes rencontrées, expérience de prière communautaire…Autant de choses qui introduiront la certitude que l’appel est lié à la mission. Le moment capital va être celui de la déclaration. L’appelé qui commence à répondre ne peut le faire que s’il s’ouvre à quelqu’un qui va le guider, autre expérience d’Église.
¤ Au plus haut degré de cette expérience d’Église, va se trouver le discernement. Il y a, certes, le jugement final d’admission. Il est acquis depuis longtemps qu’il revient à l’Église par la voix de l’évêque et que nul ne peut affirmer qu’il a la vocation si un évêque ne l’appelle. On doit faire aussi la part, dans bien des histoires personnelles, de cheminements un peu compliqués. Le discernement est le long travail qui, dans un dialogue qui en assure l’objectivité, va analyser les composantes de la voie vers laquelle on se sent appelé. C’est alors qu’interviennent les critères objectifs de vocation. On pense tout de suite aux aptitudes. On mettra au premier plan les aptitudes spirituelles. Une vie sacerdotale qui ne serait pas enracinée dans la prière et le cœur à cœur avec le Christ risquerait de vite sombrer. Certes, les aptitudes intellectuelles sont importantes, surtout dans notre époque qui valorise le savoir, et aussi à cause du fait que Dieu prend soin de parler à notre intelligence. Ses ministres doivent donc en être capables. Soit dit en passant, on a beaucoup exagéré l’incapacité intellectuelle de saint Jean-Marie Vianney, curé d’Ars. Sa bibliothèque n’était pas faite que de sermonnaires (sermons tout préparés), et on a des preuves matérielles de son acharnement à approfondir son savoir, en particulier avec le souci de le rendre accessible. Il y a aussi un certain nombre d’aptitudes humaines : ouverture au dialogue, c’est-à-dire capacité de relation, jugement et discernement, sans aller jusqu’à des problèmes physiologiques : certains ne se sont-ils pas posé le problème de la possibilité d’ordonner un sourd ou un muet ? La volonté de se donner corps et cœur au Christ va mettre au premier plan la maturité, et spécialement la maturité affective : attitude sereine et claire avec les femmes, capacité d’affronter la solitude, de vivre un amour constructif avec le Christ, de s’engager dans un minimum, ou plus, de vie communautaire.
¤ Intervient alors un autre aspect, non moins objectif : la mission. C’est sans doute là que se situe la divergence de la vocation sacerdotale avec la vocation religieuse. Le prêtre est celui qui est destiné à œuvrer par la parole et par l’action, à l’extension du Royaume. Si on a souligné la nécessaire union au Christ, qui rejoint les choix religieux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, la finalité n’est pas tout à fait la même, puisqu’il s’agit pour le prêtre de communiquer cette union au Christ dans le cadre de la vie de l’Église. Cette primauté de la mission rejaillira d’ailleurs sur le discernement des aptitudes.
Conclusion
On parle beaucoup de crise des vocations, Pastorem do vobis a nettement été écrit dans cette perspective. Dieu cesserait-il d’appeler ? C’est impensable. C’est donc l’éclosion des vocations qui pose problème. La possibilité d’entendre cet appel n’est-il pas gêné par le tumulte intérieur, souvent du à un manque de foi ou de prière ? Le discernement des signes dont Dieu jalonne notre route, n’est-il pas brouillé par tant d’autres paramètres que la recherche de la volonté de Dieu ? De plus, le ratio (proportion) prêtres-fidèles est plutôt plus fort qu’autrefois. Il faut donc dire qu’il n’y a pas de crise des vocations, mais une crise de la vie chrétienne. Brutalement, le cardinal Lustiger disait : Si les églises étaient pleines, il n’y aurait pas de crise de vocation.
Prière de Jean-Paul ll à Marie pour les prêtres (finale de Pastores do vobis)
Marie, Mère de Jésus Christ et Mère des prêtres, reçois ce titre que nous te donnons pour célébrer ta maternité et contempler en toi le sacerdoce de ton Fils et de tes fils, sainte Mère de Dieu !
Mère du Christ, tu as donné au Messie Prêtre son corps de chair par l’onction de l’Esprit Saint pour le salut des pauvres et des hommes au cœur contrit, garde les prêtres dans ton cœur et dans l’Église, Mère du Sauveur !
Mère de la foi, tu as accompagné au Temple le Fils de l’homme, accomplissant les promesses faites à nos pères, confie au Père, pour sa gloire, les prêtres de ton Fils, Arche de l’Alliance !
Mère de l’Église, au Cénacle, parmi les disciple, tu priais l’Esprit pour le Peuple nouveau et ses pasteurs, obtiens à l’ordre des prêtres la plénitude des dons, reine des Apôtres !
Mère de Jésus Christ, tu étais avec lui au début de sa vie et de sa mission, tu l’as cherché, Maître parmi la foule, tu l’as assisté, élevé de terre, consommé pour le sacrifice unique éternel, et tu avais près de toi, Jean, ton fils, accueille les appelés du Seigneur, lors de leurs premiers pas sur leur chemin, protège leur croissance, accompagne dans la vie et le ministère ceux qui sont tes fils, ô toi, Mère des prêtres ! Amen.