Pourquoi le 31 octobre ?
Chaque année, les chrétiens protestants célèbrent le souvenir des réformateurs, en référence au 31 octobre 1517, date à laquelle le moine augustin Martin Luther, professeur de l’Université de Wittenberg, en Allemagne, diffusa 95 thèses dénonçant la pratique des indulgences. Après la mort du réformateur, on raconta que le fougueux moine avait placardé le grand feuillet des thèses sur la porte de la chapelle du château de Wittemberg. Cet épisode aurait pu rester anodin dans le contexte des débats académiques. Cependant l’archevêque de Mayence, à qui, loyalement Luther avait envoyé le texte qu’il proposait à la controverse théologique, le transmit à Rome où, avec le prélat allemand, on s’inquiéta du trouble que pourrait causer une discussion sur la valeur des indulgences.
Le jour devint emblématique des commencements d’un mouvement dont Luther et ses compagnons furent les acteurs décidés à partir de 1520, et bien au-delà de la seule question des indulgences. La rupture sera consommée lorsque Luther et ses partisans seront déclarés excommuniés par une bulle du pape Léon X, de janvier 1521.
Le premier centenaire, en 1617, puis les suivants jusqu’à celui du XXe siècle furent des occasions d’exalter la personnalité de Luther et d’affirmer l’identité de l’Allemagne protestante. En 2016 et 2017, pour la première fois dans l’histoire, la dimension internationale et œcuménique élargit la commémoration à toute la chrétienté et permet aux partenaires encore divisés, et en voie de réconciliation, de prendre la mesure ensemble de l’espérance d’Unité de l’Église. Catholiques et luthériens relisent leur passé commun et séparé, et s’engagent en faveur d’un témoignage à rendre au monde.
On aurait pu préférer une autre date !
Le 25 juin 1530, convoqués par Charles-Quint à la Diète (ou grand conseil d’Empire) dans la ville d’Augsbourg, les princes et magistrats de villes libres acquis à la Réforme, lui présentèrent une confession de foi. Dénommée depuis Confession d’Augsbourg, cet exposé des fondamentaux du luthéranisme a aujourd’hui un statut d’autorité et de règle normative pour les 145 Églises de la Fédération luthérienne mondiale.
Luther, empêché de se rendre à la Diète, parce qu’excommunié et au ban de l’Empire, avait suivi à distance les préparatifs et la rédaction de la confession de foi. Au prince électeur, son protecteur, il écrivait le 15 mai 1530: « J’ai parcouru l’apologie de Maître Philippe (Melanchthon, le rédacteur, également professeur à Wittenberg). Elle me plaît beaucoup et je n’y vois rien à améliorer ou changer, d’ailleurs cela ne conviendrait guère, car je ne peux pas m’exprimer d’une façon aussi douce et discrète ». La dimension irénique de la confession répondait au désir manifeste des théologiens de Wittenberg de sauver l’unité de l’Église, s’il en était encore temps, et aussi à la volonté de l’empereur Charles-Quint que les deux partis se traitent mutuellement avec charité et bienveillance, termes que reprend par trois fois la préface du texte (dans l’une et l’autre versions, en latin et en allemand). Les signataires énonçaient d’emblée leur intention de restaurer la paix entre les chrétiens divisés, « et selon la vérité divine (que) ces dissensions soient ramenées à une seule et vraie religion, de même que nous menons notre vie et notre combat sous un seul et même Christ ».
Depuis le concile Vatican II, et les dialogues fructueux menés par les théologiens autour des années 1980, il est possible d’envisager la reconnaissance, dans la confession de foi d’une autre communauté, même s’il demeure des différences et des problèmes, d’une expression authentique de la foi commune de tous les chrétiens. Cela suppose d’y découvrir le centre vivant de la foi, qui est Jésus-Christ Rédempteur, et de nous rapprocher les uns des autres par la lecture commune des Écritures saintes.
Au sujet de la Confession d’Augsbourg, plusieurs théologiens catholiques (dont le cardinal Joseph Ratzinger, futur pape Benoit XVI) ont parlé de sa « forme propre de réalisation de la foi commune », et la Fédération Luthérienne mondiale n’hésite pas à la désigner comme une « expression d’une conception commune du centre de la foi chrétienne », ou d’une « expression d’une conception commune des vérités fondamentales de la foi ». Ces formulations sont capitales dans un dialogue humble et respectueux, en Église (s). Et celui-ci est riche de promesses lorsqu’il s’inscrit au souffle de l’Esprit saint qui visite les cœurs des chrétiens orientés ensemble à l’exaucement de la prière du Christ pour l’Unité de son Église.
Pour ces raisons, je n’hésiterai pas, pour ma part, à préférer à celle du 31 octobre, la date symbolique du 25 juin, que seuls la plupart des luthériens célèbrent en une solennité particulière ce jour, et l’année 1530 en référence pour nos rapprochements enracinés dans les signes posés par l’Esprit. Mais je me rallie aussi à la date automnale, parce qu’elle est la veille de la fête de tous les saints, et qu’ainsi on oriente le chemin « du conflit à la communion » vers la réalité accomplie de ce que doit être l’Église, communion vivante des saints en Dieu.
Faut-il parler de Réforme ou dire Réformation ?
En latin, il n’y a qu’un seul mot : « reformatio », et en français, comme en d’autres langues, l’anglais ou l’allemand par exemple, deux termes : Réforme et Réformation.
La Réforme est un mouvement inhérent à l’Église. Elle est dans sa nature propre, parce qu’elle tend à la forme que le Christ veut pour elle. Plusieurs fois dans les siècles passés, avant même l’époque de Luther et des autres réformateurs qualifiés après coup de « protestants », il y eut des expressions concrètes de volontés de réforme, donner ou faire advenir forme renouvelée.
On pourra dire aujourd’hui, dans le cadre du 500e anniversaire, que l’on parle ainsi du mouvement général, théologique et spirituel, qui a été mené par des croyants d’une époque et par extension le dynamisme ecclésial dans lequel vivent les chrétiens leurs héritiers.
La Réformation est l’ensemble des évènements qui, au XVIe siècle précisément, et en particulier entre 1517 et 1530, puis jusqu’au concile de Trente, a historiquement marqué le début du mouvement de la Réforme. En sont issues les grandes dénominations protestantes : luthérienne, réformée (initialement d’inspiration calviniste), baptiste, anglicane (ou épiscopalienne), etc.
Quels ont été les jalons préparatoires pour fonder la commémoration en commun du 31 octobre ?
Beaucoup de dialogues en vérité ont précédé l’année d’espérance que nous nous apprêtons à vivre. Beaucoup de prière. Beaucoup de travail théologique. Beaucoup de rencontres fraternelles. Retenons comme l’un des jalons décisifs le document de réconciliation sur la compréhension de l’amour divin et la vie nouvelle en Christ, par l’Esprit.
Après 30 années de dialogue, l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale ont signé une Déclaration commune sur la doctrine de la Justification par la foi. C’était le 31 octobre 1999, dans la ville d’Augsbourg… Où l’on voit par ce choix, du jour et du lieu de signature, l’importance des deux dates historiques et emblématiques de la division et de l’unité !
Par cette Déclaration commune, qui engage désormais les deux Églises, catholiques et luthériens ont dépassé le clivage de la controverse sur la justification et sont parvenus à une affirmation fondamentale que des différences de compréhension ou de pratique ne remettent plus en question : c’est la méthode dite du consensus différencié. La vérité évangélique (justice de Dieu, salut par la foi en l’œuvre de Jésus-Christ, son incarnation, sa passion et sa résurrection, et les bonnes œuvres auquel le Saint Esprit habilite les croyants) est confessée par tous et dans les mêmes termes.
Désormais les excommunications et anathèmes du passé, sur ce sujet de doctrine de la justification, ne concernent plus les partenaires actuels. Et les différences d’approches ou de piété ne remettent pas en cause la formulation commune. Au contraire, elles stimulent et enrichissent les uns et les autres en vue d’un meilleur témoignage. Il faut bien mesurer qu’on découvre alors la réforme profonde, la forme renouvelée, de l’Église, laquelle ne peut et doit avoir qu’une compréhension de ce que sont les chrétiens devant Dieu et de ce qu’est le dessein de Dieu pour eux.
Pourquoi avoir choisi la Suède ?
La plupart des observateurs des évènements annoncés pour le 31 octobre 2016 n’ont pas suffisamment mis en lumière les enjeux du choix de la Suède. Plusieurs même se contentent de considérer que le pape visitera l’Église luthérienne de Suède, voire simplement les chrétiens suédois (y compris les catholiques, puisqu’il y aura, le lendemain, une messe pontificale de la Toussaint au Sweban Stadion de Malmö). Or Lund a été choisi en raison que ce diocèse luthérien du sud de la Suède a été le lieu de la fondation, en 1947, de la Fédération luthérienne mondiale, cette instance internationale dont le siège est à Genève et qui regroupe les 72 millions de fidèles de 145 Églises.
Les célébrations à la cathédrale de Lund et au stade Malmö Arena ont un caractère œcuménique et universel – et non à proprement parler suédois (exceptée la messe du 1er novembre). L’évêque Mounib Younan, et le pasteur Martin Junge son secrétaire général, pour la Fédération luthérienne mondiale, et le pape François pour l’Église catholique, se retrouvent en Suède, pour conjointement présider le double événement qui concerne la chrétienté tout entière.
À la cathédrale se déroulera la prière commune soigneusement préparée sur la base du document « Du conflit à la communion » produit par une commission mixte dès 2013.
Au stade de la Malmö Arena les représentants du Département d’Entraide mondiale de la Fédération luthérienne et Caritas Internationalis de l’Église catholique signeront un accord de coopération, signifiant l’engagement commun de compassion et d’amour à l’égard du prochain dans le monde blessé qui est le nôtre.