L’impératif évangélique est inflexible. Nous serons jugés sur notre dureté de cœur, celle qui se mesure à notre indifférence à l’égard du pauvre, et d’abord de l’affamé. Et ce qui concerne l’affamé, si on est fidèle à l’enseignement de Charles Péguy, est en-deça de la pauvreté, du côté de la misère. « L’antépremier devoir social est d’arracher les miséreux à la misère, d’arracher les miséreux au domaine de la misère, de faire passer à tous les miséreux la limite économique fatale. » (« De Jean Coste »). Avant toute prétention à l’égalité, assénait Péguy, il s’agit de sauver les citoyens de la misère parce que c’est elle qui réduit à une condition infra humaine. Le miséreux ne peut prétendre à l’éminente dignité du pauvre et sa condition est comparable à un véritable enfer social.
Ce n’est pas sans trouble et sans colère que l’on est obligé de se remémorer une telle leçon. Il y a quarante ans, on s’interrogeait sur les défauts inhérents à la société de consommation. Aujourd’hui, on prend conscience de la gravité extrême de la question de l’alimentation dans le monde. Les émeutes de la faim sont un signal qui devrait être insupportable en renvoyant à une sorte d’impéritie universelle. Avec tous nos moyens techniques, nous avons laissé nos terres nourricières en jachère ou les avons utilisées pour un autre usage que celui de donner à manger aux populations. Des décisions s’imposent au plus vite pour inverser la logique économique devenue folle.
Il ne faut pas croire que les pays riches seront épargnés par le fléau. Le renchérissement des biens alimentaires est un fait universel et il touche notre propre pays. Les médias commencent à rendre compte du scandale. Ce n’est pas seulement les SDF qui souffrent, mais les personnes à faible revenu, les retraités aux faibles pensions notamment. « Dans les grandes villes, écrit Le Parisien, c’est la ruée chaque soir autour des poubelles des magasins ». Le même journal s’indigne à juste titre de certaines pratiques, encore marginales, lorsque des supermarchés arrosent des nourritures invendues de détergents, pour les rendre immangeables (par crainte, dit-on, qu’on ne leur reproche d’avoir mis à disposition du public des produits périmés, au nom d’un principe administratif et juridique dit « de précaution » qui touche ici à l’ignoble). C’est donc, d’abord, chez nous que les autorités et l’ensemble des citoyens, parmi lesquels nous pensons prioritairement aux chrétiens, doivent se mobiliser contre la faim qui est le premier stigmate de la misère.