9 septembre
Je n’ai reçu le livre de Caroline Fourest que quelques heures avant notre émission sur France Culture. J’ai pu tout de même le lire presqu’intégralement, partagé entre malaise et étonnement. Malaise à l’égard de ce genre pamphlétaire qui tire d’une pseudo-enquête un réquisitoire. Étonnement devant le blocage idéologique qui consiste à donner du fait religieux une analyse purement politique.
Et, puisque le Pape est le personnage central supposé de l’essai, je ne l’ai en aucun cas reconnu. Il m’a fallu adopter rapidement une ligne de conduite pour mon débat avec l’auteur. Je ne voulais pas être enfermé dans la polémique du livre parce qu’elle m’apparaissait pernicieuse. Au demeurant je n’avais pas le temps matériel d’en vérifier toutes les affirmations. J’en suis un peu désolé pour les personnes en cause qui auraient pu attendre que je les défende vigoureusement. Mais à reprendre point par point les attaques d’une adversaire résolue, je risquais l’enlisement sans être jamais sûr de pouvoir maîtriser le débat. Il me fallait donc marquer le territoire ou j’entendais m’exprimer. Ce qui supposait en préalable une contestation de la ligne du pamphlet. Pour sortir de sa problématique imposée.
Non, « la ligne » de Benoît XVI n’était pas liée à deux mouvements catholiques particulièrement militants et à la mouvance dite traditionaliste. D’ailleurs, si on voulait parler mouvements, il fallait élargir le cercle pour avoir une idée juste du panorama général. Je citais donc Communion et Libération ainsi que Sant’Egidio, sans vouloir exclure quiconque, mais pour établir la diversité des choix apostoliques.
Malheureusement, je n’avais pas relu l’article repris dans Croire et Célébrer où Joseph Ratzinger esquisse une théologie des nouveaux mouvements dans l’Église, en expliquant au préalable sa rencontre avec eux dans les années 70 : « Ce fut pour moi une expérience merveilleuse, lorsque j’en vins pour la première fois à fréquenter de plus près des mouvements comme le Chemin néocatéchuménal, Communion et Libération, les Focolari et que je fus saisi par le dynamisme et l’enthousiasme avec lesquels les membres de ces mouvements vivaient leur foi et pouvaient, à partir de la joie qui émanait d’elle, communiquer autour d’eux aussi ce qui leur avait été donné. » La tonalité de ces pages est à mille lieues de l’interprétation donnée par Caroline Fourest de ces soldats de Dieu repartis en conquête, et caractérisés par une spiritualité frustre, des méthodes brutales, un climat étouffant et des débordements dignes de sectes opaques, animés par des gourous tout puissants, voire tyranniques, quand ils ne sont pas moralement pervers.
Il est pour le moins troublant que les deux polémistes responsables de cette charge n’aient pas saisi le contraste entre les soldats qu’elles prétendent décrire et la personnalité de Benoît XVI toute en intériorité et culture profonde. Déjà, il faudrait opérer un discernement sérieux pour vérifier si les cadres et les militants décrits de façon si caricaturale, correspondent à leurs portraits. Ce n’est pas du tout l’impression que j’ai tirée des rapports les plus récents que j’ai pu avoir avec les deux mouvements cibles. Les jeunes qui sortent des camps des Légionnaires du Christ ne m’apparaissent ni manipulés, ni illuminés. Les jeunes prêtres qui s’occupent de ces camps me semblent renouer avantageusement avec l’esprit des patros d’antan, qui, loin d’être dépassé, correspond à une urgence éducative.
Quant à mon plus récent contact avec l’Opus Dei, il date de mai dernier, à l’occasion d’un colloque sur 68, où je n’ai eu nullement le sentiment d’avoir affaire à des militants étroits ou fanatiques. Lundi soir, je n’ai malheureusement pas eu le temps de prendre la défense de tous ces gens que mon interlocutrice maltraitait. C’est que je voulais recentrer l’attention sur le Pape qui devait arriver quatre jours plus tard, et dont je désirais restituer la personnalité en lien avec son œuvre de théologien. Ai-je réussi, dans le feu des répliques qui s’échangent trop vite et au gré des affirmations de ma contradictrice ? Ce n’est pas à moi de le dire. Mais il est vraisemblable qu’en trois quarts d’heure on ne pouvait aller au bout des choses.
Je ne connaissais Caroline Fourest que par quelques-uns de ses articles et quelques interventions télévisées. Ce n’est pas quelqu’un qu’on oublie. Il y a en elle une tension un peu étrange entre un affichage rationaliste et une volonté d’intervenir dans le débat intra-ecclésial. Farouchement en dehors et obstinément en dedans, comment rendre compte d’un tel paradoxe, sinon par une difficulté personnelle à trouver la bonne distance ?