3124-visite à Lourdes - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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3124-visite à Lourdes

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15 MARS

Je n’ai pas eu le temps de faire le récit du voyage qui m’a amené la semaine dernière à Montpellier puis à Lourdes. J’avais été invité par les chevaliers du Saint-Sépulcre pour une conférence sur le cardinal Lustiger dans le cadre de leur retraite de printemps. J’ai été heureux de me trouver au sein de cet ordre qui rassemble des personnes de grande qualité particulièrement ferventes. J’avais fait la connaissance de beaucoup d’entre elles il y a quelques années à Toulouse. Il me semble que j’avais alors traité de la nouveauté du christianisme en référence au jubilé de l’an 2000. J’ai d’ailleurs quelques regrets d’avoir per­du toute trace des quelques notes que j’avais dû rédiger sur le moment, car j’ai le sentiment que je m’étais avancé assez loin sur un sujet que je creusais alors pour un livre qui est demeuré en projet dans ma tête. Un essai assez court, dont j’ai d’ailleurs écrit la première partie, en m’inspirant à la fois de saint Irénée et de Rimbaud. La suite est restée en suspens, car je n’étais pas satisfait de ma première ébauche qui concernait la découverte moderne de l’Écriture sainte au terme des péripéties exégétiques du siècle.

Il me semble qu’à Toulouse, devant l’archevêque, Mgr Émile Marcus, j’avais été plutôt bien inspiré, pris par la grâce du moment et aiguillonné par ma réflexion et mes lectures des derniers mois. J’espère pouvoir revenir, quand j’en aurai le loisir, à cette thématique qui est pour moi centrale, parce qu’elle renvoie à la radicalité et la nouveauté du Christ qui se manifestent au long des siècles. Si j’ai parlé ici-même de Péguy, il y a peu de temps, c’était dans cette visée précise de la découverte toujours fraîche, bouleversante, d’une Bonne Nouvelle que rien ne peut rendre obsolète parce qu’elle est illuminée par la charité, c’est-à-dire le lieu même de la rencontre avec Dieu où l’homme avec son visage s’illumine. La charité ne passe pas, déclare Saint Paul dans un des plus extraordi­naires passages de ses épîtres (1 Co 13,8).

Cette fois-ci j’ai parlé du cardinal Lustiger, en m’efforçant de rendre sen-
sible l’extraordinaire rencontre de Dieu et d’un adolescent juif à Orléans, les Jeudi et Vendredi saints 1940. Dans l’histoire du christianisme je place un tel événement au même rang que la conversion d’un Charles de Foucauld. Plus j’y pense et plus je suis submergé par l’évidence d’une étonnante conjonction providentielle : cette rencontre à ce moment de l’Histoire, dans la tragédie de la guerre et pour quels accomplissements ! La vocation de Jean-Marie Lustiger s’inscrit dans un sillage qui perce le temps et ouvre à l’imprévisible au-delà même de sa mort. Mon auditoire communie visiblement à cette évocation d’une figure dont je constate qu’elle fait de plus en plus l’unanimité, même dans les milieux les plus inattendus.

Nous avions quitté Montpellier pour Agde dont on ne soupçonnerait pas a priori le passé lié aux toutes premières origines chrétiennes, avec un évêché qui recouvrait sans doute un petit territoire mais qui nous renvoie à tout un enracinement. Moments trop brefs de visite dans la ville avec ses églises les plus anciennes. Je n’ai pu voir la cathédrale que de loin. Les explications données par un historien du lieu aux chevaliers m’ont fait regretter de ne pouvoir m’attarder. Il me fallait reprendre le train pour Lourdes via Toulouse. Je n’ai pas choisi la solution la plus simple puisqu’au total j’ai dû faire quatre changements. Ce qui m’a permis, pour la première fois de ma vie, de faire connaissance avec Carcassonne. Hélas, faute de temps, je n’ai pu que me rendre aux pieds de la cité médiévale remodelée par Viollet-le-Duc. J’ai tout de même visité une superbe église du centre-ville, heureux une fois de plus de constater combien ce pays est beau.

Je suis arrivé assez tard dans la cité mariale, accueilli par deux de mes enfants qui m’avaient précédé. J’éprouve une certaine satisfaction que la tradition familiale soit ainsi poursuivie. Mon oncle et parrain, prêtre, avait connu Lourdes avant la grande poussée hôtelière, lorsque le pèlerin logeait encore chez l’habitant et que la petite ville devait encore ressembler à celle qu’avait connue Bernadette. Depuis, toutes les branches issues de mes grands-parents sont venues ici, et la tradition est perpétuée par mes enfants et très prochainement mes petits-enfants. En cette année jubilaire, nous sommes venus prier pour une intention particulière et je ne puis m’empêcher de penser à un certain pèlerin de Chartres venu intercéder auprès de Notre Dame. Je pense aussi à un autre poète, pourtant apparemment éloigné de la foi mais qui jamais ne renonça à prier celle qui

Enparadisa Terre et Mer
Et, du péché liberatrice,
De la douleur consolatrice,
Eut pitié même de l’Enfer.

C’est ce poète qui supplie, parce que privé de Notre-Dame, notre terre n’est plus que défleurie, désert de cendres et de sel. Mais il ne se résigne pas. Et de chanter

Ô belle, ô claire,
Dans la maison d’un même père
Abritez nos cœurs pèlerins !

Mais puisque c’est la famille qui m’appelle ici à Massabielle, je ne puis oublier le pèlerin de la Beauce qui est venu prier pour la guérison d’un de ses enfants. Je ne sais si ma prière sera exaucée, mais le petit, auquel je pense, sera à coup sûr par l’intercession maternelle proche du cœur de Dieu.
En ce cent-cinquantenaire des apparitions, Lourdes est en attente des grandes foules, mais en cette saison en demi teinte la ville est loin d’être désertée. Nous faisons quelques rencontres sympathiques avec les animateurs du Rosaire. Surprise dans la basilique souterraine Saint-Pie X : tout autour de l’immense vaisseau, des représentations géantes sur tapisserie des saints de toute l’Église universelle. Cela a quelque chose de saisissant. Cette concentration de géants de la foi et de la charité en cohorte vous donne une idée singulière du Royaume en marche. L’immense cortège qui nous précède doit nous entraîner et non nous intimider en dépit de ce qu’il a de surhumain. Mais notre temps, qui se traîne et finirait parfois par s’affaler moins dans le découragement que dans l’insignifiance, a besoin de ces formidables entraîneurs. Parmi eux, il y a Bernadette. Voilà qui nous rassure, cette pauvrette au milieu de ses moutons à Bartrès. Mais dans son humilité extrême, elle a rejoint les géants. J’y discerne le génie du catholicisme, et notamment de ce catholicisme dix-neuvièmiste tant méprisé. Et puisque Péguy m’accompagne ces temps-ci, je parlerai avec lui de « ce secret de tendresse et de grâce, qui est dans l’enfance même, au point d’origine de l’enfant ». Cela fait qu’en ce siècle Lourdes et Lisieux se tendent la main pour exprimer le même message. C’est l’en­fance qui progresse à pas de géant sur les chemins de la grâce.