La plus importante chaîne de télévision française a décidé de suspendre la retransmission de la messe de minuit, qu’elle opérait fidèlement chaque nuit de Noël. Ses dirigeants préfèrent ne pas interrompre, par quelque chose qui serait trop sérieux et pas assez festif, la suite de divertissements qu’ils proposent à leurs téléspectateurs. Doit-on interpréter cette décision comme un signe des temps, tout à fait significatif de la dérive consumériste qui se poursuit malgré la crise ? L’essayiste Philippe Muray, qui s’était consacré à un travail de longue haleine sur cet aspect des mœurs contemporaines, n’aurait pas manqué d’analyser ce nouveau symptôme de l’homo festivus, l’homme qui fait la fête sans trop savoir pourquoi et même pour oublier complètement ce qu’il pourrait savoir. Dans cette logique, il convient, pour lui, d’opérer une radicale table rase, éventuellement sous un déluge de techno et d’abêtissement général.
Faut-il effacer jusqu’au souvenir de Noël ? Dans les pays anglo-saxons certains pétitionnent contre l’utilisation du mot « Christmas » (la messe du Christ !) pour des usages administratifs ou commerciaux. Ce n’est heureusement pas le choix d’une grande partie de l’humanité qui continue à croire à cette grande lumière qui illumine la nuit et que les illuminations de nos villes miment à leur façon sans parvenir à donner le change aux aspirations profondes du cœur des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Cette lumière, ce sont les bergers de Bethléem qui l’ont, les premiers, perçue. Et elle les a menés à un nouveau-né couché dans une crèche. Avant les mages qui étaient des savants, ce sont les plus humbles qui ont compris le message ineffable. Dans la pauvreté de cette crèche, brille le plus extraordinaire secret. L’humanité ne poursuit pas ici-bas une course inutile, pas plus que l’homme n’est une passion inutile comme le prétendait le philosophe Jean-Paul Sartre.
Dans tout visage humain il y a l’éclat même de Dieu, beaucoup plus qu’une étincelle divine, une présence qui déjoue le destin antique et toutes nos fatalités. Les Pères de l’Église l’ont expérimenté avec une audace étonnante : « Dieu s’est fait homme pour que les hommes deviennent Dieu ». Mais l’espérance ainsi déployée ne conduit pas à l’orgueil de la puissance. Elle commence avec la dépossession de l’amour. Car, pour être présent aux hommes, Dieu s’est dépossédé jusqu’à devenir un tout petit enfant vulnérable. Et dans cette vulnérabilité, il y a un amour insoupçonnable, plus grand encore que les plus fortes aspirations de nos cœurs humains. Noël, c’est la révélation que notre humanité est infiniment plus belle que nous l’imaginons, parce qu’elle a été épousée par un Dieu qui nous aime à en mourir.