Le 6 juin est inscrit dans nos mémoires comme l’événement par lequel l’Histoire a basculé. Notre gratitude à l’égard de ces centaines de milliers d’hommes qui prirent d’assaut les falaises de Normandie est sans limite. C’est pourquoi, si graves que puissent être parfois nos désaccords avec nos amis américains, ils n’en sont pas moins nos alliés à jamais. Nous avons exprimé, ici-même, les raisons pour lesquelles nous ne pouvons approuver l’expédition irakienne des Etats-Unis. Cela ne nous empêche nullement, au contraire, de saluer la venue du président Bush pour le soixantième anniversaire du Débarquement. La dette que nous avons contractée pour cette libération est supérieure à nos querelles, si motivées soient-elles. C’était déjà le cas sous le général de Gaulle, qui recevait avec les plus grands honneurs, le président Eisenhower, l’ancien commandant en chef des Alliés, alors même que la France prenait sa liberté à l’égard de l’Otan.
La commémoration du Jour J nous renvoie donc au sacrifice de ces garçons de vingt ans, qui reposent pour beaucoup le long de nos côtes normandes, là où ils lancèrent leurs assauts décisifs. Le père René de Naurois, qui fut du petit nombre de Français à débarquer à Ouistreham, a su rappeler dans quel état d’esprit la plupart des soldats alliés allèrent à la mort. Une semaine plus tôt, célébrant la messe de la Pentecôte, il avait observé “leur étrange recueillement, les yeux comme tournés vers l’intérieur, tout de douceur, comme pour emporter cettre dernière clarté au milieu des prochaines ténèbres”. Le témoignage n’est pas unique. Nombre de documents, de films historiques, évoquent la présence des aumôniers militaires et les prières des soldats au cœur des plus grands dangers.
La vocation militaire relève d’un héroïsme qui est aujourd’hui mal compris et mal accepté. Nos contemporains, qui ont eu la chance inestimable de vivre dans une Europe apaisée, perçoivent avec difficulté le prix qu’il a fallu consentir pour recouvrer la liberté et vaincre l’hydre totalitaire. Certes les armées sont rarement irréprochables et il arrive aux meilleures de se livrer à des exactions innommables. Ce n’est pas une raison pour discréditer le sacrifice des soldats engagés dans ce que Charles Péguy appelait les justes guerres. Il faut retenir encore le beau témoignage du père René de Naurois : « Ce que je veux surtout, c’est rendre hommage à ceux qui, il y a soixante ans, préparaient la levée du jour sur l’Europe occupée, sur l’Allemagne elle-même, le pays qu’il fallait libérer de ses monstres. J’ai finalement fait une guerre sans haïr les hommes. »1