Avant le vrai débat législatif bioéthique, un groupe de travail du Sénat s’était emparé, sous la présidence de la socialiste Michèle André, de la question des mères porteuses. Il a rendu des conclusions favorables à cette pratique.
Pour entraîner le revirement du droit en faveur de la « Gestation pour autrui », le sénateur Henri de Richemont (UMP) rapporteur, se confesse : les voyages d’étude organisés à l’étranger par le groupe de sénateurs l’auraient convaincu. Leur rapport n’engage pas le Sénat, a tenu à préciser Nicolas About, conscient du forcing législatif opéré par ses collègues.
Ces derniers affirment proposer une voie française où la « maternité pour autrui » serait « encadrée ». Point de marchandisation du corps, rassurent-t-ils en excluant le modèle américain : les versements à la « gestatrice » ne seraient qu’« indemnisation », non pas « rémunération ». Point de confusion généalogique non plus : les sénateurs excluent que l’on puisse faire appel à un membre de sa propre famille comme c’est le cas en Grande-Bretagne.
Nadine Morano vient néanmoins de clamer dans le Figaro Madame qu’elle prêterait son utérus à sa fille, si cette dernière était stérile. Voilà le ministre de la Famille disposé à accoucher d’un de ses petits-enfants ! Dès que l’on avalise certaines dérives, les transgressions deviennent abyssales. Et il peut suffire de peu de temps pour que l’exception devienne la règle.
Les sénateurs disent vouloir limiter les mères porteuses à celles qui seraient déjà mères. Mais quel discours tiendront ces femmes à leurs enfants déjà nés ? Ne les verront-ils pas enceintes, engagées par contrat à abandonner celui ou celle qu’ils seraient en droit de considérer comme un frère ou une sœur ? Ne se sentiront-ils pas insécurisés si leur mère livre le nouveau-né à un couple en mal d’enfant ?
Interrogée sur RMC, Laure Camborieux, présidente de l’association Maïa, répond qu’il faudra « leur expliquer ». Revendiquant sur toutes les ondes, la gestation pour autrui, elle aurait assez étudié, au plan universitaire, le lien entre la mère et l’enfant pour conclure qu’il est « indépendant de la grossesse ». Mais elle admet être « juge et partie ».
C’est l’occasion de mesurer la puissance du désir d’enfant : certaines femmes, privées physiologiquement de capacité d’enfanter, semblent prêtes à tout pour qu’un tel désir ne soit pas frustré, jusqu’à revendiquer le saucissonnage de la maternité. à les entendre, les sénateurs auraient auditionné les témoins de « magnifiques histoires d’amour », des femmes s’étant généreusement offertes pour porter ces bébés de l’impossible.
Conteste-t-on l’instrumentalisation du corps de ces femmes et la chosification des bébés ainsi enfantés ? Sans répondre sur le fond, les demandeuses opposeront l’injustice de leur souffrance. Pour éviter les conséquences désastreuses de la déchirure programmée du lien mère-enfant et la confusion généalogique induite, il suffirait encore selon elles de « bien l’expliquer à l’enfant ». Elles amalgament volontiers la gestation pour autrui à l’adoption. Mais l’adoption pallie un accident de vie tandis que la gestation pour autrui le provoque délibérément. Les familles recomposées sont aussi appelées à la rescousse comme si elles étaient à imiter.
Un tel débat a beau concerner en pratique des situations assez rares (lorsque les femmes sont privées des organes leur permettant d’enfanter) il retentit symboliquement. Si, dans Libération, Élisabeth Badinter soutient mordicus la maternité pour autrui, c’est parce qu’elle a toujours nié l’existence de l’instinct maternel. En face, Sylviane Agacinski s’y oppose avec la même fougue, au nom des droits de l’enfant et de la femme.
La science de la vie intra-utérine semble plaider pour la plus grande prudence : on ne cesse de découvrir l’influence des événements vécus par la femme enceinte sur celui qu’elle attend. Et si le « produit » était insatisfaisant ? Sera-t-elle tenue pour responsable ? Et si l’une des parties se rétractait ?
Les sénateurs ont prévu de donner à la « gestatrice » le droit d’avorter et celui de se reprendre dans les trois jours après la naissance. à partir du moment où l’enfant naît sous contrat, il est l’enjeu de telles tensions que se profilent des conflits indébrouillables.
Déjà, aux Pays-Bas, un bébé a été vendu aux enchères par sa mère porteuse. Supplanté par un couple mieux-disant, le père biologique n’a pas réussi à l’emporter. Mise devant le fait accompli, la Justice ne l’a pas soutenu. Est-ce par déni de l’existence anténatale que les tenants de la maternité éclatée se permettent d’infliger à des êtres humains ces ruptures précoces ?
Il faudra attendre leur majorité pour leur permettre de nous en demander des comptes, et entendre la défense des parents qui revendiquent aujourd’hui leur fabrication.
Mais pour le moment l’affaire provoque une polémique intragouvernementale. Christine Boutin (Logement), jugeant « surprenants » les propos de sa collègue Nadine Morano (Famille), a annoncé le lancement par le parti qu’elle préside (Forum des Républicains Sociaux) d’une pétition contre la pratique des mères porteuses.